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Soixante ans depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale

Deuxième partie

Par David North
(Article original paru le 3 mai 2005)

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L'article suivant est la deuxième partie d'une allocution de David North, le président du comité de rédaction international du WSWS et le secrétaire national du Parti de l'égalité socialiste des Etats-Unis, lors de meetings qui se sont tenus le 30 avril 2005 à Berlin et le 1er mai à Londres.

Il y a soixante ans, alors que le monde sortait du fascisme et de la guerre totale, des millions de travailleurs espéraient un avenir où de telles horreurs ne seraient plus possible. Et pourtant, la possibilité d'une catastrophe semblable menace à nouveau l'humanité. Comment cela est-il arrivé? Qu'est-ce qui a empêché la classe ouvrière de transformer ses aspirations socialistes de la fin de la Deuxième guerre mondiale en une politique révolutionnaire qui aurait pu mettre fin au capitalisme? La réponse à cette question ne se trouve pas dans une absence de détermination révolutionnaire et de courage de la part de la classe ouvrière, comme certains sceptiques démoralisés (pour mieux justifier leur propre découragement) se hâtent de l'affirmer. A la fin de la Deuxième guerre mondiale, ces qualités existaient en abondance.

C'est bien plutôt en examinant la politique de la période d'après guerre qu'on trouvera la réponse à cette question. La principale raison de la survie du capitalisme en Europe dans la période critique qui suivit l'effondrement du régime hitlérien est la trahison des partis et des organisations staliniens et sociaux-démocrates de la classe ouvrière. Les Parti communistes (qui agissaient en tant qu'agences de la bureaucratie soviétique) et les partis sociaux-démocrates s'opposèrent absolument au renversement du capitalisme en Europe de l'Ouest. Les puissants mouvements de résistance en France et en Italie furent désarmés par les dirigeants staliniens qui collaborèrent avec les dirigeants et les partis bourgeois pour rétablir l'autorité des gouvernements capitalistes. De cette manière, les staliniens et les sociaux-démocrates fournirent à la faible bourgeoisie européenne et à ses protecteurs américains le temps nécessaire pour entreprendre la reconstruction, sur une base capitaliste, des économies ravagées par la guerre.

La politique poursuivie par Staline n'était en rien déterminée par les intérêts objectifs de la classe ouvrière européenne et internationale (à laquelle il était tout à fait hostile) mais par ce qu'il estimait être l'intérêt national de l'Union soviétique. Craignant qu'une révolution en Europe ne provoquât une confrontation entre l'Union soviétique et les Etats-Unis, Staline fit tout ce qui était en son pouvoir pour bloquer et faire dérailler une lutte pour le pouvoir par la classe ouvrière. Dans les cas où l'influence de la bureaucratie s'est avérée insuffisante pour empêcher qu'une guerre civile n'éclate, Staline eut recours au sabotage pur et simple. Ayant assuré Winston Churchill qu'il considérait la Grèce comme faisant partie de la zone d'influence britannique, Staline bloqua toute aide au KKE, le Parti communiste grec, lorsque la guerre civile éclata après l'effondrement de l'occupation allemande. Pour citer les mots d'un historien de la guerre civile grecque, « les pertes parmi les membres du KKE et en particulier parmi ses dirigeants furent considérables. Staline les laissa aller à leur perte sans le moindre remords. » [1]

Sans la période de répit cruciale ménagée à la bourgeoisie européenne et à l'impérialisme américain, la reconstruction de l'Europe après la guerre (dont dépendait la survie du capitalisme américain) n'aurait pas été possible. Il ne faut pas oublier que ce n'est qu'en 1947, deux ans après la guerre, que le plan Marshall fut introduit. A ce moment, le mouvement révolutionnaire qui avait accompagné la fin de la guerre en Europe de l'Ouest avait été trahi par la direction politique de la classe ouvrière et était sur le retrait.

La politique des bureaucraties stalinienne et social-démocrate créèrent les circonstances politiques permettant une nouvelle stabilisation du capitalisme. L'expansion de l'économie mondiale qui suivit, fournit une base matérielle au renforcement dans la classe ouvrière d'illusions dans la viabilité du réformisme national. Comme dans un autre « âge d'or » du réformisme, les années 1890, le niveau de vie en augmentation rapide de la classe ouvrière n'affermit pas seulement la confiance dans le capitalisme, mais aussi la confiance dans la viabilité de l'Etat national comme instrument du progrès social.

La forme spécifique que prit cette résurgence du nationalisme dépendait des conditions politiques et économiques particulières de l'un ou l'autre pays. Dans les pays capitalistes avancés d'Amérique du Nord, d'Europe et du Japon, l'essor économique d'après 1947 encouragea la croyance qu'une croissance régulière des économies nationales garantirait une hausse constante du niveau de vie et finirait par éliminer les maux sociaux traditionnellement associés au capitalisme. La croissance rapide de l'économie soviétique dans les années qui suivirent la mort de Staline (1953) sembla prêter une certaine légitimité à la perspective de la bureaucratie d'une voie nationale au socialisme. On vit une version différente de la même perspective nationale en Chine, où Mao conçut un socialisme au caractère tout à fait nationaliste. Une autre forme de perspective nationaliste, le programme économique de la «substitution d'importations », guidait la politique des dirigeants bourgeois de l'Inde et de beaucoup de pays décolonisés d'Afrique, du Moyen-Orient et d'Asie.

Pendant près de deux décennies il sembla à beaucoup qu'on eût découvert un nouvel Eden national, une alternative à l'internationalisme socialiste révolutionnaire. Mais, la fin de la période d'expansion du capitalisme qui s'accompagna, à partir du début des années 1970, de signes croissants de crise dans l'économie mondiale, minèrent toute politique basée sur une confiance en la possibilité d'une croissance illimitée de l'économie nationale. Durant la période d'essor économique, les forces essentielles de l'économie mondiale semblaient agir de façon silencieuse et invisible, dans un soutien constant au développement de l'économie nationale. Mais, dans des conditions de crise, le véritable rapport entre forces économiques mondiales et nationales ne se montra que trop clairement. Aucun programme national, quel que soit son caractère spécifique, ne pouvait donner à la classe ouvrière les moyens de défendre ses intérêts contre la force énorme du capital international et ce dans quelque pays que ce soit.

L'utopie nationale pseudo-socialiste de la bureaucratie soviétique s'est désintégrée pendant les années 1980. Quant à la Chine, le long débat sur la nature du régime maoiste est définitivement clos. Au début des années 1950, Ernest Mandel, Michel Pablo et d'autres théoriciens ­ s'étant convaincu que les conceptions marxistes classiques de Léon Trotsky n'étaient plus adéquates face à la nouvelle situation politique ­ virent dans la Chine la preuve qu'on pouvait arriver au socialisme sans l'organisation politique indépendante de la classe ouvrière, ou sans la création de nouveaux organes révolutionnaires et démocratiques de masse servant de base à la conquête du pouvoir par le prolétariat. Ils inventèrent une nouvelle catégorie politique: celle d'Etat ouvrier «déformé», c'est-à-dire un «Etat ouvrier» auquel ferait défaut toute institution démocratique par laquelle la classe ouvrière pourrait exercer le pouvoir politique. Le développement d'un tel Etat aboutit finalement à la transformation de la Chine en base indispensable de la production capitaliste mondialisée. Il n'est que trop évident aujourd'hui qu'on aurait pu définir l'Etat érigé par Mao Zedong en 1949 bien plus exactement en l'appelant un «Etat bourgeois déformé».

S'il est une leçon à tirer de l'expérience de ces six dernières décennies, c'est bien que le capitalisme peut être battu seulement sur la base de l'Internationalisme. Toutes les alternatives nationalistes ont été discréditées. Il faut redonner à la célébration du premier mai son contenu initial: celui de jour où la classe ouvrière réaffirme son internationalisme non seulement dans le sens d'une expression générale de solidarité au-delà des frontières nationales, mais comme la fondation de son programme politique et de sa perspective.

Permettez-moi de conclure ces remarques en retournant à mon thème de départ. Soixante ans après la fin de la Deuxième guerre mondiale, l'espoir d'un monde débarrassé de la pauvreté, de l'exploitation et de l'oppression ne s'est pas réalisé. En fait, le climat politique et intellectuel devient de plus en plus réactionnaire. L'offensive des élites au pouvoir pour éliminer ce qui reste des réformes sociales de la période qui suivit la Deuxième guerre mondiale s'accompagne naturellement des idéologies les plus réactionnaires, avant tout de la religion.

Aux Etats-Unis, l'administration Bush essaie de détruire le fondement constitutionnel essentiel des droits démocratiques qu'est la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Le Parti républicain cherche à se réformer pour devenir le bras politique de la communauté religieuse. Il essaie de créer une base de masse pour une politique droitière par la mobilisation des Eglises intégristes chrétiennes et de leurs membres. Essayant de susciter l'hystérie parmi les individus démoralisés, désorientés, et même irrationnels de la population américaine, les Républicains présentent leurs adversaires comme les ennemis de Dieu, qui se vouent à la persécution des chrétiens abandonnés.

Le caractère fasciste de cette propagande devient de plus en plus visible. L'historien américain connu Fritz Stern, qui dut fuir l'Allemagne alors qu'il était enfant, a récemment attiré l'attention sur les similitudes entre la propagande utilisée par les nazis et celle du Parti républicain. Stern écrit dans la dernière édition du magazine Foreign Affairs: «Aujourd'hui, je suis inquiet quant à l'avenir immédiat des Etats-Unis, le pays qui accueillit les réfugiés de langue allemande dans les années 1930». Il rappelle l'usage fait par les nazis d'appels à la religion dans leurs efforts de gagner un soutien de masse.

«On avait enrôlé Dieu dans la politique nationale avant cela, mais le fait qu'Hitler réussit l'amalgame du dogme de la race et du christianisme allemand constitua un élément infiniment puissant pour ses campagnes électorales. Certains reconnurent les dangers moraux du mélange de la religion et de la politique, mais bien plus encore furent séduits. C'était la transfiguration pseudo-religieuse de la politique qui assura son succès, en particulier dans les régions protestantes ». [2]

Que l'un des historiens les plus distingués des Etats-Unis se voit forcé de lancer un tel avertissement est une indication de la profondeur de la crise de la démocratie américaine. Soixante ans après sa victoire sur l'Allemagne nazie, le gouvernement des Etats-Unis flirte avec l'idéologie fasciste et encourage le développement d'un mouvement de type fasciste.

Le fait que la politique bourgeoise dépende idéologiquement de l'arriération religieuse et de l'obscurantisme témoigne de la banqueroute et du désespoir des élites au pouvoir et cela pas seulement aux Etats-Unis. L'hystérie qui accompagna aux Etats-Unis les dernières semaines de Terri Schiavo fut suivie immédiatement d'une orgie de nécromancie moyenâgeuse à l'occasion de la mort de Jean-Paul II et continua avec le sacre de son successeur, l'archi- réactionnaire cardinal Ratzinger. Les reportages omniprésents des médias du monde entier sur la mort de Karol Wojtyla et l'élection de Ratzinger, utilisant les moyens technologiques de la communication de masse les plus sophistiqués me remit en mémoire la description que Trotsky fit de sa visite à Lourdes en 1934. « Quelle grossièreté, quelle impudence, quelle vilénie!» écrivait-il. «Un bazar aux miracles, un comptoir commercial de grâces divines... Mais le meilleur de tout, c'est cette bénédiction du pape transmise à Lourdes - par la radio. Pauvres miracles évangéliques à côté du téléphone sans fil! Et que peut-il y avoir de plus absurde et de plus repoussant que cette combinaison de l'orgueilleuse technique avec la sorcellerie du super-druide de Rome? En vérité la pensée humaine est embourbée dans ses propres excréments.» [3]

L'événement qui marqua le plus, nous dit on, l'itinéraire spirituel du nouveau pape, fut son horreur devant les événements de 1968, où ses leçons de théologie furent interrompues par des étudiants indisciplinés. Que la contestation de cette année ait contribué dans une forte mesure à un examen plus approfondi des crimes du Troisième Reich et de leurs conséquences durables sur la vie intellectuelle, politique et sociale de l'Allemagne, était pour Ratzinger sans signification. Il considérait les manifestations de masse comme une menace à l'égard de l'«Ordnung» et elle le convainquirent des maux de la pensée rationnelle et de la laïcité. Le New-York Times rapporta le 17 avril que le nouveau pape «aimerait que l'Eglise s'affirme davantage vis-à-vis de la tendance qu'il considère la plus menaçante: la mondialisation qui finira par mener à une laïcisation mondiale».

En quoi consiste au fond la «laïcisation mondiale» que le pape Benoît considère comme la menace la plus sérieuse pour l'Eglise? En rien d'autre que le renforcement des tendances sociales (économiques, scientifiques, culturelles et politiques) qui constituent les fondements d'une victoire du socialisme et de l'internationalisme. Et il faut l'admettre: les craintes du pape sont tout à fait justifiées. Les forces objectives les plus puissantes, celles qui exercent la plus grande influence sur la direction du développement historique mènent au triomphe de l'internationalisme sur le nationalisme, de la raison scientifique sur l'irrationnel, d'une identité humaine universelle sur une identité sectaire définie par l'ethnie, la nationalité et la religion.

Malgré l'adversité et les tragédies vécues par le socialisme depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale, celui-ci a ses racines dans la logique du développement historique et économique. La crise de la société capitaliste poussera à nouveau la classe ouvrière, en tant que force internationale, sur le chemin de la lutte et ce chemin mène inévitablement au socialisme.

Notes:

1. Traduit de C.M. Woodhouse, The Struggle for Greece 1941-1949, Chicago, 2002, p. 289


2. Traduit de Fritz Stern, « Lessons from German History », Foreign Affairs (May-June 2005), p. 17


3. Léon Trotsky, Journal d'exil 1935, Paris 1977, p.126


 

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