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Allemagne: Schröder « inébranlable » dans son attachement à l'Agenda 2010

Par Peter Schwarz
(Article original paru le 15 juin 2005)

Schröder reste attaché aux «réformes indispensables» de l'Agenda 2010 et il sera «inébranlable». C'était la phrase clé d'un discours prononcé par le chancelier allemand Schröder il y a quelques jours dans la centrale du Parti social-démocrate d'Allemagne (SPD) à Berlin, le « Willy Brandt-Haus ».

Schröder y présentait la ligne de son parti en vue des prochaines élections législatives et que les instances du SPD adopteront officiellement dans les jours et les semaines à venir. Il jugea de toute évidence nécessaire de dire clairement et de prime abord qu'il ne céderait pas à ceux qui exigent qu'on s'éloigne de la politique de réforme extrêmement impopulaire poursuivie par le gouvernement.

Sous la pression exercée par la création, sur sa gauche, d'un parti avec participation de l'ancien premier secrétaire du SPD, Oskar Lafontaine, des tensions et des conflits considérables se sont développés au sein du SPD dans la récente période. Et des voix s'étaient fait entendre au sein du SPD pour réclamer un changement de cours.

Schröder s'adressait à la fraction parlementaire du SPD, au cours d'une réunion présentée comme un «Congrès de l'économie sociale de marché ». Mais, la seule fonction de ce « congrès » fut en fin de compte de servir de plate forme à Schröder qui fit ainsi passer son message à la presse et à la télévision.

Une centaine de membres ordinaires du SPD, triés sur le volet, eurent le droit d'assister à cette réunion pour y faire de la figuration. Aux premiers rangs se prélassait le gratin du parti tandis que tout autour se pressaient des dizaines de cameramen, photographes et journalistes mêlés à des parlementaires et à d'autres pontes du SPD, qui multipliaient les interviews.

Le programme de la réunion consistait en deux discussions podium. Au cours de chacune d'entre elles, un ministre, en l'occurrence Wolfgang Clement, (ministre de l'Economie et du travail) et Hans Eichel (ministre des Finances) s'entretenait avec un journaliste et un représentant du patronat ou encore avec le président du Congrès des syndicats allemands (DGB), Michael Sommer.

Mais ces conversations se perdirent dans le tohu-bohu général. Schröder parla avec à ses côtés la statue Willy Brandt et sur un fond bleu sur lequel était écrit en grandes lettres « Economie sociale de marché », un terme qu'on doit au ministre de l'économie et chancelier conservateur Ludwig Erhardt. Le discours de Schröder était truffé de mots vidés de leur sens réel et de formules à usage multiple tirés de divers programmes sociaux-démocrates.

Schröder parla de « partage », de « justice sociale », d'un «Etat fort », qui devait protéger les faibles. Il reprocha à la CDU et au FDP de vouloir un démantèlement social effréné et de vouloir « couper à la hache les racines de l'économie sociale de marché. ». Selon lui, ces partis étaient de toute évidence «extrêmement pressés de ramener notre pays à l'époque qui a précédé l'introduction de l'économie sociale de marché ». Voilà bien longtemps que le chancelier n'avait fait un usage aussi fréquent du mot «social », nota un commentateur.

Du point de vue du contenu toutefois, il ne dévia pas d'un pouce d'une ligne politique qui a eu pour conséquence le démantèlement social le plus vaste entrepris depuis l'existence de la République fédérale et un nombre total de chômeurs de plus de cinq millions, ce qui valut au SPD de perdre onze élections régionales de suite.

Il fallait «adapter l'économie sociale de marché aux conditions entièrement différentes de l'économie mondialisée grâce aux réformes introduites par le gouvernement », dit Schröder. « Car personne ne peut échapper à des changements dus à l'économie globalisée et ses marchés ouverts et qui affectent le monde entier ». Il s'opposa expressément à toute mise en question du capitalisme: « La question du système est résolue. Tous les théoriciens qui invoquaient une chute prochaine du capitalisme se sont vus démentis par la réalité. Le capitalisme n'a pas disparu, comme on le sait. Il s'est avéré être un système éminemment capable de s'adapter et de se métamorphoser. Et, qui plus est, aucun autre système n'aurait pu apporter à l'humanité plus de sécurité et plus de bien être ».

La seule concession faite par Schröder à la soi-disant « critique du capitalisme » du premier secrétaire du SPD, Franz Müntefering, consista en une promesse d'intercéder en faveur d'une « nette amélioration de la transparence du marché des fonds spéculatifs » au niveau mondial. Il promit d'introduire à cet effet « des déclarations obligatoires » pour les prêts d'actions en Allemagne, se hâtant toutefois d'ajouter: « comme elles existent déjà aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne ». Comme ni l'administration Bush ni le gouvernement Blair n'ont la réputation d'être particulièrement anticapitalistes, une telle mesure ne devrait pas entraîner de grands bouleversements.

Müntefering, qui ouvrit la réunion, fit savoir sans laisser aucun doute qu'il était à cent pour cent avec Schröder. Plus question de qualifier les investisseurs financiers internationaux de «sauterelles» s'abattant sur l'économie allemande comme Müntefering l'avait fait avant l'élection régionale de Rhénanie-Westphalie.

Müntefering débuta lui aussi son allocution par des clichés rebattus. Dans l'élection fédérale anticipée visée par le SPD, il s'agissait de choisir la voie à prendre: « Economie sociale de marché ou non? ». Il s'agissait « de la question de savoir si les hommes étaient des sujets au coeur de l'économie ou bien des objets dans la timballe du grand jeu économique? » Et ainsi de suite, sur des pages entières.

Müntefering se réclama, comme Schröder, expressément de l'Agenda 2010, mais s'efforça de rester dans l'abstrait et le général eu égard aux violentes tensions au sein du parti. Parmi les platitudes qu'il a alignées dans son discours il y avait celle-ci: « Chacun doit recevoir une part juste du gâteau produit en commun. Le morceau devrait être le plus gros possible. A cette fin, le succès économique doit être le plus grand possible ». Autre exemple: « En ce qui concerne l'économie sociale de marché, nous sommes en bon chemin. La direction est la bonne et nous continuons dans la même voie ».

Le monde réel, celui dans lequel vivent quotidiennement des millions de gens, et qui est fait d'insécurité sociale, de pauvreté, de chômage, n'eut pas droit de cité dans le verbiage de Müntefering.

Tandis qu'on discutait à l'avant de la salle, Andrea Nahles, communément désignée comme le porte-parole de la gauche du parti, allait de caméra en caméra et de micro en micro pour faire l'éloge du discours de Schröder. « Le premier pas est fait » déclara-t-elle. «A présent, il faut que les propositions concrètes suivent, par exemple sur le salaire minimum ».

La réunion du Willy Brandt-Haus a montré clairement, une fois de plus, que le SPD n'est pas prêt à céder à la pression d'en bas et de s'éloigner de sa politique en faveur des intérêts patronaux. Il considère la défense de l'ordre existant comme sa « responsabilité » et préfère plutôt couler que de changer de cap.

Le manque de responsabilité est aussi le pire reproche que Müntefering puisse faire à ses adversaires politiques. Avec cette logique, il mit la CDU, le FDP et le nouveau parti de gauche (l'alliance du WASG et du PDS) dans le même sac: « L'éventail politique est un cercle. Dans leur égocentrisme et leur impact politique, les Westerwelle (Parti libéral démocrate, FDP), les Merz (Union chrétienne démocrate, CDU), les Lafontaine (Alternative électorale travail et justice sociale, WASG) et les Gysi (Parti du socialisme démocratique, PDS) ont la même qualité: ils sont irresponsables», dit-il.