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Rassemblements interdits à Paris

Par Antoine Lerougetel
Le 14 novembre 2005

Le préfet de police de Paris, Pierre Mutz, a interdit pour une durée de 22 heures « tout rassemblement de nature à provoquer ou entretenir le désordre sur la voie et dans les lieux publics. » L'interdiction est entrée en vigueur dans la capitale de samedi matin 10 heures à dimanche matin 8 heures et ce en dépit du fait que les émeutes dans la capitale et dans les banlieues aient considérablement diminué.

Cette violation arbitraire des droits démocratiques ­ durant le long week-end du 11 novembre célébrant l'anniversaire de l'armistice de la Première guerre mondiale ­ était censée avoir pour but d'empêcher toute extension des émeutes des cités ouvrières de la banlieue parisienne vers le centre de Paris même. Trois mille policiers furent mobilisés afin de faire respecter l'interdiction. Les émeutes des jeunes se poursuivent et se sont étendues à d'autres villes partout en France depuis le 27 octobre quand deux jeunes, fuyant la police, décédèrent suite à une électrocution à Clichy-sous-Bois, (nord-est de la banlieue parisienne de la Seine-Saint-Denis).

Le 11 novembre, Mutz déclara à la presse, « Ce texte, entériné par le ministre de l'Intérieur, est de nature à offrir avant tout un cadre juridique fort et dissuasif aux policiers et gendarmes qui ont reçu des consignes de grande fermeté. Maintenant, il faut savoir dire «Ça suffit» à ceux qui envisageraient de provoquer des émeutes dans Paris.»

Le prétexte avancé par Mutz pour la mise en place de cette interdiction, sur ordres du ministrede l'Intérieur, Nicolas Sarkozy, est d'une fragilité extrême. Dans son communiqué on peut lire que les mesures furent adoptées « conformément à l'article 8 de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence afin de prévenir les troubles à l'ordre public. » Selon une source policière il est dit que « Des messages diffusés depuis quelques jours sur l'Internet et par SMS ont appelé le 12 novembre à des rassemblements dans Paris et à 'des actions violentes' selon les termes de leurs auteurs.»

Une source policière déclara à la presse : « De nombreux jeunes se donnent rendez-vous à Paris, aux Halles, sur les Champs-Elysées, à l'Arc de triomphe, à Bastille, République et ailleurs pour en découdre. » Les Renseignements généraux, police politique, rapportèrent que les « appels les plus repris visent surtout les Champs-Elysées et Bastille, samedi après-midi, l'un d'eux évoque 'la plus grande émeute qu'on n'ait jamais vue'. »

Il y a, bien sûr, de fortes chances que de tels messages soient l'uvre de provocateurs. En effet, des cocktails Molotov auraient été lancés contre la Mosquée de Carpentras, région où l'extrême droite sévit.

Le quotidien Libération pose la question dans son éditorial du 12 novembre au sujet de l'interdiction : « est-elle une simple application du principe de précaution ou une dramatisation inutile et mal intentionnée? » De toute façon, « la plus grande émeute » n'eut pas lieu.

La préfecture de police, autorité mettant en application les décisions prises par le ministère del'Intérieur, expliqua que l'interdiction devait avoir « un effet dissuasif, préventif pour renforcer les sanctions si des gens venaient à Paris. » En cas de non-respect, des peines allant de : « huit jours à deux mois d'emprisonnement et/ou une amende de 3 750 euros Ce n'est pas pour empêcher d'honnêtes citoyens de se promener dans Paris. Ce ne sont pas les rassemblements en tant que tels qui sont visés. »

Libération commenta : « D'ailleurs, le 'rassemblement' d'associations tels Act Up, DroitsDevant et le Mrap, samedi à 17 h 30 place Saint-Michel, 'contre les logiques coloniales et les lois d'exception', reste autorisé. En revanche, les 'zy-va' à casquette pourraient ne pas y couper, au risque pour les policiers de verser dans le délit de faciès. »

Un sit-in sur la Place du Champ de Mars, près de la Tour Eiffel, et auquel avaient appelé les dirigeants des associations communautaires de la banlieue parisienne, organisés en un collectif Banlieues Respects, fut également autorisée le 12 novembre. Un porte-parole, Zouair Ech-Chetouani, précisa : « Nous demandons aux jeunes de cesser la violence, et d'aller s'inscrire sur les listes électorales. » Un dépliant distribué par les organisateurs appela à « «demande[r] au président de la République et au gouvernement une écoute forte et sincère auprès des jeunes des quartiers. » La manifestation qui ne rassembla que quelques 300 personnes fut qualifiée de fiasco par les organisateurs.

Le Figaro commentant les pouvoirs arbitraires et excessifs que la loi de 1955 confère à Sarkozy et à ses chefs de police, remarqua le 12 novembre : « L'interdiction mise en oeuvre ce samedi par le préfet de police de Paris est une mesure d'exception qui peut être prise en l'absence d'application de loi de 1955 mais doit être alors 'dûment motivée'. En 2004, la présence de nombreux chefs d'État étrangers à Paris, venus pour assister aux cérémonies commémoratives du soixantième anniversaire du Débarquement en Normandie, avait ainsi conduit à une mesure similaire en divers lieux de la capitale. Cette fois, tout le territoire de la capitale est concerné. Et les amendes encourues sont plus lourdes, du fait de l'application de l'état d'urgence. »

La seule conclusion possible est qu'il y a bien plus à l'ordre du jour que le simple contrôle de quelques jeunes émeutiers pour lesquels les mesures sécuritaires existantes suffisent largement. Le mécontentement social engendré par les attaques incessantes contre les droits des travailleurs et le niveau de vie s'exprime à présent sous les formes les plus diverses : émeutes, grèves et dans les urnes.

Des défenseurs des droits civiques ont fait connaître leur inquiétude quant aux mesures sécuritaires. Pour Ferdinand Mélin-Soucramanien, professeur de droit public, la notion « de réunion de nature à provoquer ou entretenir le désordre » est en effet ' si vague ' qu'elle permet tout. » L'arrêté « viole au moins la liberté de réunion et de manifestation. On pouvait s'y attendre, car le décret de 1955 a précisément pour but de suspendre les droits fondamentaux. On utilise un moyen disproportionné pour rétablir l'ordre républicain. »

Michel Tubiana, ancien président de la Ligue des Droits de l'Homme, lance un avertissement quant aux « risques de dérapages: La préfecture de police de Paris donne les moyens aux forces de l'ordre d'interdire ce qu'elles veulent, comme elles veulent... Il est à craindre que les policiers voient plus dans un groupe de 3 ou 4 garçons un tant soit peu basanés une réunion de nature à troubler l'ordre que dans un rassemblement de Blancs. Cet arrêté autorise tous les arbitraires. »

Sarkozy fut déjà obligé de suspendre huit policiers qui furent filmés alors qu'ils infligeaient des coups à un homme interpellé et menotté. Un policier fut écroué, et les quatre autres furent mis en examen.

Les pouvoirs que la loi de 1955 confère aux préfets des départements, autorités représentant le gouvernement, ainsi qu'aux mairies, sont extrêmement étendus. Le conseil des ministres peut instaurer l'état d'urgence sur tout ou une partie du pays. Les préfets des départements sont habilités à imposer le couvre-feu. La police a l'autorisation de procéder à des fouilles de dépôts d'armes présumés. Le ministre de l'Intérieur peut faire procéder à des assignations à domicile de tous ceux susceptibles d'entraver l'ordre public. Les lieux publics peuvent être fermés ­ cafés, clubs, salles et bâtiments religieux. Des perquisitions à domicile peuvent être effectuées de jour comme de nuit. Les autorités peuvent contrôler les média, les représentations de films et de théâtre.

Conformément à la loi de 1955, les couvre-feux sont entrés en vigueur dans cinq départements français où des enfants mineurs de moins de 16 ans n'ont plus le droit de sortir après 22 heures à moins d'être accompagné par un adulte. Certains maires ont instauré le couvre-feu dans leur commune de leur propre initiative et conformément à la loi normale.

Le gouvernement débat d'une éventuelle prorogation de la durée de deux semaines du couvre-feu - au-delà du 20 novembre ­ prévue par la loi de 1955. Ceci nécessiterait l'adoption d'un projet de loi par l'Assemblée nationale.

Le nombre de voitures incendiées durant la 16ème nuit (du 11 au 12 novembre) de violences urbaines en France avait augmenté par rapport à la nuit précédente en passant de 463 à 502 dont 86 à Paris. Le reste se répartissant sur tout le territoire. Paris avait enregistré 111 voitures brûlées durant la 15ème nuit.

Michel Gaudin, directeur général de la Police nationale, a remarqué que la situation en Ile de France était redevenue quasiment normale. Il rapporta que 206 personnes furent interpellées durant la nuit sur l'ensemble du pays ramenant le chiffre total à 2 440 depuis le 27 octobre. Jusque samedi, 457 mineurs furent présentés au juge des enfants et 101 furent placés sous mandat de dépôt. 558 personnes furent écrouées.