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Angleterre : leçons à tirer du raid antiterroriste de Forest Gate

Déclaration du Parti de l’égalité socialiste (Angleterre)
19 juin 2006

La libération de deux hommes arrêtés lors du récent raid effectué par la police dans le quartier londonnien de Forest Gate et qui sont innocents, met en évidence le caractère suspect de toutes les déclarations faites par le gouvernement, la police et les services de sécurité dans le cadre de leur «guerre au terrorisme».

Pour cette descente effectuée au petit jour dans un des quartiers immigrés pauvres de l’Est de la capitale britannique, on a mobilisé quelque 250 policiers. La police avait pris pour cible deux maisons où, selon certaines informations, se serait trouvée une fabrique de bombes chimiques que deux frères, Mohammed Abdoul Kahar et Abdoul Koyair auraient dirigée.

Le raid a été conduit avec brutalité. Cinquante policiers, certains armés, portant des uniformes noirs et des passe-montagnes, ont enfoncé la porte d’entrée et se sont précipités dans la maison sans avertir les occupants qu’ils étaient de la police. Quelques instants plus tard, Koyair a été blessé d’une balle dans l’épaule dans des circonstances qui restent mystérieuses. Il a été transporté d’urgence à l’hôpital et son frère emmené au commissariat «haute sécurité» de Paddington Green.

Les membres d’une autre famille habitant la maison attenante ont déclaré avoir été physiquement assaillis durant la descente; un homme a été sérieusement blessé à la tête et a dû être soigné à l’hôpital.

Quelques heures seulement après le raid, des questions ont commencé à être posées sur la manière dont il avait été conduit. Pourquoi tant de policiers? Pourquoi une zone d’interdiction de vol au-dessus du quartier où le raid avait lieu et pourquoi avait-on équipé la police de vêtements de protection alors qu’on ne s’est pas soucié d’évacuer ceux qui habitaient à proximité de la maison en question?

Une demi-journée après leur arrestation, les habitants de la maison voisine ont été tous relâchés sans qu’aucune charge ne soit retenue contre eux.

Il était évident au bout de vingt-quatre heures que la police n’avait trouvé aucun des produits chimiques et encore moins la ceinture d’explosifs que, selon certains, elle cherchait. On a appris que la descente avait été organisée sur la base d’allégations provenant d’une source d’information unique. Malgré cela on a donné le 7 juin à la police la permission de détenir les deux frères deux jours encore après l’expiration de leur mandat d’arrêt.

Expédient politique

Après la libération sans aucune charge des deux frères, le vendredi 9 juin au soir, d’autres informations relatives aux événements ayant précédé le raid sont apparues.

Un certain nombre d’articles de presse ont affirmé que le renseignement à l’origine du raid était un appel à l’assistance téléphonique antiterroriste affirmant que cette maison était le site de production d’un «gilet chimique» qui, en explosant, répandrait sur un large espace du cyanure ou du gaz sarin. Une affirmation franchement bizarre étant donné qu’une explosion entraînerait la destruction des produits chimiques utilisés et qu’on ne connaît pas jusqu’à présent d’exemple d’un tel engin.

L’article le plus accablant est celui publié le 11 juin par l’Observer et qui déclare que le gouvernement avait insisté pour que le raid ait lieu malgré le fait que la  police (Scotland Yard) avait averti les services secrets (MI5) qu’elle avait de «sérieuses réserves quant à la crédibilité» de la source du renseignement.

«Une source de Whitehall [le centre administratif du gouvernement] a dit à l’Observer hier soir que ces réserves étaient remontées jusqu’à de hauts responsables dans le cabinet de Sir Richard Mottram, le chef du Joint Intelligence Committee [comité de renseignement mixte] mais qu’ils avaient reçu l’ordre d’agir malgré les inquiétudes de la police».

« ‘La question n’était pas que l’information provenait d’une source unique, mais plutôt que la police avait des doutes quant à la fiabilité de cette source’, dit un responsable de Whitehall. ‘Le renseignement était douteux. Jeudi soir, [des heures avant le raid] il y avait des opinions conflictuelles quant à la solidité du renseignement’».

 « ‘À un certain moment on a fait comprendre aux  responsables du Cabinet Office [services du premier ministre] que la police considérait qu’on la mettait dans une position difficile à cause de la qualité de ce renseignement’».

L’article de l’Observer contenait une autre admission importante: « On a appris que la police ne s’attendait à trouver qu’un détonateur ou un mécanisme, non pas tous les éléments nécessaires à la fabrication d’une arme chimique. ‘Il aurait été inouï que des faiseurs de bombes fabriquent des bombes entières dans une maison familiale’, a dit une personne à qui la situation est familière» 

Si tel était le cas, alors la seule justification au déploiement de 250 policiers et à l’imposition d’une zone d’interdiction de vol, aura été celle de l’expédient politique

Le gouvernement croyait de toute évidence qu’on trouverait quelque chose de relativement peu dangereux et y a vu l’occasion d’en faire un raid antiterroriste voyant et réussi. Cela confirmerait non seulement son discours général sur la «guerre au terrorisme», mais détournerait aussi l’attention des difficultés politiques véritables et croissantes auxquelles il doit faire face. 

Pendant des semaines le gouvernement s’est trouvé assailli de toutes parts par des médias qui disent que le Home Office (ministère de l’Intérieur) est trop tendre sur les questions de sécurité, surtout avec les étrangers faisant l’objet d’une condamnation. Le Home Office voulait à tout prix  démontrer son efficacité. Quelques jours seulement avant l’opération de Forest Gate, John Reid, récemment nommé ministre de l’Intérieur participait à une razzia anti- immigrés à Londres habillé d’un gilet pare-balle.

Le gouvernement et la police se sont par ailleurs inquiétés de la publication imminente d’un rapport de l’Independent Police Complaints Commission [Commission indépendante sur les plaintes contre la police] sur le meurtre de Jean Charles de Menezes, le brésilien innocent abattu par la police dans le métro londonien en juillet dernier. Ce rapport a été révélé au journal News of the World. Il critique sur de nombreux points l’opération montée le 21 juillet et ces critiques pourraient mener à la démission du chef de la police londonienne, Sir Ian Blair et au procès pour meurtre de plusieurs policiers.

Les médias justifient des  mesures antidémocratiques

Tout au long de ces événements les médias ont eu pour fonction de défendre l’offensive du gouvernement contre les droits démocratiques et de relayer sa propagande.

Selon des chiffres publiés par le Home Office, 895 personnes ont été arrêtées jusqu’au 30 septembre dernier  en vertu du Terrorism Act 2000 et seulement 23 personnes ont été inculpées de délits liés au terrorisme. Le 12 juin, le Guardian attirait l’attention sur une série de raids ayant eu lieu en janvier 2002 et qui  avaient conduit à l’arrestation de 6 personnes soupçonnées de fabriquer les engins chimiques. En l’espace de 6 jours, toutes avaient été relâchées sans aucune charge, les allégations à leur encontre qui provenaient d’un seul informateur ayant été discréditées.

Les médias savent tout cela parfaitement. Et pourtant, même après l’expérience de Menezes, les journaux ont, après le raid de Forest Gate, régurgité pour la plupart sans la moindre critique les assertions du gouvernement et de la police. Et lorsque la vérité a commencé à apparaître, ils ont ressassé et enjolivé les fausses informations censées émaner de sources officielles, telle que cette affirmation notoire selon laquelle un des frères aurait tiré sur l’autre. La calomnie et le dénigrement étaient à l’ordre du jour.

Même à présent, alors qu’on a publiquement reconnu que la descente avait été un échec, les journaux, d’un bout de l’échiquier politique à l’autre, continuent de la justifier.

Le journal conservateur Daily Mail a publié des commentaires de Richard Littlejohn pressant ses lecteurs de «considérer les choses du point de vue de la police…mais bon dieu qu’est ce qu’on est donc censé faire? Ne rien faire de peur de chagriner la ‘communauté’»? Melanie Philipps trouva elle, une approche inédite, suggérant que l’information faisait peut-être partie «d’une stratégie de Al-Qaïda de se servir de la dissimulation et des fausses pistes afin de semer la confusion chez ses cibles terroristes…Dans les services secrets, on s’inquiète, dit-on, de ce qu’on a peut-être été victime d’un montage». 

La ligne du libéral Observer pour sa part se trouvait résumée dans ce titre, «Mieux vaut un raid mal mené qu’une autre atrocité terroriste»

Un bilan de la «guerre au terrorisme»

De telles affirmations sont en parfaite harmonie avec la position prise par le gouvernement et les services de sécurité.

Le premier ministre Tony Blair a défendu le raid disant que si la police «était en possession d’un renseignement valable et croyait devoir enquêter, et passer à l’action sur la base de ce renseignement, elle devait le faire…J’ai bien peur que la prise de précautions plus importantes de la part de nos services de sécurité et de notre police fasse partie de la vie dans le monde moderne»

Un haut responsable du contre-terrorisme a insisté sur le fait que les opérations du genre de celle de Forest Gate vont continuer: «Des dizaines d’attaques destinées à faire des victimes en masse sont en train d’être préparées contre …le Royaume-Uni et lorsque nous possédons ce que nous croyons être un renseignement authentique indiquant que des vies sont en danger, nous devons agir».

Quel est le bilan de la soi-disant guerre au terrorisme? Internationalement elle a servi de justification à une guerre brutale de conquête coloniale qui a déstabilisé la politique mondiale et a apporté au terrorisme son principal réservoir pour recruter.

En Grande-Bretagne, elle s’est soldée par l’arrestation de centaines de personnes innocentes et par l’adoption d’une politique du «tirer pour tuer» qui a entraîné la mort d’un innocent et conduit à ce qu’un autre soit grièvement blessé.

La liste des prétendues menaces terroristes qui se sont avérées être purement fictives s’allonge de jour en jour. Par contre, lorsqu’un attentat terroriste est préparé pour de bon, les services de sécurité ne le stoppent pas, malgré le fait que plusieurs des poseurs de bombes sont sous leur surveillance. De plus, malgré les exercices réguliers de la police et des services de secours dans la capitale, les plans d’urgence du gouvernement se sont avérés inadéquats.

Le rapport produit par l’Assemblée du Grand Londres sur les attentats du 7 juillet s’est trouvé largement éclipsé par le raid de Forest Gate. Mais ses résultats ont montré que le gouvernement ne prend même pas au sérieux ses propres mises en garde en fait d’attaques terroristes.

Malgré «d’incroyables actes de courage» de la part du personnel de secours, des employés du métro et des membres du public, le rapport note que l’opération de secours a été compromise par un grave manque de ressources et une absence de communication entre les services d’urgence. Les pompiers ont même dû se servir de gens qui se trouvaient là et les faire monter et descendre les escaliers du métro pour obtenir des informations. Dix-huit ans après qu’un rapport public sur l’incendie de la station de métro King’s Cross de 1987 en ait fait la recommandation, il n’y avait toujours pas de système de communication numérique permettant de communiquer sous terre. Le London Ambulance Service [Service ambulancier de Londres] était submergé, il manquait de civières et d’autres équipements de base. Dans le rapport, un ambulancier décrit comment il avait dû courir à une pharmacie pour obtenir des pansements.

Il y a une leçon politique fondamentale à tirer du raid de Forest Gate.

La raison standard avancée par le gouvernement pour justifier chaque empiètement sur les droits démocratiques fondamentaux est que les libertés civiles de quelques-uns doivent être sacrifiées afin de protéger la majorité et qu’on doit lui faire confiance, qu’il n’abusera pas des pouvoirs qu’on lui donne.

Ceux qui présentent la descente policière de Forest Gate comme une simple erreur malencontreuse, qui ne devrait pas nous faire oublier la nécessité de répondre à la menace terroriste, essaient de perpétuer ce mensonge. En réalité ce raid a prouvé une fois de plus que le gouvernement s’inquiète plus de justifier sa politique étrangère agressive et son programme de politique intérieure antidémocratique que d’assurer la sécurité de la population britannique.



 

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