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France: la candidate probable du Parti socialiste à la présidentielle veut que les jeunes perturbateurs soient encadrés par l’armée

par Antoine Lerougetel
13 juin 2006

Le 31 mai, Ségolène Royal, ancien ministre socialiste de la famille, s’est présentée comme la candidate sécuritaire pure et dure pour les élections présidentielles de 2007. Royal a fait un discours à Bondy, banlieue nord de Paris, proche de Montfermeil et Clichy-sous-bois, scène de deux nuits d’émeutes contre la police par les jeunes du quartier, la veille et l’avant-veille.

Elle a accusé Nicolas Sarkozy, actuel ministre de l’intérieur, de ne pas être suffisamment ferme. Critiquant Sarkozy, elle a déclaré, «Aujourd’hui on le voit, l’échec de la politique de sécurité est flagrant. C’est l’échec de son principal responsable qui est un facteur de trouble, de désordre et d’inefficacité Il faut une autre politique, beaucoup plus ferme.»

Sarkozy est le président du parti gaulliste UMP (Union pour un mouvement populaire) au pouvoir et candidat bien placé à l’investiture du parti pour la présidence. Il est responsable des lois accroissant les pouvoirs de répression et de surveillance de la police et poursuit des méthodes policières agressives et provocatrices dans les cités HLM habitées par la classe ouvrière.   

Les déclarations de Royal, signifiant l’abandon ouvert par le Parti socialiste d’une approche de réformisme sociale, face à la crise des jeunes dans les ghettos urbains, en faveur d’une politique de répression, ont été reconnus par beaucoup comme un virage à droite significatif. Le soutien en paroles que le Parti socialiste a apporté aux principes humanitaires est à présent jeté aux orties.

Le moraliste du dix-septième siècle, François duc de la Rochefoucault observait: «L’hypocrisie est l’hommage que le vice rend à la vertu.» Même les formes traditionnelles de l’hypocrisie sont maintenant abandonnées par de larges couches de la gauche officielle au sein de l’establishment politique.

Royal a fait ses remarques dans le contexte d’une crise du gouvernement gaulliste qui va en s’amplifiant. Face à l’opposition de masse, il avait été forcé de reculer, en avril, sur la question du CPE (contrat première embauche), mesure qui aurait accordé des pouvoirs de licenciement arbitraires aux patrons de jeunes travailleurs. Depuis, les cotes de popularité du président Jacques Chirac et du premier ministre Dominique de Villepin sont au plus bas, sans compter qu’ils sont mêlés à de multiples scandales de corruption.

Avec ses paroles dures à l’encontre les jeunes issus de l’immigration et de la classe ouvrière, Royal a lancé un signal fort aux cercles dirigeants français et européens leur signifiant que leurs intérêts seraient en de bonnes mains sous un gouvernement du Parti socialiste qu’elle présiderait.

En même temps, sa position autoritaire, dirigée nominalement contre Sarkozy, accorde de la crédibilité à la politique réactionnaire associée à l’aile droite de l’UMP au pouvoir. C’est, de plus, une attaque indirecte au mouvement de masse des étudiants et lycéens contre le CPE. Une de leurs revendications était l’amnistie pour tous ceux qui avaient été victimes de répression policière et avaient été condamnés par les tribunaux, non seulement au cours de leur propre mouvement mais aussi pour les jeunes punis pour leur participation alléguée dans les émeutes anti-police qui s’étaient répandues dans les banlieues ouvrières et immigrées de toute la France à l’automne dernier.

Depuis septembre dernier, Royal est mise en avant par les médias comme la candidate de tête pour devenir celle qui portera les couleurs du Parti socialiste aux élections présidentielles de 2007. Cela donne à penser que des forces puissantes de l’élite politique et des affaires en France soutiennent son annonce de couper les liens passés du Parti socialiste avec le réformisme social démocrate et de placer le parti carrément dans l’optique du marché capitaliste, à la manière du «New Labour» du premier ministre britannique Tony Blair.   

Lisant ses notes, dans une intervention soigneusement préparée, Royal a dit dans son discours de Bondy qu’il était nécessaire de «remettre au carré les familles», expression à connotation militaire. Elle a dit que les enfants perturbateurs sont peut-être «en échec mais il n’y a pas de place pour la commisération.» 

En appelant à des actions disciplinaires contre les parents d’écoliers perturbateurs, elle a proposé «un stage de parentalité obligatoire, et la mise sous tutelle des allocations familiales, comme c’est le cas actuellement, mais dans une logique éducative avec pour objectif la réintégration sociale»

En matière d’éducation secondaire, elle a suggéré «retirer les huit ou dix élèves perturbateurs font la loi et qui pourrissent la totalité du collège.» Ils seraient placés «d’office dans des internats-relais. Des internats éducatifs de proximité.»

La proposition la plus draconienne de Royal était réservée aux jeunes délinquants de plus de 16 ans, qui, a-t-elle déclaré, seraient placés dans des institutions militaires. Elle a exigé que dès le «premier acte de délinquance» ils soient placés «d’office dans un service à encadrement militaire à vocation humanitaire.» Elle a ajouté: «Pour eux, ce serait donc le retour du service militaire obligatoire où ils réapprendront la citoyenneté.»  

La direction nationale du Parti socialiste, réunie le 6 juin, a incorporé l’essentiel des propositions de Royal dans l’avant projet du programme du parti pour les élections de 2007, mais a retiré sa référence au militaire. De cette façon, le parti a adopté une position autoritaire.

Les gaullistes et l’extrême droite ont immédiatement reconnu ceci. Sarkozy a commenté: «Bravo, Madame Royal, vous êtes sur le bon chemin» Le premier ministre Villepin a dit: «Je constate qu’elle avance dans des directions où d’ores et déjà nous agissons.»

Le député UMP de Saône-et-Loire a fait remarquer que «Madame Royal fait dans le registre ‘plus sarkozyste que moi, tu meurs’. Je n’ignore pas que la compagne de M.Hollande est fille d’officier.» Georges Fenech, député UMP du Rhône, a exprimé sa grande joie de voir que Royal «marque soudainement une rupture avec l’angélisme socialiste à toute épreuve» et a appelé de ses vœux «des centres de type militaire sur le modèle du ‘boot-camp de Chicago.» 

Carl Lang, député européen du Front national de Jean-Marie Le Pen s’est exclamé: «La lepénisation des esprits dépasse toute notre espérance.»

Lorsque Royal a été prise à parti par des sections du Parti socialiste qui se sentaient mal à l’aise devant une adhésion si ouverte à l’autoritarisme et ont critiqué la proposition d’un encadrement militaire, elle a riposté avec véhémence. «L’abolition du service militaire était une erreur. Il faut en inventer un autre», a-t-elle répondu. Elle a mis ses détracteurs au défi de déclarer la contradiction qui existait entre socialisme et les hommes qui portent l’uniforme. «Depuis quand l’uniforme des militaires, des gendarmes et des pompiers ne serait pas socialiste? Qui va sur le champ des catastrophes humanitaires dans le monde? Les militaires, les pompiers, les gendarmes... C’est à dire les professions sous uniforme.»

D’autres personnalités du Parti socialiste ont apporté leur soutien aux propositions de Royal. Julien Dray, porte-parole officiel du parti et ancien membre de la LCR (Ligue communiste révolutionnaire) a exprimé son accord, tout comme le maire socialiste de Paris, Bertrand Delanoë, et bien d’autres.

Manuel Valls, qui soutient la candidature de l’ancien premier ministre Lionel Jospin à l’investiture du Parti socialiste pour les élections présidentielles à venir, a dit:«Rien ne me choque dans ce que j’ai entendu, ce que j’ai lu de ses propos, c'est-à-dire de faire une priorité de la sécurité, l’autorité, la règle. Je ne pense pas qu’elle ait dérapé. Je pense qu’elle a tenu un discours clair qui est celui qui est attendu dans les quartiers populaires.»

François Hollande, concubin de Royal et premier secrétaire du Parti socialiste a déclaré: «Si on veut s’adresser aux catégories populaires, il faut parler aux gens qui vivent ces difficultés, c'est-à-dire la précarité et l’insécurité.» Il a ensuite pris ses distances par rapport au recours à l’armée de Royal.

François Chérèque, secrétaire général de la CFDT (Confédération française démocratique du travail) a dit aux médias que Royal «avait raison de soulever la question» de la lutte contre la délinquance, même si sa déclaration pouvait «choquer» Il a ajouté «la gauche commettrait une grosse erreur»si elle ne s’attaquait pas à ces questions. «Ce qui me choque c’est qu’on ne puisse pas en débattre», dit-il. Il a ajouté que son appel à l’encadrement militaire était «une expression un peu forte.» 

La CFDT est la confédération syndicale la plus importante de France. Elle est proche du Parti socialiste et a joué un rôle dominant dans l’Intersyndicale, groupement de 12 organisations étudiantes et ouvrières qui a tout fait pour étouffer le mouvement de masse contre le CPE.

Les médias ont réagi aux remarques de Royal en louant son «courage.» Les hommages à son «originalité» ont abondé, bien qu’elle ne fait rien que de recycler les vieilles recettes éculées longtemps considérées comme les chevaux de bataille des franges de l’extrême droite de la politique française.

Le Monde, généralement considéré comme le journal de centre gauche de l’intelligentsia bourgeoise a dit dans son éditorial du 3 juin:«L’audace de Madame Royal est réelle. Elle se moque des tabous, parle sans langue de bois et avance des propositions de nature à hérisser une grande partie de ses amis politiques. Le langage de la répression n’est pas le plus doux aux oreilles des socialistes et de la gauche en général.. Madame Royal a le mérite d’afficher clairement que la droite n’a pas le monopole de la sécurité. Voilà qui est à porter au crédit de la candidate putative du PS.» 

Le même jour, le Figaro, quotidien conservateur, a écrit dans un éditorial enthousiaste: «Elle a osé! Ségolène Royal a osé dire que l’insécurité était, avec le chômage, la principale cause de ‘souffrance sociale’» L’éditorial a ajouté que bien que les idées n’étaient pas neuves, «Venant d’où il vient ce discours est un événement :il s’inscrit en rupture complète avec l’angélisme ‘droit de l’hommiste’ qui, depuis le mitan des années 80 s’est imposé au PS sur les décombres d’un marxisme épuisé.» L’éditorialiste s’est félicité de voir que les valeurs longtemps tournées en dérision revenaient à la mode:«autorité, travail, famille, mérite, nation.»

Royal, 53 ans, est née au Sénégal, alors ancienne colonie française d’Afrique de l’ouest, fille d’un colonel d’artillerie. Son frère, militaire lui aussi, était impliqué dans le torpillage du bateau de Greenpeace, le Rainbow Warrior en Nouvelle Zélande en 1985 par des agents des services secrets français. Le bateau participait à des protestations contre les essais nucléaires dans le Pacifique du gouvernement socialiste du président de l’époque, François Mitterrand et du premier ministre Laurent Fabius.

Elle est diplômée de l’ENA (Ecole nationale d’administration, où est formée la majorité des élites politiques et de la fonction publique française) et en 1982 elle est devenue conseillère technique de Mitterrand. Elle est depuis plus de 25 ans la compagne de François Hollande et mère de quatre enfants.

Elle avait un poste de secrétaire d’Etat dans le gouvernement de gauche plurielle de Lionel Jospin (1997-2002) et est à présent présidente de la région Poitou-Charente depuis les élections régionales de 2004.

Elle représente une couche de technocrates et de personnels de direction qui s’est formée autour de Mitterrand. Nationaliste, farouchement hostile au marxisme et à toute perspective révolutionnaire indépendante de la classe ouvrière, cette couche s’est associée par le passé à la défense des droits des homosexuels, des droits des minorités et au féminisme, et s’est présentée comme le défenseur des principes démocratiques contre la montée du Front national de Le Pen.

Ce n’est plus le cas. Le virage à droite brutal des forces représentées par Royal fait partie d’un abandon plus général des principes démocratiques au sein de l’establishment politique de tous les pays capitalistes, poussés par une crise mondiale qui s’approfondit. Cette crise prend une forme particulièrement aiguë en France.