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France: état d'urgence prorogé de trois mois

Par Pierre Mabut et Antoine Lerougetel
17 novembre 2005

La décision du gouvernement français de proroger de trois mois l'état d'urgence, instauré le 9 novembre pour une durée de 12 jours, représente une menace grave à l'encontre des droits civils et démocratiques. Il n'y a pas de précédent, dans l'histoire récente de la France, d'un gouvernement s'arrogeant des pouvoirs d'exception.

Le prétexte pour cette mesure extraordinaire est la vague de protestations violentes contre la répression policière de la part de jeunes des quartiers appauvris de la banlieue parisienne et d'autres villes de France. Les émeutes débutèrent le 27 octobre et sont en diminution ces derniers jours.

L'explosion de rage, provoquée par la pauvreté enracinée, la discrimination, les insultes de la police et les remarques ouvertement racistes du ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy, a été contrée par une répression policière massive de la part du gouvernement. Depuis le début des émeutes, la police a procédé à 3 000 arrestations et 1 700 CRS sont postés dans les cités de banlieues.

A présent, le gouvernement gaulliste du président Jacques Chirac et du premier ministre Dominique de Villepin se saisit de ces troubles pour établir un précédent de formes de gouvernance autoritaire ayant de graves conséquences pour les droits démocratiques de la population française dans son ensemble.

L'état d'urgence a été prorogé suivant les dispositions d'une loi de 1955, qui jusqu'aujourd'hui n'avait pas été invoquée depuis un demi siècle dans l'hexagone. La décision fut prise le 15 novembre au matin par le Conseil des ministres, et votée l'après-midi par l'Assemblée nationale. L'état d'urgence confère à l'Etat français des pouvoirs répressifs, habituellement associés à une situation de guerre civile.

La mesure fut votée à l'Assemblée par 346 voix contre 148. Le parti gaulliste UMP (Union pour un mouvement populaire) ainsi que l'UDF (Union démocratique de France) de centre-droit votèrent pour, tandis que le Parti socialiste, le Parti communiste, les Partis d'extrême gauche et les Verts votèrent contre. Le Sénat, contrôlé par l'UMP, entérinera la décision jeudi.

Suivant les dispositions de la loi, le gouvernement peut ordonner à la police de procéder à des arrestations massives. Le gouvernement peut interdire les manifestations et censurer les médias. La police est autorisée à perquisitionner et restreindre les mouvements des personnes sans devoir fournir de preuves ou de raisons justifiant de telles actions.

La loi de 1955 était le produit de l'assujettissement colonial brutal de l'Algérie, et n'a jamais auparavant été appliquée dans l'hexagone. Le gouvernement gaulliste l'invoque à présent pour préparer ses forces répressives à des confrontations sociales et politiques majeures avec la classe ouvrière.

Le président Chirac, en présentant à son cabinet la prorogation de l'état d'urgence, insista sur la nature "strictement temporaire" de la mesure. La longueur extraordinaire de cette prorogation, cependant, contredit son affirmation.

Le journal Libération, proche du Parti socialiste, titra son éditorial du 16 novembre de « Etat policier ? ». L'éditorial exprimait les craintes de couches de l'élite gouvernante que de telles mesures ne réussiraient pas à contenir la rébellion. « Il faut en effet beaucoup d'aveuglement au ministre de l'Intérieur pour croire qu'une législation d'exception puisse être un remède efficace à l'explosion de rage qui a enflammé les banlieues. Ou que l'état d'urgence puisse soigner les maux du racisme, du chômage, et des injustices qui sont aux racines du malaise français La prorogation est inutile et peut même s'avérer dangereuse. »

S'efforçant de rallier le soutien pour les mesures policières, le gouvernement cherche à attiser des sentiments racistes et anti-immigrés. Lorsqu'il présenta à l'Assemblée nationale la prorogation de l'état d'urgence, le ministre de l'Intérieur Sarkozy annonça que des procédures avaient été mises en uvre pour déporter dix étrangers impliqués dans les émeutes. Il a promis d'expulser tout étranger impliqué dans les troubles, qu'il soit ou non en possession d'un permis de résidence. En fait, sur les 3 000 personnes interpellées, seulement 120 s'avèrent être des étrangers.

Christian Lambert, chef des CRS, dit à la presse que ses forces seraient à l'avant-garde d'une nouveau type de police : « Nous allons reconquérir ces territoires Ce ne sera pas une police qui serait là juste pour dire bonjour aux commerçants, mais une police pour patrouiller et sécuriser les quartiers Le ministre a choisi d'envoyer les CRS dans les endroits les plus difficiles. Nous sommes des fonctionnaires hautement entraînés, expérimentés et endurcis. »

Les émeutes ont été décrites comme une question concernant uniquement les immigrés, mais en fait, l'agitation sociale des salariés contre la privatisation des services publics et d'autres attaques contre le niveau de vie est au premier plan dans l'esprit du gouvernement. Le mois dernier, une grève générale d'un jour a fait descendre dans la rue les foules les plus importantes, depuis des années, de travailleurs et de jeunes, si tôt après la rentrée, et le 21 novembre les cheminots de la SNCF ont prévu de se mettre en grève contre les plans de privatisation et pour une augmentation des salaires.

Le gouvernement s'est servi de la révolte des jeunes pour voir jusqu'où il peut aller. Les CRS ont délibérément provoqué les jeunes dans la banlieue parisienne de Clichy-sous-bois, le 31 octobre, afin de laisser couver l'agitation. Le régime a instauré un état d'urgence de douze jours et instauré des couvre-feux. Il a aussi fermé des sites Internet. Ensuite, le 12 novembre, il y a eu une interdiction de 22 heures de tous rassemblements et manifestations à Paris. Le jour suivant, le projet de prorogation de trois mois de l'état d'urgence a été annoncé.

Pendant toute cette période, les syndicats, le Parti socialiste, le Parti communiste, les Verts et les soi-disant partis d'extrême-gauche, la Ligue communiste révolutionnaire et Lutte ouvrière, ont refusé d'exiger le retrait des CRS des cités ou d'appeler à une lutte pour faire tomber le régime gaulliste, encourageant de ce fait le gouvernement à intensifier ses mesures répressives.