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Le gouvernement canadien et les médias se servent d’un présumé complot terroriste pour mettre de l’avant un programme de droite

Par Keith Jones
9 juin 2006

Depuis samedi, les Canadiens ont été saturés par la couverture médiatique du démantèlement d’un soi-disant complot terroriste islamique, qui aurait supposément impliqué une prise d’assaut des bâtiments du Parlement canadien. Le gouvernement, la police et la presse soutiennent que ce présumé complot est la preuve que le Canada se trouve en première ligne sur le front de la «guerre au terrorisme».

Le World Socialist Web Site insiste pour que toutes les affirmations du gouvernement et de la police concernant le présumé complot terroriste, ainsi que les révélations et spéculations supplémentaires fournies par les médias, soient traitées avec la plus grande prudence et avec un haut niveau de scepticisme. Aucun des soi-disant faits présentés par les autorités ne peut être accepté sans examen critique.

L’expérience à propos des déclarations gouvernementales concernant des complots terroristes sensationnalistes semblables -- du premier compte-rendu de Washington au sujet du supposé complot à la «bombe sale» de José Padilla aux affirmations effrayantes de Londres au sujet des plans terroristes de Jean Charles de Menezes, un travailleur d’origine brésilienne qui avait été tué par la police de Londres en juillet 2005 -- justifie tout à fait l’adoption d’une attitude critique envers les affirmations du gouvernement canadien dans le dossier actuel. Dans ces derniers dossiers, et dans d’autres, les affirmations initiales se sont avérées par la suite être hautement douteuses ou carrément fausses.

Vendredi soir dernier et samedi matin, quatre cents officiers de police, de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et de plusieurs forces policières de la région de Toronto, ont exécuté une série de descentes, arrêtant 17 personnes provenant de divers milieux ethniques. Cinq des personnes qui ont été arrêtées avaient moins de 18 ans, et leurs noms ne peuvent être divulgués sous la Loi des jeunes contrevenants. Parmi les douze adultes, la moitié ont 21 ans ou moins et seulement deux ont plus de 25 ans.

Les adultes font face à une multiplicité d’accusations sous la Loi antiterroriste draconienne votée en décembre 2001, dont: faire partie d’une organisation terroriste, recevoir un entraînement d’une organisation terroriste, et recruter et entraîner des personnes pour le compte d’une organisation terroriste. Parmi les adultes, six sont accusés d’avoir voulu causer une explosion et des dommages corporels.

Le gouvernement conservateur fédéral, les dirigeants de la GRC et les médias ont tous incité les Canadiens à demeurer calmes et à ne pas stigmatiser la communauté musulmane du pays pour les présumés méfaits de quelques-uns. Mais ces affirmations sont démenties par leurs actions, qui ont été calculées pour engendrer la peur et la panique, justifier une augmentation des budgets pour la police et les forces de sécurité et légitimer la mission de contre-insurrection des Forces armées canadiennes dans le sud de l’Afghanistan. 

Le gouvernement, la GRC et le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) ont décrit le soi-disant complot comme une imminente et grave menace aux vies canadiennes -- un exemple effrayant d’une forme de terrorisme «de l’intérieur» particulièrement difficile à débusquer et à empêcher. Bien que les autorités aient été avares de détails au sujet du complot terroriste, les médias ont amplifié leurs déclarations pour créer un véritable raz-de-marée de reportages sensationnalistes.

Samedi, lors d’un discours devant du personnel militaire, le premier ministre conservateur Stephen Harper a bien accueilli les arrestations, faisant remarquer que son gouvernement avait récemment augmenté les dépenses canadiennes pour la sécurité et déclarant que le Canada se faisait attaquer pour ses valeurs démocratiques. «Comme nous l’avons dit à plusieurs reprises», a affirmé Harper, «le Canada n’est pas immunisé contre la menace terroriste»

Le Toronto Star pro-libéral offre un bon exemple de l’attitude que les médias de la grande entreprise ont adoptée envers la communauté musulmane après la découverte d’un supposé complot terroriste islamiste. Le comité éditorial du Star a déploré l’attaque par des vandales d’une mosquée de la région de Toronto samedi soir, mais a ensuite déclaré qu’il incombait à la «communauté musulmane elle-même» de prévenir un «contrecoup possible» contre les musulmans.

Le World Socialist Web Site n’est pas en position de dire s’il y a une part de vérité dans les accusations de la police et du gouvernement que les personnes arrêtées ont comploté pour réaliser des attaques terroristes. Mais deux bribes d’informations importantes divulguées suggèrent d’une part que les déclarations officielles selon lesquelles un danger imminent guettait les Canadiens, que les hommes sous arrestation ont, dans les mots du commissaire adjoint de la GRC, «la capacité» aussi bien que l’intention de commettre un assassinat de masse, sont, à tout le moins, grossièrement exagérées; et d’autre part, que les autorités ont soit laissé le complot aller de l’avant, s’il a jamais existé en fait, soit l’ont facilité dans le but d’en retirer un maximum de publicité.

Premièrement, il est clair que le SCRS et la GRC ont surveillé étroitement plusieurs si ce n’est la plupart des individus arrêtés pendant des mois, peut-être des années, et que les principaux représentants gouvernementaux sont depuis longtemps au courant de l’opération sécuritaire visant ce groupe. Le ministre à la Sécurité des communautés de l’Ontario, Monte Kwinter, et le premier ministre ontarien Dalton McGuinty ont supposément été informés par des responsables de la sécurité «il y a quelques mois déjà». Les commentaires du chef intérimaire du Parti libéral fédéral, Bill Graham, qui jusqu’aux dernières élections en janvier dernier était un des plus importants ministres du gouvernement libéral de Paul Martin, a indiqué qu’il avait entendu parlé de l’opération sécuritaire depuis plus longtemps encore. Graham a dit à des journalistes que l’opération de l’État contre la soi-disant conspiration «dure depuis une année maintenant et était très certainement quelque chose dont il avait été informé».

Deux membres de la soi-disant conspiration ont été arrêtés l’été dernier pour avoir tenté de faire passer en fraude deux armes semi-automatiques des États-Unis au Canada. Ils ont plus tard plaidé coupables et purgent présentement une peine de deux ans de prison.

Selon un reportage paru dans le National Post de mardi, des membres de l’unité militaire canadienne d’élite entraînée pour les opérations spéciales, la Force opérationnelle interarmées 2, mieux connue par son acronyme anglais JTF-2, étaient prêts à faire un raid sur le «camp d’entraînement» qu’ont tenu les soi-disant terroristes dans l’Ontario rural l’hiver dernier. Selon la source du Post, les commandos du JTF-2 étaient déployés «à quelques minutes du camp». Le quotidien continue: «Essentiellement, ils étaient en état d’alerte au cas où les choses seraient devenues hors de contrôle et que la police ne pouvait plus s’en occuper.» Selon d’autres reportages, les soi-disant terroristes se sont rendus dans une région boisée près du village de Washago pour se pratiquer avec des fusils à peinture et s’entraîner au tir d’armes à feu.

Deuxièmement, il est apparu que les soi-disant terroristes ont été piégés par la police. Les descentes policières du week-end dernier ont commencé peu après que certains membres du groupe eurent reçu livraison de ce qu’ils croyaient être trois tonnes de nitrate d’ammonium, un engrais courant. Une tonne du même produit, comme la police et la presse l’ont constamment répété, fut utilisé par Timothy McVeigh en 1995 dans l’attentat à la bombe d’Oklahama City qui avait tué plus de 150 personnes.

Il est maintenant connu du public que ce sont des agents doubles qui ont procuré la substance aux soi-disant terroristes, ne leur donnant pas en fait de nitrate d’ammonium. Ceci soulève toute une série de questions sur la façon dont la police a appris que les accusés cherchaient à obtenir du matériel pour construire des bombes et si des informateurs de la police ou des agents provocateurs ont eux-mêmes suggéré que les accusés obtiennent ce nitrate d’ammonium.

L’opération policière arrive à un moment opportun pour le gouvernement conservateur de Harper, qui fait face à une grande opposition publique à ses plans de se rapprocher de l’administration Bush et d’élargir l’intervention des forces armées canadiennes en Afghanistan.

Le parlement est également en train de réviser les nouveaux pouvoirs accordés à la police et aux forces de sécurité sous la Loi anti-terroriste. La GRC et le SCRS ont été critiqués pour avoir mené une série d’investigations anti-terroristes visant des personnes innocentes, la plus connue étant celle de Mahar Arar.

Des fonctionnaires du gouvernement Harper et de l’administration Bush se sont échangé des compliments suite au présumé succès de l’opération anti-terroriste du week-end dernier. Le premier ministre Harper a remercié le président américain lors d’une conversation téléphonique lundi pour l’assistance fournie par les autorités américaines. Des fonctionnaires de l’administration Bush citent les événements au Canada pour souligner leurs avertissements d’une possible attaque terroriste aux États-Unis avant la fin de l’année.

Avant le week-end dernier, une seule autre personne avait été arrêtée sous la nouvelle Loi anti-terroriste du Canada. Le ou les procès des personnes arrêtées le week-end dernier vont fort probablement mettre à l’épreuve la nouvelle loi, qui permet aux procureurs de cacher la preuve aux accusés et à leurs avocats au nom de la protection de la sécurité nationale.

Les avocats des accusés protestent déjà contre le fait qu’on les a empêchés de rencontrer leurs clients en privé et que la présomption d’innocence de leurs clients a été compromise. L’avocat Donald McLeod a fait savoir qu’il n’avait pu parler à son client qu’à travers une fenêtre vitrée et en présence de représentants de l’État.

Gary Batasar, qui représente Steven Chand, un commis de restaurant de 25 ans, a accusé les autorités canadiennes et l’administration Bush de semer la frayeur publique.

«Il me semble», a dit Batasar, «que l’objectif, que ce soit à Ottawa ou Toronto ou à Crawford, Texas ou Washington, D.C, est de faire régner la peur chez la population. C’est précisément pourquoi tout le monde est ici aujourd’hui, et c’est dommage.»

Il a critiqué Harper pour avoir exprimé son «bonheur» suite à l’arrestation de son client. «En fait, il est certainement surprenant et choquant d’entendre les commentaires du premier ministre lui-même concernant son bonheur de voir ces personnes arrêtées. Je crois que le premier ministre devrait se tenir à l’écart du processus et laisser la justice suivre son cours.»






 

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