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Éruption de violence dans les états américains de Wisconsin et de Géorgie : pathologie d'une société en pleine crise

Par Patrick Martin
16 mars 2005

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Les violents incidents qui se sont produits vendredi et samedi derniers en Atlanta, Géorgie et Brookfield, Wisconsin, occupent les médias américains depuis plusieurs jours. Et avec raison : le meurtre de sept personnes lors d'un service religieux au Wisconsin et de quatre personnes à un palais de justice d'Atlanta sont les plus récentes manifestations d'un phénomène de plus en plus commun et troublant en Amérique: l'éruption d'une violence apparemment fortuite et auto-destructrice.

La couverture des médias ne permet pas de comprendre la signification sociale de ces événements, mais sert à l'obscurcir. Les deux tireurs, Brian Nichols à Atlanta et Terry Ratzmann au Wisconsin, sont en effet présentés comme des cas isolés d'individus uniquement entraînés par leurs propres pathologies, et non comme les fruits d'une société qui se retrouve de plus en plus plongée dans un état de dysfonctionnement, de crise interne et de brutalité.

Dans le cas du Wisconsin, des reportages initiaux ont suggéré que l'élément déclencheur de l'assaut mené par Ratzmann aurait pu être de nature financière - il était sur le point d'être mis à pied de son emploi comme technicien informatique - ou lié à la dépression dont il souffrait. Des comptes-rendus ultérieurs laissent croire que Ratzmann ne faisait qu'achever un contrat pour la firme de placement où il travaillait et pouvait s'attendre à être affecté ailleurs, et qu'il n'était pas déprimé au sens clinique du terme.

L'attention s'est plutôt tournée vers les croyances religieuses particulières de l'église dont faisait partie Ratzmann, et où il a ouvert le feu avec un pistolet semi-automatique de calibre 22, tuant six personnes avant de se suicider.

En Atlanta, les médias se sont surtout concentrés sur les failles évidentes de sécurité au palais de justice. Nichols, un ancien athlète de 210 livres, a pu maîtriser l'adjointe du sherrif qui l'accompagnait, saisir son pistolet, tuer trois personnes et s'enfuir du tribunal du comté de Fulton, où il comparaissait pour viol et risquait la prison à perpétuité s'il était trouvé coupable. Il a par la suite tué une quatrième personne et pris son véhicule, avant de se rendre à la police.

Des rapports ont fait état de grossière négligence: l'assaut sur l'adjointe du sherrif a été capté sur caméra mais personne ne surveillait le moniteur. Les cassettes de surveillance montrent également Nichols fuyant à pied, mais la police a quand même émis une alerte à propos de la Honda verte dont le conducteur aurait été frappé par Nichols dans le garage du tribunal. Mais le véhicule n'a jamais quitté le garage.

L'affaire d'Atlanta survient après le double meurtre du mois dernier à Chicago, où le mari et la mère d'un juge fédéral ont été tués. Bien qu'un groupe pour la suprématie blanche ayant menacé le juge était initialement soupçonné, ce crime semble maintenant avoir été commis par un plaideur éconduit par le juge, Bart Ross. Un ancien patient du cancer qui avait échoué dans sa tentative de poursuivre ses médecins pour mauvaise pratique, Ross s'est tué d'une balle le 9 mars près de Milwaukee, laissant une confession détaillée.

Le cas de Ross, comme celui de Nichols, implique un individu qui a flanché sous une énorme pression - dans ce cas, la douleur causée d'abord par le cancer, puis par le traitement radioactif et la chirurgie qui lui ont sauvé la vie, mais l'ont laissé défiguré et dans une douleur continuelle. Les commentaires de voisins et de connaissances dressent le portrait d'un homme sombrant graduellement dans la folie, allant fois après fois en cour contre le mauvais traitement qu'il aurait reçu de médecins, hôpitaux, avocats et juges.

Ross devait plus de 18.000 dollars en cartes de crédit non payées. Il a dû vendre sa maison pour ensuite la louer, avant d'en être expulsé et devoir passer les dernières semaines de sa vie dans une mini-fourgonette.

La juge Joan Lefkow a statué l'année dernière que ses réclamations n'avaient pas «le moindre fondement», mais elle a exprimé de la sympathie personnelle pour l'homme, victime d'une maladie l'ayant laissé «physiquement défiguré, dans une intense et constante douleur et au chômage». Ross a quand même concentré sa rage sur elle : il a localisé son foyer dans le nord de Chicago, s'y est rendu et a pénétré en cachette, puis a tué son mari et sa mère lorsqu'ils l'ont découvert.

Les événements d'Atlanta et de Chicago ont donné lieu à des appels tout à fait prévisibles en faveur d'un renforcement des mesures de sécurité entourant les juges et les cours de justice. Comme toujours en Amérique, la réponse de l'establishment politique et des médias à toute violente tragédie est de réclamer plus de policiers et plus de mesures de répression, poursuivant ainsi l'érosion continuelle des droits démocratiques. (Plus précisément, l'incident d'Atlanta a été l'occasion pour plusieurs d'exiger la fin d'une pratique locale consistant à enlever leurs chaînes aux prisonniers avant qu'ils ne comparaissent en cour, une pratique humaine établie pour éviter de prédisposer le jury contre les accusés.)

Il semble indiscutable que les actes de Ratzmann soient liés à ses croyances religieuses. Il était membre de l'Église vivante de Dieu, un dérivé, via de nombreux schismes au cours des deux dernières décennies, de l'Église mondiale de Dieu, fondée par feu Herbert W. Armstrong à Pasadena, Californie, et influente dans les milieux évangéliques grâce à sa revue, Toute la vérité, et aux émissions de télévision d'Armstrong, «Le monde de demain».

Après la mort d'Armstrong, son église a graduellement abandonné l'accent qu'elle mettait à se préparer pour une imminente fin du monde et s'est dirigée vers des positions évangéliques plus conventionnelles. Les dissidents de l'église, y compris l'Église vivante de Dieu, ont cherché à garder l'accent mis sur le «temps de la fin» qui s'en venait et la séparation des adhérents de l'église du reste de l'humanité, qui était vue comme condamnée dans les prochaines «grandes tribulations».

L'église voit les gens de filiation européenne nord-occidentale comme les descendants des dix tribus bibliques perdues d'Israël - une conception théologique qui est incorporée sous une forme plus extrême dans les vues racistes des groupes pour la suprématie blanche tels que les Nations ariennes.

Ratzmann aurait été rendu furieux par un récent service à l'église, en février, qui comprenait un sermon enregistré du chef de l'église, Roderick C. Meredith, avertissant que les événements annonçant la fin du monde «commençaient à se produire de plus en plus fréquemment». Il a exhorté ses fidèles à rembourser les dettes sur leurs cartes de crédit et à mettre de côté assez d'argent liquide pour couvrir les dépenses quotidiennes pour au moins 60 jours, «en cas d'effondrement soudain du système bancaire ou autre urgence semblable». Un membre de l'église a déclaré à la police que Ratzmann est parti au beau milieu du service, «l'air vexé».

Des témoins occulaires et des expertises médicales laissent croire que Ratzmann a ciblé le pasteur de son église, Randy L. Gregory, 51 ans, ancien ingénieur chez IBM, ainsi que son fils de 17 ans James, et les a descendus d'un coup de feu chacun avant d'ouvrir le feu sur la foule des fidèles rassemblée à l'église. Il a continué à tirer de façon méthodique, s'arrêtant même une fois pour recharger, jusqu'à ce qu'il ne lui reste que quelques balles. Il s'est alors suicidé.

Quant au tireur d'Atlanta, sa belle-soeur a décrit Brian Nichols comme étant une «bonne personne», ajoutant: «Il ne venait pas d'une famille brisée. Ce n'est pas quelqu'un qui errait dans les rues et était toujours en prison. Il a grandi en menant une bonne vie.» Élevé dans une famille noire aisée de la classe moyenne, Nichols a fréquenté deux facultés différentes mais a décroché des deux, dans un cas après avoir été accusé de voies de fait, dans l'autre après avoir été renvoyé de l'équipe de football pour vol.

Nichols vivait dans la région d'Atlanta depuis 1995 et son emploi le plus récent a été en tant que technicien informatique chez une filiale de United Parcel Service. Il a perdu cet emploi en septembre dernier après avoir été arrêté et accusé de viol. Son ex-copine l'a accusé d'avoir pénétré de force chez elle, de l'avoir attachée à l'aide de bande adhésive et de l'avoir sexuellement agressée pendant trois jours, tout en étant armé d'un pistolet chargé. Il a été en détention dans la prison du comté de Fulton pour les six derniers mois, mais le procès où il devait répondre aux accusations a été annulé la semaine dernière pour cause d'erreur de procédure. Le nouveau procès, où il faisait face à une sentence de prison à vie s'il était trouvé coupable, devait commencer le jour même où Nichols a maîtrisé l'adjointe du sherrif et s'est emparé de son pistolet.

Bien que Nichols ne s'est pas suicidé comme Ratzmann, l'auto-destruction semble certainement avoir été son objectif. Il a pénétré dans la salle d'audience qui devait entendre son cas et a délibérément abattu le juge et le greffier du tribunal. Il avait ensuite peu d'espoir d'échapper vivant du palais de justice du comté de Fulton. Lorsqu'il a néanmoins réussi à s'enfuir, il n'a pas vraiment cherché à échapper à la massive opération policière lancée dans tout le nord de la Géorgie. Il a dit à la femme qu'il a pris en otage, pendant qu'il regardait des reportages télévisés sur la chasse à l'homme: «Regardez-moi dans les yeux, je suis déjà mort».

La façon dont Nichols a traité Ashley Smith, la femme qu'il a gardé prisonnière pendant plusieurs heures, a montré un tout autre aspect de sa personnalité que sa folie meurtrière au palais de justice. Il aurait eu de longues discussions avec Smith, répondant avec sympathie lorsqu'elle lui a raconté sa vie de jeune veuve ayant un petit enfant - son mari ayant été poignardé quelques années plus tôt ­ et l'a éventuellement laissé partir, sachant qu'elle appellerait les gendarmes. Quand ils sont arrivés, il a agité un linge blanc et s'est rendu sans offrir de résistance.

On pourrait bien sûr énumérer de nombreuses différences superficielles entre les homicides de Géorgie et du Wisconsin. L'un a pris place dans une ville du sud, l'autre dans une banlieue du nord. Un tireur était noir, l'autre blanc. L'un a visé les représentants de l'état (un juge, un greffier de tribunal, une ajdointe au sherrif, un officier des douanes), l'autre a dirigé sa rage contre des membres de sa propre église. L'un s'est tué sur la scène de sa tuerie, l'autre a fui, pris un otage puis s'est rendu sans incident.

Les deux hommes étaient techniciens informatiques mais avaient par ailleurs une histoire sociale très différente.

Nichols a eu une enfance plus confortable, son père un homme d'affaires et sa mère une employée au Bureau interne du revenu. Il a fréquenté des collèges privés et fait plusieurs années de faculté. Ratzmann faisait face à des difficultés économiques. Nichols avait des antécédents de violence, et était en prison et accusé d'assaut sexuel sur son ex-copine. Ratzmann, non marié et partageant un foyer avec sa mère et sa soeur adulte, n'avait aucun casier judiciaire.

Par le prisme de telles différences typiques liées à la biographie personnelle et aux circonstances, c'est une tendance sociale qui s'exprime ici. Le caractère exceptionnel des plus récents événements ne tient pas à leur aspect sanglant mais au grand nombre de victimes. Si Ratzmann et Nichols avaient «seulement» tué une personne avant de s'enlever la vie, leurs actes auraient été à peine notés. De telles tragédies prennent place tous les jours aux États-Unis. Loin d'être des événements isolés, les tueries en Géorgie et au Wisconsin mettent en lumière un modèle de conduite qui doit avoir des racines sociales plus profondes.

Les tensions qui agitent la société américaine - aggravées par les problèmes de finances personnelles, de rapports familiaux, de santé et même de recherche d'un sens à la vie - ne trouvent aujourd'hui aucune issue positive ou progressiste. Il n'y a aucun grand mouvement politique ou social qui puisse offrir un espoir et une perspective positive à la grande majorité du peuple américain qui n'est pas riche et doit mener au fil des années une lutte de plus en plus dure pour joindre les deux bouts.

L'élite dirigeante ferme systématiquement la porte à toute expression de ces tensions sociales dans le cadre du système politique et économique existant. Les deux partis politiques officiels expriment seulement les intérêts de factions rivales de l'oligarchie financière. Les organisations telles que les syndicats et les groupes de défense des droits civiques, qui offraient autrefois une voie, aussi limitée fût-elle, pour l'affirmation des intérêts des opprimés, ont été complètement neutralisées.

Le système légal, dernier recours d'hommes désespérés comme Bart Ross, se referme lui aussi. Le Congrès actuel a déjà adopté des lois interdisant la plupart des recours collectifs, et est à la veille de passer une loi sur les faillites qui enlèvera ce recours traditionnel des petits hommes d'affaires en faillite et d'un nombre croissant de travailleurs et gens de la classe moyenne. Le prochain élément sur la liste est une «réforme de la mauvaise pratique médicale» visant à empêcher les victimes d'erreurs ou négligences médicales de se tourner vers les tribunaux.

L'une après l'autre, les valves de sécurité sont fermées. Mais les tensions sociales sous-jacentes continuent de gonfler, alimentées par le fait essentiel de la vie américaine, à savoir: l'énorme et grandissante polarisation sociale, l'accumulation de grandes richesses entre les mains d'une petite minorité et les conditions de vie de plus en plus ardues pour des dizaines de millions de travailleurs. Cette crise sociale se révèle pour l'instant surtout par les actes d'individus instables, où des questions de tempérament, de trouble mental ou de délire religieux jouent un rôle important. Mais ces tensions sociales doivent au bout du compte trouver une expression plus large et politiquement consciente. Cela demande la construction d'un mouvement politique de masse par le bas, qui percera l'atmosphère régnante de réaction politique et culturelle et remettra en cause un ordre capitaliste moribond et déshumanisant.



 

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