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Les menaces américaines contre l'Iran inquiètent l'Europe

Par Peter Schwarz
Le 22 janvier 2005

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L'annonce que les Etats-Unis préparaient une guerre contre l'Iran a produit émoi et nervosité dans les cercles politiques européens.

Seymour Hersh, journaliste américain de renom, avait le week-end dernier écrit dans un article du magazine New Yorker en se réclamant de membres haut placés des services secrets, que des unités spéciales américaines opéraient depuis plusieurs mois en Iran repérant des cibles en vue d'attaques aériennes et d'une possible invasion du pays. Le gouvernement américain désapprouva en effet l'article de Seymour le disant inexact, mais ne le démentit qu'à moitié. Le président Bush souligna même expressément, lorsqu'on lui demanda de se prononcer sur l'article de Hersh, qu'il n'excluait pas une option militaire contre l'Iran.

Extérieurement, la politique européenne chercha à dédramatiser. Une attaque des installations nucléaires iraniennes n'était guère réaliste, dit-on dans les cercles diplomatiques de Bruxelles. Washington avait les mains liées par la situation en Irak, si bien qu'une intervention contre l'Iran était à peine réalisable. Si Bush continuait à considérer l'option militaire, c'était parce qu'en tant que président américain il devait garder toutes ses options et cela ne devait pas être conçu comme une menace. Il y eut même des spéculations selon lesquelles le gouvernement américain aurait délibérément organisé la fuite des informations utilisées par Hersh. Il l'aurait fait pour intensifier la pression sur l'Iran et contribuer ainsi à ce que les Européens obtiennent un résultat décisif dans leurs négociations avec Téhéran sur l'arrêt du programme nucléaire iranien.

Mais il est évident d'après les déclarations des hommes politiques européens qui ont clairement pris leurs distances vis-à-vis d'une action militaire, que l'article de Hersh et les menaces du gouvernement américain ont été prises on ne peut plus au sérieux.

Le ministre des Affaires étrangères britannique, Jack Straw, avait déjà souligné au mois de novembre qu'il ne pouvait pas imaginer une situation « où des mesures d'ordre militaire contre l'Iran pouvait être justifiées ­ point final ». Maintenant il faisait dire à travers un porte-parole qu'il était « impensable que le Royaume-Uni soutienne une telle politique, au cas où une telle politique devait jamais exister ».

En Allemagne, le porte-parole du gouvernement comme celui de l'opposition condamnèrent l'attitude américaine. Gernot Erler, expert en politique étrangère au SPD qualifia les menaces venues des Etats-Unis de « ricochet au flanc de la politique de négociations de l'Union européenne. ». Il se dit surpris des faibles démentis du gouvernement américain et exprima la crainte que celui-ci ne travaillât à la continuation de sa funeste politique iraquienne. La dirigeante des Verts, Claudia Roth, critiqua les plans du gouvernement américain, les qualifiant d'« absolument pas utiles ». Elle mit en garde contre une aggravation de la situation dans toute la région et insista pour dire : « nous avons besoin de solutions diplomatiques, pas de menaces d'utiliser la force ».

Friedbert Pflüger, expert en politique étrangère à la CDU, en appela à Bush pour qu'il soutienne les efforts diplomatiques de l'Union européenne en Iran, et son collègue de la fraction parlementaire de ce parti, Ruprecht Polenz, fut de l'opinion que: « Nous avancerions bien plus vite si les Américains n'étaient pas juste là, les bras croisés, à nous regarder faire. »

Il existe, outre l'article de Hersh, de nombreuses autres indications que les menaces de guerre américaines vis-à-vis de l'Iran sont extrêmement sérieuses. Ainsi, l'hebdomadaire Die Zeit avait déjà publié au début du mois de novembre, avant la réélection de Bush, des articles sur les plans des néo-conservateurs de son gouvernement de provoquer un changement de régime à Téhéran. Ce journal décrivait leur attitude en ces termes: «Les Mollahs doivent partir ­ si on n'arrive pas à désamorcer la bombe, il faut du moins désamorcer l'appareil au pouvoir à Téhéran. » « Si George Bush gagnait les élections, ce projet serait bientôt à l'ordre du jour.»

Die Zeit désignait les boutefeux approuvant une telle ligne d'action comme étant: « Les fonctionnaires, stratèges et lobbyistes du Pentagone qui avaient déjà poussé à la campagne militaire contre Saddam Hussein » et qui bénéficiaient « de relations personnelles au sommet de l'appareil gouvernemental de Washington, en particulier avec le vice-président Richard Cheney ».

L'article de Die Zeit mettait en particulier en évidence le rôle de Michael Ledeen, idéologue de l'officine de droite American Entreprise Institutes et figure-clé de l'affaire Iran-Contra des années 1980, et celui de Douglas Feith. Feith dirige la planification politique au Pentagone et entretient des relations étroites avec le gouvernement israélien, lui aussi intéressé à un changement de régime à Téhéran. Ces cercles se sentent confirmés par la réélection de Bush. Comme Seymour Hersh le souligne dans son article, le succès électoral de Bush a « renforcé la position des néoconservateurs à la direction civile du Pentagone, qui avaient approuvé l'invasion [de l'Irak] y compris Paul Wolfowitz, le vice-ministre de la Défense et Douglas Feith, sous-secrétaire d'Etat à la Défense ».

La nouvelle ministre des Affaires étrangères, Condoleezza Rice, avait elle aussi annoncé lors de son audition devant la commission des Affaires étrangères du Sénat, une ligne dure vis-à-vis de l'Iran. « A un moment ou à un autre, l'Iran devra rendre des comptes pour son manque de volonté à honorer ses engagements internationaux » déclara-t-elle. Elle ajouta également à l'« Axe du mal » de Bush (l'Irak,l'Iran et la Corée du Nord) quatre autres pays : Cuba, la Birmanie, le Zimbabwe, et la Biélorussie. Elle qualifia ces pays d'« avant-postes de la tyrannie », une nette indication que les Etats-Unis entendent maintenir leur cours agressif.

Dans une interview donnée à la chaîne de télévision MSNBC, le vice-président Richard Cheney accusa l'Iran d'avoir développé de nouveaux « programmes nucléaires bien robustes» et d'être un sponsor connu du terrorisme. « On cherche des foyers de crise potentiels dans le monde et on trouve l'Iran en tête de liste » ajouta-t-il.

Le président Bush dissipa lui-même dans son discours d'inauguration les derniers doutes sur le sérieux de la nouvelle menace militaire américaine. Il menaça de «libérer» le monde entier par la force des armes américaines. Ce qu'il faut entendre par là, peut être vu au quotidien en Irak où, depuis sa « libération » par les Etats-Unis, plus de 100 000 personnes ont été tuées. Bush ne laissa aucun doute sur le fait que rien ni personne, aucun droit international ou obstacle quelconque, n'empêcherait les Etats-Unis d'attaquer un pays qu'ils considéraient comme un frein à leurs intérêts.

Reinhard Bütikofer, le secrétaire national des Verts, le parti du ministre allemand des Affaires étrangères, reprocha ainsi à Bush « de rouler dans la boue la grande valeur de la liberté ». « La grande devise de la liberté est kidnappée au profit d'une politique qui produit finalement moins que la liberté » dit-il.

L'espoir que la politique étrangère américaine adopte une attitude plus pacifique et plus disposée au compromis s'est révélé être un mauvais calcul de part en part. Comme un animal sauvage acculé dans un coin, l'administration Bush n'en frappe que plus aveuglément autour d'elle.

Il existe, sous cet aspect, des parallèles évidents entre la mentalité de la clique droitière qui dicte actuellement la politique étrangère américaine et le régime hitlérien. Dans des situations apparemment sans issue, Hitler misa souvent tout sur une seule carte et gagna. Il ne connaissait pas les compromis ou les retraites. Il obtint ainsi en 1938, grâce à la politique d'apaisement britannique, son succès de Munich, où il récolta sans un coup de fusil le Pays des Sudètes et les places défensives tchèques ; un aiguillage important vers la Deuxième guerre mondiale. Jusqu'à la chute du Troisième Reich Hitler garda cette attitude, même quand l'issue de la guerre était connue depuis longtemps.

L'impuissance des Européens

Il ne fait aucun doute que la politique européenne officielle rejette dans sa grande majorité une attaque armée contre l'Iran. Ce serait, comme le faisait remarquer le commentaire d'un journal allemand « un cauchemar, et pas seulement pour les Européens ». Ceux-ci ont peur pour leurs relations commerciales étroites avec l'Iran, un des producteurs de pétrole les plus importants du monde et pour la stabilité de la région tout entière. « L'Iran en flammes déclencherait un incendie jusqu'en Europe » dit un autre commentaire sur le ton de la mise en garde.

Mais la politique européenne est totalement incapable de s'opposer de façon sérieuse à Washington. Il lui faudrait pour cela faire comprendre sans ambiguïté qu'en cas d'attaque contre l'Iran, elle ne réagirait pas seulement par des mots, mais aussi par des actes. Des sanctions internationales contre les Etats-Unis, la fermeture des bases militaires sur le territoire européen et la livraison d'armes défensives à l'Iran seraient des conditions minimales pour faire quitter à la clique droitière de la Maison blanche son cours belliciste.

Les gouvernements européens n'en ont cependant ni la volonté ni la capacité. Au lieu de cela, ils se comportent comme le premier ministre britannique, Chamberlain, en 1938 vis-à-vis de la Tchécoslovaquie. Ils essaient de convaincre Téhéran de procéder à son propre désarmement, afin d'apaiser Washington et de «sauver la paix». Voilà des mois que les ministres des Affaires étrangères de la France, de l'Allemagne et de la Grande-Bretagne négocient avec le gouvernement iranien un arrêt du programme nucléaire iranien, bien qu'au regard du droit et des accords internationaux ce programme soit parfaitement légal.

Que Téhéran ne soit pas disposé à une telle démarche n'est, après l'expérience irakienne, que trop compréhensible. Bagdad avait, comme on le sait depuis, largement rempli les exigences de désarmement de Washington après la première guerre du Golfe et détruit une grande partie de ses armes. Là aussi, les gouvernements européens avaient exercé une énorme pression, soutenant les sanctions contre ce pays. Mais cela n'a pas empêché les Etats-Unis d'attaquer l'Irak et de l'occuper. Les prétendues armes de destruction massives ne servirent que de prétexte, le véritable but était l'installation d'un régime fantoche et la transformation de l'Irak en une semi colonie américaine.

La même chose s'applique à l'Iran. De ce point de vue, les néo-conservateurs américains qui font publiquement de la propagande pour un changement de régime ont au moins le mérite de la franchise. Un régime inféodé aux Etats-Unis doit à nouveau être mis en place dans un pays qui a subi pendant 26 ans la dictature sanglante du Shah et que la CIA aida à installer au pouvoir par un coup d'Etat en 1953.

Les gouvernements européens ne s'opposent pas ouvertement à la politique américaine parce que, sur le principe, ils sont d'accord avec ses objectifs. Ce qui compte pour eux, ce n'est ni le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ni la souveraineté de l'Iran, mais leurs propres intérêts qu'ils voient menacés dans la région par l'action agressive des Etats-Unis.

Le conflit à propos de l'Iran s'insère dans un modèle plus général de conflits qui éclatent de plus en plus ouvertement entre les Etats-Unis et l'Europe, et là aussi en premier lieu avec l'Allemagne et la France.

Le journal français Politique étrangère fait observer dans sa dernière édition, que les Etats-Unis et l'Europe se comportent de plus en plus comme des rivaux dans tout le bassin méditerranéen, du Moyen-Orient jusqu'au Maroc. Un article intitulé « Une nouvelle rivalité transatlantique en Méditerranée? » arrive à la conclusion que les Américains et les Européens avaient, pour ce qui était des problèmes de la région, bien tiré les mêmes enseignements et qu'ils poursuivaient les mêmes buts (la libéralisation politique et économique), mais que « leurs initiatives prises séparément étaient porteuses de conflits. »

Les initiatives européennes pour l'intégration économique de la région, comme le "Processus de Barcelone", engagé en 1995, sont en concurrence avec des projets américains du même type, tel l'"Initiative Einzenstat" en 1998 prévoyant l'intégration du Maghreb. Comme initiative la plus récente pour la réorganisation de la région sous domination américaine, l'article mentionne le projet « Greater Middle East » qui englobe l'ensemble du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord.

Les intérêts américains et européens se heurtent aussi de plus en plus dans d'autres régions du globe, comme dans les Etats qui succédèrent à l'Union soviétique, en ce qui concerne leur attitude respective vis-à-vis de la Russie et de la Chine, tout comme dans le domaine de la politique financière et industrielle.

Caractéristique de l'atmosphère dans cette dernière fut la présentation, ces dernières semaines à Toulouse, du nouvel Airbus 380. Le projet commun européen casse le monopole du Boeing 747 pour les avions gros-porteurs et long-courriers. Le nouvel avion est nettement plus grand, plus économique et a une plus grande portée que son concurrent américain.

Lorsque le nouvel avion fut solennellement inauguré en présence des chefs de gouvernement français, britannique, espagnol et allemand, le chancelier allemand fit ouvertement allusion au conflit avec les Etats-Unis pendant la guerre en Irak. A l'époque, le ministre américain de la défense, Rumsfeld, avait monté la « nouvelle Europe » contre la « vieille Europe ». Lors de l'inauguration, Schröder répliqua avec un plaisir évident : « Ce sont les traditions de la bonne vieille Europe, la coopération, la justice, la sensibilité sociale qui ont permis au projet de l'A-380 d'être un succès. »

Les tensions transatlantiques croissantes sont la conséquence de la lutte pour les marchés, les matières premières et la main-d'oeuvre bon marché entre les grands trusts qui dominent l'économie mondiale. La contradiction entre le caractère global de la production moderne et le système des Etats-nations dans lequel la société bourgeoise a ses racines, ne peut être résolue dans le cadre du capitalisme par une nouveau partage violent du monde entre les grandes puissances. Ce fut la cause de la Première comme de la Seconde guerre mondiale et cela constitue aujourd'hui encore la raison de tensions grandissantes entre les puissances impérialistes.

On ne peut pas s'opposer au danger de guerre que cela entraîne, en soutenant une des grandes puissances contre l'autre, la plus « pacifique » contre la plus agressive, la « vieille Europe » contre les Etats-Unis. La lutte contre l'impérialisme et la menace de guerre exige que la classe ouvrière internationale s'unisse sur la base d'un programme socialiste, qui soit dirigé contre les fondements mêmes du système capitaliste.



 

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