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Les résultats des élections allemandes provoquent la consternation au sein de l'establishment politique français

Par Antoine Lerougetel
Le 27 septembre 2005

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L'échec d'Angela Merkel, qui n'a pas été en mesure d'arracher une victoire pour les conservateurs du Parti chrétien-démocrate (CDU) lors des élections législatives en Allemagne, a provoqué une onde de choc dans l'ensemble du monde politique français. L'opposition de la classe ouvrière allemande à la poursuite de la politique néolibérale et au démantèlement de l'Etat-providence est la continuation de la même résistance qui s'était exprimée dans le rejet de la Constitution européenne par 55 pour cent d'électeurs français le 29 mai dernier.

La remontée du Parti social-démocrate d'Allemagne (SPD), dont les sondages avaient prévu, juste avant le vote, des résultats bien inférieurs à 30 pour cent, est due non pas à une approbation de son bilan et programme, mais à un effort des électeurs de trouver un moyen de battre Merkel qui entend bien continuer approfondir précisément ce bilan et ce programme.

L'élite politique française considère les résultats allemands comme un grave revers pour ses projets d'attaque frontale contre les droits et le niveau de vie des travailleurs. Ceci fut exprimé le plus franchement et le plus lucidement par François Fillon, l'un des partisans les plus ardents de Nicolas Sarkozy à la droite l'Union pour un mouvement populaire (UMP). Dans une interview accordée le 19 septembre à Europe1 il qualifia le résultat des élections allemandes d'« extrêmement grave ». Il dit, « Les deux moteurs de la construction européenne souffrent des mêmes maux. Nous avons dans les deux pays une vraie crise de confiance à l'égard des institutions, à l'égard des partis politiques qui traditionnellement gouvernent Ces deux grands pays, qui ont dominé l'économie mondiale, sont heurtés de plein fouet par la mondialisation et tardent à engager les réformes qui permettraient de mieux résister à cette mondialisation' ». Il ajouta que la politique de Gerhard Schröder était « déjà une politique très libérale », reconnaissant parfaitement que les résultats des élections sont un rejet de l'élite politique allemande dans sa totalité.

En tant que ministre dans le précédent gouvernement conservateur de Jean-Pierre Raffarin, Fillon avait mis en oeuvre sans scrupules des changements dans les conventions collectives et la réforme du système de retraites de 2003, mesure la plus grave pour les droits des travailleurs, appliquée par ce gouvernement. Sitôt après la décision de Nicolas Sarkozy de remplacer la vieille garde gaulliste entourant le président Jacques Chirac et de transformer l'UMP en un parti populiste de droite, Fillon se rangea de son côté. Suite à l'échec du référendum et au remplacement de Raffarin par Dominique de Villepin, qui avait été nommé par Chirac, Fillon fut évincé du gouvernement. Il déclara que cela le libérait lui permettant ainsi de travailler à plein temps pour le succès de Sarkozy.

Le gouvernement de Villepin, ce dernier étant à présent désigné dauphin de Chirac ainsi que adversaire probable de Sarkozy, et figurant également sur la liste des candidats de l'UMP pour les élections de 2007, s'est embarqué dans un programme d'attaques graves contre les droits et les conditions de travail des salariés. Il vient d'ailleurs d'émettre des instructions aux agences pour l'emploi (ANPE) visant à réduire les allocations chômage de tout salarié qui refuserait un emploi proposé : 20 pour cent au premier refus, 50 pour cent pour au second et 100 pour cent au troisième ; ceci est assorti d'un nouveau contrat prévoyant une période « d'essai » de deux ans pendant laquelle le salarié pourra être licencié sans justification ­ créant ainsi les conditions de super-exploitation des salariés par les employeurs.

Sarkozy avait misé sur la victoire de Merkel pour entamer un virage à droite prononcé de l'axe de la politique communautaire européenne accompagné d'un démantèlement massif et brutal des droits des salariés, des réductions d'impôts pour les hommes d'affaires et les riches, ainsi qu'un recours croissant à la répression policière pour contenir le désordre social. Tout ceci conférerait à la fois une impulsion considérable à son effort de transformer l'UMP en un vaste parti populiste de droite et à son objectif de rapprochement franco-allemand Sarkozy -Merkel avec Tony Blair et George Bush.

Sarkozy affirme que sa ligne politique et son élection au poste de président de la République créerait une rupture avec le modèle égalitaire français. Les droits ne devraient pas être universels et acquis automatiquement, mais mérités par le travail et accordés aux plus méritants, déclara-t-il en clôture de l'université d'été de l'UMP, le 3 septembre. Il rejeta catégoriquement l'égalité comme un principe de la vie politique et sociale française en proposant «Un modèle où le nivellement, l'égalitarisme, le saupoudrage n'auront plus leur place, un modèle où le travail sera la base de tout La république ce n'est pas donner à chacun la même chose. C'est pour l'Etat de donner à chacun selon ses handicaps et selon ses mérites. C'est par l'équité que l'on arrive à l'égalité »

C'est là un appel aux forces les plus réactionnaires et arriérées de la société française. Non seulement c'est un encouragement à des attaques encore plus massives contre les droits des travailleurs et un renforcement supplémentaire des pouvoirs des employeurs et de l'Etat, mais cela correspond aussi à une attaque ouverte contre l'idéologie de l'Etat français en répudiant la devise centrale de la République française, le lien symbolique avec le siècle des Lumières et la confiance dans le progrès remontant à la Révolution française : « Liberté, Egalité, Fraternité ».

Les politiciens français ne rompent ouvertement avec ses aspirations, généralement ignorées par les gouvernements bourgeois successifs, que lorsqu'ils espèrent rallier les forces contre-révolutionnaires, renoncer au consensus politique et à la démocratie bourgeoise pour les remplacer par la coercition et la dictature. Le défi lancé par Sarkozy au consensus social va de pair avec l'affirmation de Margaret Thatcher : « Et bien, savez-vous, la société, ça n'existe pas. Il y a des individus, hommes ou femmes et puis il y a des familles ». Le dernier régime en date à avoir pratiqué ceci était celui du maréchal Philippe Pétain, chef du régime de Vichy qui avait collaboré avec les nazis entre 1940 et 1944.

Les déclarations néolibérales extrêmes de Paul Kirchhof, conseiller économique de Merkel, contribuèrent à l'effondrement de son avance apparemment imbattable dans les sondages du début (plus de 20 pour cent) par rapport au SPD de Schröder. Cet état de fait eut pour conséquence que certains partisans de Sarkozy mirent en doute le style provocateur de l'engagement de ce dernier à rompre avec le modèle traditionnel de la politique française. Patrick Devedjian, député UMP et sarkoziste, dit que les élections montrèrent qu'il fallait faire preuve de « pédagogie ». «Les mesures fiscales ont été déformées », précisa-t-il, en se référant aux attaques démagogiques de Schröder contre Kirchhof. Il poursuivit en disant «Pour l'UMP, cela constitue une indication sur la méthode plus que sur le fond ».

Hervé Mariton, partisan UMP du libéralisme, dit de l'élection allemande qu'elle représentait «une alerte sur le terme de la rupture.Les gens nous demandent des gestes ambitieux, mais ils ne croient pas aux ruptures trop fortes».

Le journal de droite, Le Figaro se lamenta, «L'Allemagne est paralysée Par leur refus de choisir clairement, les électeurs allemands ont compromis l'assainissement de l'économie la plus puissante de notre continent. Ils sont aussi en train de pousser l'Union européenne dans une longue période de immobilisme politique, au moment où il serait urgent de se ressaisir après le non français à la Constitution».

L'éditorial poursuit ainsi : « Ceux qui sont conscients de la nécessité de moderniser une économie incapable de créer des emplois sont à peu près aussi nombreux que ceux qui refusent d'en payer le prix. Ceux qui veulent rétablir une relation de confiance avec l'allié américain sont à peu près aussi nombreux que ceux qui voient en George W. Bush un repoussoir».

La crainte de la droite quant à l'aliénation d'une grande partie de la population et sa résistance active est partagée à tous les niveaux dans le monde politique, au même titre que la peur que la capacité des bourgeoisies allemande, française et de l'Union européenne à être compétitives sur la scène mondiale n'ait été fortement affaiblie par l'échec de Merkel.

Le journal de centre-gauche Libération et celui de centre-droite Le Monde, qui durant des décennies s'étaient voués à maintenir une acceptation consensuelle des institutions de la Cinquième République au sein du projet de libre marché de l'Union européenne, exprimèrent une profonde inquiétude et indignation devant le rejet de la Constitution européenne par le peuple français. Le ton est similaire pour ce qui est des résultats des élections allemandes.

L'éditorial de Libération du 19 septembre exprime des craintes quant aux conséquences politiques d'une éventuelle grande coalition en Allemagne : « Ce n'est pas forcément un avantage pour ce pays où la confusion des rôles entre majorité et opposition, comme ailleurs, ne peut qu'alimenter les extrémismes de tous poilsL'Allemagne entre dans ce club de nations où la capacité de nuisance des protestataires et radicaux bloque le jeu régulier des alternances et paralyse les politiques de long terme.» En phase avec la ligne directrice du Parti socialiste, l'article continue « l'on a abusivement prétendu que les programmes électoraux du SPD et de la CDU étaient identiques», reportant ainsi le blâme sur le nouveau groupe dissident, le Linkspartei (le Parti de la gauche) qui en prenant de nombreuses voix au SPD « handicape désormais les chances du SPD de revenir au pouvoir.»

Pierre Moscovici, ancien ministre des Affaires européenne dans le gouvernement Jospin et membre influent de la majorité interne au Parti socialiste et partisan du « oui » au référendum sur la Constitution européenne, fit l'éloge de Schröder pour avoir sauvé le SPD : « Il a tiré son parti des abîmes. Son leadership est incontestable». Moscovici affirma «La responsabilité du Linkspartei d'Oskar Fontaine est directe et complète dans l'échec de la gauche ».

Jean-Luc Mélenchon parla au nom de la « gauche » du PS de l'ancien premier ministre Laurent Fabius, d'Arnaud Montebourg et d'Henri Emmanuelli qui avaient tous voté en faveur du « non » à la Constitution européenne. Il répliqua que « Schröder et les siens sont seuls responsables du désastre.». Après avoir blâmé Schröder, il repoussa immédiatement les implications de ses remarques et rejeta la nécessité d'une rupture totale avec « les sociaux libéraux ». Il exhorta à l'unité avec des partisans de l'austérité sociale et du néolibéralisme tels Hollande et Jospin : «Plus que jamais, il faut tout faire pour éviter une rupture entre les deux gauches en France».

Le Monde avertit que « l'Allemagne entre dans une période d'incertitude » et accuse aussi les dirigeants du Parti de la gauche, Oskar Lafontaine et Gregor Gisy pour leur contribution «à l'échec du centre gauche» et la fin d'une situation où le « paysage politique allemand avait été stable pendant des décennies ».