World Socialist Web Site www.wsws.org

wsws : Nouvelles et analyses : Europe

France: l'extension des émeutes anti-police provoque une crise gouvernementale

Par Antoine Lerougetel
Le 4 novembre 2005

Les émeutes et affrontements nocturnes, en banlieue parisienne, entre la police et des jeunes, principalement d'origine nord africaine et africaine, entrent dans leur deuxième semaine. Un millier de policiers furent déployés mercredi soir en Seine-Saint-Denis, au nord-est de Paris, et la moitié des quarante villes du département furent touchées par la violence. Des coups de feu furent tirés sur des policiers. Un porte-parole officiel décrivit ces événements comme un début de guerre civile.

Les conflits ont provoqué une grave crise pour le gouvernement français. Le premier ministre, Dominique de Villepin, a reporté sa visite au Canada et le ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy, a annulé sa visite en Afghanistan et au Pakistan. Des réunions d'urgence du gouvernement se sont tenues pour discuter de la situation.

Les émeutes éclatèrent dans la soirée du 27 octobre suite à la mort par électrocution de deux jeunes qui avaient escaladé et s'étaient introduits dans un transformateur électrique. Le décès des deux adolescents de Clichy-sous-Bois, (nord-est de la banlieue parisienne de la Seine-Saint-Denis), déclencha des affrontements entre les jeunes et 400 à 500 policiers et CRS que Sakozy y avait dépêchés. Depuis, manifestations et affrontements violents avec des policiers armés se poursuivent toutes les nuits et se sont étendus à d'autres banlieues ouvrières.

Les émeutes sont le produit d'une extrême pauvreté, d'un chômage de masse et d'une campagne sécuritaire haineuse et ouvertement raciste orchestrée par Sarkozy. Ce dernier passe pour le principal rival de Chirac au sein de l'union gaulliste UMP (Union pour un mouvement populaire) et son principal adversaire susceptible de le remplacer après les prochaines élections présidentielles. Sarkozy a envoyé la police armée dans des quartiers pauvres immigrés et a employé des termes tels que « racaille » qu'il faut « nettoyer au Kärcher » pour en décrire habitants.

Un conseil des ministres se tint mercredi ainsi qu'une réunion des députés gaullistes de l'Assemblée nationale. Durant la séance de questions à l'Assemblée nationale, des députés du Parti socialiste (PS) et du Parti communiste (PCF) critiquèrent Sarkozy qui resta de marbre. Les députés l'accusèrent d'être l'instigateur d'une explosion sociale du fait de sa politique sécuritaire et de ses propos provocateurs. De Villepin répondit à sa place en essayant de présenter un front gouvernemental uni. Il fut cependant largement rapporté que, lors de la réunion des gaullistes, des députés avaient vivement attaqué Sarkozy.

Lors du conseil des ministres, Chirac demanda à ce qu'un projet de loi d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine soit accéléré. Il démit Sarkozy de sa responsabilité pour le projet de loi sur la prévention de la délinquance et le confia à de Villepin qui annonça aussitôt qu'il travaillerait à mettre en place « l'égalité des chances » et un « plan d'action » pour l'emploi des jeunes en Seine-Saint-Denis, département qui regroupe Clichy et nombre de communes similaires qui sont le théâtre des dizaines d'émeutes depuis le 27 octobre. De Villepin est le rival le plus probable de Sarkozy aux élections présidentielles de 2007.

Le langage provocateur, employé par Sarkozy contre les jeunes des cités, fait partie de sa tentative de mobiliser un mouvement de droite et raciste sous sa direction et celle de l'UMP. Il espérait ainsi non seulement assurer son succès dans l'élection présidentielle mais obtenir également un soutien populaire pour ses attaques contre la classe ouvrière visant à briser la résistance de cette dernière face à la destruction de l'état providence et du droit au travail.

Depuis l'entrée en fonction, en 2002, de ce gouvernement, Sarkozy a été le meneur d'une campagne visant à réduire les droits des accusés et à étendre les pouvoirs de la police. Il créa des brigades de police spéciales pour les envoyer dans les cités à problèmes.

Ceci est allé de pair avec des campagnes médiatiques de stigmatisation des jeunes immigrés et des efforts en vue d'attiser un sentiment anti-islamique dont l'interdiction du port du voile « islamique » à l'école fut la pièce maîtresse. Cette loi fut passée en 2004 avec le soutien de la quasi-totalité de l'establishment politique, y compris le Parti socialiste.

Plus de deux décennies d'une politique d'austérité et d'attaques accélérées contre les conditions de vie et les droits des travailleurs appliquée par des gouvernements successifs ­ dirigés par les partis officiels de « gauche » ou par la droite ­ ont exacerbé les tensions sociales jusqu'au point de rupture.

Le taux de chômage national chronique de 10 pour cent dépasse facilement les 50 pour cent dans certaines cités parisiennes. La politique du gouvernement gaulliste favorisant la précarité de l'emploi et les contrats à durée déterminée est encore aggravée et rendue insoutenable par les réductions drastiques des allocations chômage. L'augmentation des prix du gaz et de l'essence a également contribué à accroître la pression économique sur ces communautés.

La réaction de masse qui se produisit la nuit de la tragédie dans le quartier du Chêne-Pointu a gagné de nombreuses autres cités de la banlieue parisienne. Ces derniers jours, de petits groupes de jeunes ont brûlé voitures et poubelles, attaqué des pompiers qui tentaient d'éteindre des incendies et n'ont cessé de s'affronter avec les policiers.

Le gouvernement redoute que les émeutes parisiennes ne déclenchent des soulèvements plus importants dans tout le reste du pays. Non seulement les villes de la Seine-Saint-Denis furent touchées, mais aussi des cités de la grande banlieue parisienne du Val d'Oise et des Yvelines.

Les tensions furent encore davantage attisées quand une grenade lacrymogène fut tirée dans une mosquée le 31 octobre. La nuit suivante on compta 1 250 voitures brûlées et au moins une école primaire saccagée.

On rapporte déjà qu'à Pau, dans le quartier de l'Ousse des Bois, près de la frontière espagnole à mille kilomètres de Paris, des jeunes s'en sont pris à la police durant trois nuits consécutives.

En dépit des inquiétudes exprimées dans les cercles dirigeants, il y a unanimité pour dire qu'il est nécessaire d'avoir recours à une répression toujours plus massive pour venir à bout des troubles. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, dit que le gouvernement devait réagir «avec fermeté » tandis que le député UMP, Jacques Myard, se plaignit de ce que le gouvernement avait fait preuve de faiblesse pour avoir « accepté, petit à petit, que chaque nuit des jeunes brûlent des voitures, détruisent des entreprises et ainsi de suite. Ces gens-là vont utiliser n'importe quel prétexte pour créer des émeutes, manifester et détruire ».

Bien qu'ils montent au créneau et semblent critiquer les excès de Sarkozy tout en appelant à renforcer les services sociaux que le gouvernement a diminués, le Parti socialiste, toutes tendances confondues, les Verts et le Parti communiste font appel à la police pour en finir avec les émeutes.

Dominique Strauss Kahn du Parti socialiste, ancien ministre du gouvernement de la Gauche plurielle de Lionel Jospin (1997-2002) et candidat potentiel à l'élection présidentielle de 2007, déclara au micro d'Europe 1, « Je condamne totalement les incidents de Clichy-sous-Bois. En matière de sécurité, il faut avoir une attitude extrêmement ferme et utiliser à la fois la répression et la prévention. »

Le Parti socialiste et le Parti communiste ont dirigé nombre de ces municipalités durant des décennies. Ils y ont maintenu la paix pour le compte de la classe dirigeante française alors que les conditions s'y détérioraient. Ils sont complices de la politique d'austérité et du renforcement de la police qui sous-tendent cette explosion de colère de la part des jeunes opprimés et appauvris qui secoue actuellement la France.