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Entrevues avec des manifestants le 10 mars

Par notre correspondant
15 mars 2005

Jeudi le 10 mars a été jour de grève générale en France. Un million de travailleurs ont participé à des centaines de manifestations partout en France. Les travailleurs se sont mobilisés contre les attaques du gouvernement Raffarin sur la semaine de 35 heures et pour des hausses de salaires.

Une équipe de reporters du WSWS est intervenue à la manifestation de masse à Paris. Ils ont diffusé 7.000 tracts d'une déclaration du WSWS publiée à l'occasion de la mobilisation précédente du 5 février et interviewé des travailleurs à la manifestation.

Le WSWS a parlé à Jean-François Reul, 51 ans, technicien commercial à la SNCF, les chemins de fer français, et membre du syndicat CGT à Montluçon

Le but de la manifestation c'est principalement de se battre pour les 35 heures, pour l'augmentation générale des salaires parce que depuis 25 ans de modération salariale, on a ras-le-bol dans ce pays. En 1980 lorsqu'on donnait 5 francs aux salariés, on donnait 8 francs aux actionnaires. Et maintenant pour 5 euros qu'on donne aux salariés, on donne 26 euros aux actionnaires et ça, ce n'est plus tolérable. Il faut absolument qu'on partage le gâteau et ce n'est pas normal que dans ce pays, les 40 pourcent des Français les plus riches gagnent autant que les 60 autres pourcent. Si on se console, c'est qu'elle est de moins en moins nombreuse, la bourgeoisie, et donc, plus facile à liquider.

Je pense que la bourgeoisie veut remettre en cause tous les acquis qu'on a obtenus en 1945 à la libération, tous les acquis qui étaient issus du mouvement de la résistance. Elle pense qu'elle peut s'attaquer aux acquis sociaux indéfiniment. Mais je pense que les salariés jusqu'à maintenant ont une barrière dans la tête, qu'il faut sauter. La barrière c'est de croire que les revendications ne sont pas acceptables. Il y a beaucoup de gens qui disent qu'on ne peut pas demander 1400 euros tout de suite, mais à mon avis, on peut demander 1400 euros et plus. La bourgeoisie peut payer. Et il y a suffisament de profit, suffisament dargent. On peut enfin donner des salaires décents aux travailleurs et je pense qu'il faut s'acheminer vers une nationalisation sans compensations de tout ce qui fait partie de la production.

Le problème quand même c'est que depuis janvier il y a un nombre d'actions - depuis le premier novembre. Un jour par mois. On peut donc dire que le mouvement ne s'essouffle pas et dans la durée les gens sont prêts à mettre le paquet. On s'y voit? Bien que cest le moment à jamais de porter un coup fatal à la bourgeoisie. Je pense qu'il faudra s'appuyer sur le Non au référendum européen pour justement s'appuyer sur un mouvement social radical et qu'il faut construire déjà comme perspective politique de dire Non au référendum, à la constitution qui était prévue par Giscard, qui n'a jamais écarté du commerce, et qui ferait de l'Europe le 52me état des États-Unis.

Je pense que la direction des syndicats, elle fait comme elle peut avec les syndiqués. Parce qu'il y avait beaucoup de syndiqués qui étaient en grève le 19 janvier et qui ne peuvent plus faire grève aujourdhui pour les raisons financières. Et je pense que ces gens-là, ils sont avec nous, même s'ils n'étaient pas capables de venir aujourdhui. Je pense quand même que je connais le gouvernement - je commence à me méfier : c'est une réforme après l'autre : les soins, les intermittants du spectacle, les lycéens, les ouvriers du public, les ouvriers du privé. Je pense qu'il faut se poser la question, il faut s'apercevoir que le capitalisme ne fonctionne plus dans ce pays. Quand en plus on s'apercoit que certaines personnes disent qu'il faut travailler plus pour gagner plus -les travailleurs ont fait depuis longtemps l'expérience : quand on travaille en plus, on gagnait moins. Donc je pense que la vieille poudre que jette le gouvernement ne va pas durer, elle va se dissiper. Je crois et j'espère en l'avenir de la classe ouvrière dans les mois qui viennent.

La grève générale n'est pas facile à organiser tout de suite. Personnellement, je suis tous les jours dans les entreprises et je vois difficilement l'organisation d'une grève générale parce qu'il n'y a pas de perspective politique claire derrière. C'est la principale difficulté. Mais enfin je pense que quand même on a des ressources, des possibilités pour influencer largement la politique du gouvernement.

Je pense que dans un système capitaliste comme le nôtre, on peut avoir des énormes zéros de liberté pour les salariés, et qu'il faut persister dans cette voie. Je ne pense pas que la direction de la CGT soit contre une grève generale. Au contraire. Je me dis : comment faire une grève générale? Est-ce qu'il faut faire des mouvements archi-suivis par 100 pourcent des cheminots sur une journée? Ou avoir un mouvement qui maintient la grève generale mais avec seulement 1 pourcent de grévistes. Il faut penser à ça aussi.

Je pense que les gens ont compris que le capitalisme est une arnaque. On a vu s'effondrer à l'Est un système qui était socialiste et qui était parfaitement dégénéré. Mais le modèle que nous présente l'occident capitaliste ne représente rien. On voit uniquement les États-Unis, qui sont capables de se traîner de crises en guerres, de guerres en crises. On a attaqué l'Iraq. À quand la Syrie? À quand le Liban? On se pose la question. Le capitalisme porte en lui la guerre comme les nuages portent les orages. On a fait le constat que c'est une arnaque. C'est un régime qui est dangereux pour le genre humain.

Je pense qu'il y a un avenir pour la gauche en ce pays. Pour moi, le parti socialiste est complètement pétrifié et est pour le oui à cette Europe-idée. Il y a d'autres militants du PS isolés qui sont pour le non consultatif.

Je pense que le PCF ne représente que 5 pourcent des électeurs dans ce pays. Quelque part les salariés ne sont représentés par que 5 pourcent de la classe politique. Et c'est le principal problème dans ce pays. Parce que l'extrême-gauche a toutes les peines du monde à émerger, à proposer des alternatives claires, pour lesquelles les salariés pourraient se battre.

Je suis contre une Europe des frontières qui n'ont plus de sens. Je suis pour une Europe des travailleurs, une Europe socialiste, et pas une Europe qui soit un simple marché commun où il y a concurrence sauvage entre les travailleurs, les pays les plus faibles et les pays les plus avancés.

Je pense qu'on peut le faire par l'union des travailleurs. Je pense qu'il y a une conférence européenne des syndicats dans laquelle on peut avancer. Il faut voir, il faut toujours se battre, la vie est un combat continu, n'est-ce pas? Il faut se rendre compte qu'on n'est peut-être qu'au début des prémisses d'une situation pré-révolutionnaire mais il faut continuer à battre le fer quand il est chaud.

Plus loin dans la manifestation, l'équipe du WSWS a rencontré M. Mateus, enseignant à l'écloe primaire de Montfermeil près de Paris.

Dans la réforme de l'enseignement mise en oeuvre par le gouvernement actuel, on accentue l'économie capitaliste, on va vers une éducation qui sera pour les riches et une éducation qui sera pour les pauvres. Et les pauvres, ils iront dans les usines parce qu'ils nont pas la possibilité d'accéder à une éducation comme les riches. Je sais que c'est un peu manichéen comme vue, mais cest malheureusement vers ça à long terme.

Le principe c'est de former des travailleurs, pas former des gens qui réfléchissent. Pour limiter les révoltes de la société d'en bas. Si on te proposerait un petit boulot, ça ira et aux autres on leur permettrait de réfléchir, mais uniquement les élites. Ça va maintenir une société de plus en plus élitiste, avec une partie qui est riche et une partie qui doit subir et qui ne saurait plus comment se révolter.

Ce n'est pas impossible qu'il y avait des agents manipulés dans la manifestation de mardi des lycéens. Ce n'est pas la premiere fois que ça arrive dans une manif. Le gouvernement une fois de plus essaie de passer en force son projet. C'est simple pour lui de mettre en avant la casse pour stigmatiser les jeunes une fois de plus.

La manif d'aujourd'hui, ce n'est pas seulement les 35 heures. C'est les services publics, surtout ça. Ce qu'on veut à la poste, à la RATP (transport en commun), à la SNCF (chemins de fer), c'est maintenir un service public de qualité. Or l'État, le gouvernement en place actuellement ne nous donnent pas du tout la possibilité d'avoir un service public de qualité. Parce que partout, c'est la réduction d'emplois.

Il ne faut pas avoir uniquement les fonctionnaires qui le défendent. Il faut avoir tous les bénéficiaires des services publics, ça veut dire toute la population francaise qui ne peut plus bénéficier d'un service public de qualité.

On parle de construire l'Europe, mais il faut savoir de quelle Europe on parle. Si c'est une Europe économique au détriment de tout système social, c'est clair que ça pose problème et c'est vrai qu'on parle de mondialisation, c'est tout à fait ça. Cet accord signé à Barcelone par M. Jospin et M. Chirac à l'époque, où on veut privatiser tous les services publics.

On a l'impression que les représentations syndicales ne sont plus vraiment écoutées par les dirigeants. C'est un constat, c'est triste et ça veut dire que peut- être il faut revoir la manière d'agir. C'est vrai qu'avec SUD, on essaie de sortir un peu du syndicalisme uniquement. On essaie d'aller au-delà, vers des associations comme ATTAC. On essaie de voir autre chose que la vision syndicale, on essaie d'agir aux associations ou dans la société elle-même, parce qu'on pense qu'on ne peut pas changer le monde uniquement nous. Moi je suis dans l'éducation et tout seul je ne peux pas changer le monde. Il faudra que je me tourne vers d'autres personnes que les syndicats. Et les associations je pense que c'est intéressant.

ATTAC importe énormément parce qu'au niveau international, ils ont des points d'appui et on voit bien que maintenant ce n'est pas uniquement la France qui est touchée, c'est quelque chose d'européen et de mondial, et il faut aller vers d'autre formes de mouvements. Je pense que c'est nécessaire.

J'ai l'impression personnellement quant à la gauche francaise, le Parti socialiste et les verts, quand M. Jospin était en pouvoir on n'a pas eu l'impression non plus d'être réellement défendus. On a un peu le sentiment que Gauche ou Droite, on arrive aux mêmes problèmes pour les travailleurs. C'est la même chose. Bon on espère toujours, mais c'est vrai que notamment le parti socialiste qui est le parti qui représente le plus des électeurs à gauche, beaucoup de gens à gauche ont perdu confiance en lui. C'est vrai, ça, c'est une réalité.

Un mouvement international ne sera pas forcément une mauvaise chose. Mais il ne pas laisser tomber la vision nationale parce que tous les gens se connaissent et il y a un tissu dans chacun des pays qui fait qu'on peut être mobilisés plus facilement. Mais il y a des choses spécifiques aux Francais, les 35 heures, le service public, donc le cadre national doit rester, mais pas uniquement.