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Haïti : l'étape oubliée dans la croisade de Bush pour la «liberté»

Par Bill Van Auken
12 mars 2005

Des dizaines d'hommes, de femmes et d'enfants haïtiens sont morts noyés quand leur embarcation de fortune a coulé dans les eaux de la Mer des Caraïbes, a rapporté Associated Press jeudi dernier. Près de 50 personnes s'étaient entassées sur le bateau, qui a coulé sous leur poids.

Trois survivants ont réussi à rejoindre le rivage pour rendre compte du désastre, tandis que les autorités ont rapporté avoir retrouvé neuf corps, qui ont été enterrés dans une fosse commune. «On ne peut rien faire», a dit le maire du Cap-Haïtien Apile Fleurent. «On attend de voir combien de corps seront ramenés par les vagues».

Alors que les victimes essayaient sans doute d'atteindre les États-Unis, leur mort a passé inaperçu dans les médias américains. Ils n'étaient qu'une relative poignée parmi les milliers de réfugiés cherchant à fuir la nation insulaire, exode qui a monté en flèche dans l'année qui s'est écoulée depuis que l'administration Bush a orchestré un coup d'état pour renverser le président élu du pays, Jean-Bertrand Aristide.

Le nombre de morts ne représentait, en outre, qu'une fraction de la somme quotidienne infligée au peuple haïtien par la violence politique, la maladie et la faim.

L'anniversaire de la «libération» d'Haïti par Washington a passé à la fin du mois dernier, avec à peine quelques mentions dans les médias américains. Le 28 février dernier dans la capitale haïtienne de Port-au-Prince, des policiers masqués ont tiré des gaz lacrymogènes puis des vraies munitions sur une marche de plusieurs milliers de personnes exigeant le retour d'Aristide. Lorsque la fusillade a pris fin, trois morts sont restés au sol et plusieurs manifestants ont été gravement blessés.

L'incident fait partie d'une vague de tueries qui règne dans tout le pays depuis un an, se faisant plus intense autour de l'anniversaire du coup d'état. De grandes parties d'Haïti restent sous le contrôle de brutes de droite de l'ancienne armée dont les exactions l'an dernier ont préparé le terrain pour l'intervention militaire américaine. Ces forces tuent, torturent et violent avec impunité.

Dans la capitale et ses environs, les tueries et la répression sont l'oeuvre conjointe de forces locales et de troupes des Nations unies. L'ONU est venue à l'aide de Washington l'été dernier, en fournissant des unités militaires du Brésil, de l'Uruguay, du Pakistan, du Sri Lanka et d'autres pays pour remplacer les marines qui étaient requis par les États-Unis pour aller étouffer la résistance à l'occupation américaine de l'Irak. Les forces de sécurité du gouvernement haïtien sont épaulées par des escadrons de la mort financés par des individus et opérant librement dans des bidonvilles pro-Aristide tels que Cité Soleil, Cité de Dieu, Bel Air et La Saline.

Une «horreur inhumaine», voilà comment un récent rapport publié par le Centre des droits de l'homme de l'Université de Miami décrit la situation depuis l'invasion américaine l'an dernier. Le rapport fournit plein d'informations ainsi que des preuves photographiques révoltantes à l'appui de cette évaluation.

«Les exécutions sommaires sont une tactique policière, et même des officiers bien intentionnés traitent les quartiers pauvres cherchant un espace démocratique comme du territoire ennemi où ils doivent tuer ou être tués», indique le rapport. «L'armée féroce et dissoute d'Haïti est de retour pour se joindre aux exactions. Des dissidents soupçonnés remplissent les prisons, leurs droits consitutionnels sont foulés aux pieds.... Les policiers et soldats de l'ONU, incapables de parler la langue de la plupart des Haïtiens, sont dépassés par les échanges de coups de feu. Incapables de communiquer avec la police, ils ont recours à des incursions lourdaudes dans les quartiers les plus pauvres pour forcer une paix intermittente aux dépens de résidents innocents.

«Les blessés préfèrent mourir à la maison plutôt que risquer une arrestation à l'hôpital. Ceux qui atteignent l'hôpital trempent dans des mares de leur propre sang, ignorés par les médecins. Même la mort ne met pas fin à la tragédie : les corps sont empilés à la morgue, et rapidement dévorés par les asticots.»

Le rapport cite les activités d'un escadron de la mort armé et financé par les plus riches hommes d'affaires du pays, y compris André Apaid, le propriétaire de manufacture et citoyen américain qui a joué un rôle central dans la préparation du coup d'état contre Aristide. Le chef de l'escadron, Thomas Robinson, alias «Labanye», opère sous la pleine protection de la police pour terrorriser le bidonville en expansion de Cité Soleil.

À genoux devant le drapeau américain

Citant de multiples sources, le rapport déclare: «Labanye a déployé un grand drapeau des États-Unis devant son quartier général sous lequel il force ses victimes à s'agenouiller et à demander grâce avant de les tuer.»

Ceux qui sont plus chanceux que les réfugiés morts noyés au large des côtes haïtiennes cette semaine font face à de nouvelles persécutions en posant le pied sur le sol américain.

Un cas de figure est celui de Joseph Danticat, âgé de 81 ans, un pasteur baptiste et l'oncle de l'auteur haïtien-américain bien connu Edwidge Danticat. Après avoir subi des menaces de mort, il a fui aux États-Unis avec son fils, tous deux munis de passeports et visas valides. Lorsqu'ils ont demandé l'asile temporaire à l'Aéroport international de Miami, ils ont été placés en garde à vue par les services de sécurité (Homeland Security) et jetés dans le camp de détention de Krome. Là, on a gardé le vieil homme fragile en tant que risque à la sécurité nationale, on lui a interdit tout accès à sa famille ou à ses avocats et on ne lui a pas donné ses médicaments. Quatre jours plus tard, il était mort.

Entre-temps le Département de justice américain et - au moins jusqu'à présent - les tribunaux ont rejeté de nombreuses demandes d'asile malgré les preuves substantielles fournies par les requérants qu'ils seraient torturés s'ils étaient rapatriés en Haïti. Comme l'a établi un article du 11 mars du New York Times sur le cas de Napoléon Bonaparte Auguste, le gouvernement américain a sorti le prétexte que le régime haïtien, en passant des prisonniers au tabac, en les soumettant à des brûlures et à des chocs électriques, sans parler de leur entassement inhumain dans ses prisons, ne les torture pas de façon «intentionnelle» : il ne fait que combattre le crime.

«Tous ceux qui vivent sous la tyrannie dans le désespoir peuvent être rassurés que les États-Unis ne resteront pas indifférents à votre oppression ni n'excuseront vos oppresseurs», a déclaré George W. Bush lors de sa deuxième investiture en janvier dernier. Tandis qu'il prononçait ses paroles, des tueurs payés par des hommes d'affaires américains et protégés par un régime fantoche installé par les États-Unis exécutaient sommairement des travailleurs et des jeunes Haïtiens sous la bannière étoilée, et des réfugiés haïtiens languissaient dans le camp de détention de Krome en attendant de se faire renvoyer aux mêmes tueurs ou de mourir sous les verrous aux États-Unis mêmes.

Haïti fournit aujourd'hui l'un des meilleurs points de vue pour comprendre la croisade mondiale de l'administration Bush pour la «démocratie» et contre la tyrannie. C'est un pays où Washington a réussi à renverser un gouvernement qu'il n'aimait pas et à porter au pouvoir un qui est indiscutablement «fait aux États-Unis».

Le renversement d'Aristide était une opération américaine du début à la fin. L'administration Bush haïssait l'ancien prêtre, à la fois à cause de son association avec le mouvement qui a renversé la dictature épaulée par les États-Unis des Duvalier et de ses hésitations à implanter pleinement les mesures d'austérité dictées par le FMI. Aristide avait beau faire la révérence face à Washington, ça ne changeait rien à cette attitude.

L'administration Bush a soumis le pays - où la majorité de la populaiton est sans emploi et survit avec moins d'un dollar par jour - à de cruelles sanctions économiques. Tout en retenant toute aide, elle a versé des millions de dollars dans un effort mené par des bureaux du gouvernement américain tels que l'Agence pour le développement international et la Fondation nationale pour la démocratie, ainsi que par leurs sous-contractants privés, dans le but de fomenter des protestations anti-gouvernementales. Plusieurs de ceux qui ont été engagés localement dans cette entreprise ont depuis été récompensés par des postes de cabinet.

L'administration soutenait entre-temps en cachette des terrorristes armés qui ont envahi le pays à partir de la République dominicaine voisine. Dirigés par d'anciens officiers de l'armée haïtienne et des «ressources» de longue date de la CIA, ces hommes armés ont tué des centaines de gens dans leur marche sur Port-au-Prince.

Des agents du «contre-terrorrisme» de la CIA ont ensuite kidnappé Aristide et l'ont traîné dans un avion en partance pour l'Afrique. Les défenseurs de Washington rejettent l'accusation de kidnapping, soutenant que les agents de la CIA ont seulement placé Aristide devant un choix - «partir ou rester, vivre ou mourir» - et qu'il a lui-même pris la décision.

Haïti est aujourd'hui supposément dirigé par le gouvernement du premier ministre Gérard Latortue, un ancien fonctionnaire de l'ONU qui a été ramené de Floride après avoir vécu pendant des décennies hors du pays. Son gouvernement est formé d'hommes de droite de la même trempe et de vétérans de précédent srégimes militaires et de la dictature des Duvalier. Le vrai pouvoir réside toutefois entre les mains de riches hommes d'affaires tels qu'André Apaid et les hommes armés à sa paye.

Ce ramassis de réactionnaires et d'assassins n'avait aucune chance de gagner une élection libre, c'est pourquoi Washington a ciblé le régime élu d'Aristide en tant que «tyrannie» dont il fallait «libérer» le peuple.

Le point culminant de cet exercice est supposé prendre place à la fin de cette année avec la tenue d'«élections libres». Des dirigeants-clé du parti ayant gagné une grosse majorité des voix à la dernière élection - Fanmi Lavalas (FL) d'Aristide - demeurent en prison sans que des accusations aient été portées contre eux. Des centaines de leurs partisans ont été emprisonnés ou tués par des escadrons de la mort.

L'élection elle-même sera organisée par les mêmes fonctionnaires et contractants américains qui ont orchestré la campagne de déstabilisation politique ayant abouti au départ forcé d'Aristide et au débarquement de marines américains.

Haïti est un petit pays de 8 millions d'habitants, extrêmement pauvre et à quelques centaines de kilomètres à peine des côtes américaines. Plus que partout ailleurs, on peut y voir l'impact de la puissance de l'impérialisme américain - imposé sur plus d'un siècle d'interventions militaires, d'occupations, et de pressions politiques.

Avec ses escadrons de la mort, ses prisonniers politiques et son abjecte pauvreté, c'est une vitrine ouverte sur la croisade de Bush pour la liberté. Quiconque nourrit des illusions sur les buts visés par Washington dans des pays comme l'Irak, le Liban, la Syrie et l'Iran ferait mieux de tourner les yeux vers Haïti pour voir le véritable visage de la mission «démocratisante» de l'impérialisme américain.



 

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