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La démocratie américaine en déclin: le débat du Congrès américain sur la guerre en Irak

Par Patrick Martin
22 juin 2006

La semaine dernière, le débat du Congrès sur la guerre en Irak a été constitué d’un mélange de brimades républicaines, de paroles démocrates affligées et d’une série de mensonges de part et d’autre de l’allée.

Ni les républicains, qui détiennent une faible majorité à la Chambre des représentants et au Sénat et qui appuient généralement la conduite de la guerre de l’administration Bush, ni les démocrates, le parti de la soi-disant opposition, n’ont pu dire la vérité au public américain. Aucun des deux camps dans le débat n’a pu admettre ce que la très grande majorité de la population mondiale politiquement consciente, y compris des millions d’Américains, savait déjà: l’invasion et l’occupation de l’Irak par les États-Unis constitue un crime aux proportions historiques.

Au lieu de cela, le débat n’a jamais franchi les limites de ce qui était le mieux pour les intérêts de politique étrangère de l’impérialisme américain et sa classe dirigeante.

Les républicains ont argumenté qu’il était nécessaire «d’aller jusqu’au bout» en Irak, peu importe les morts et les coûts en terme de ressources, car l’autre alternative serait une défaite historique pour les États-Unis et (bien qu’ils ne l’aient pas dit si ouvertement) l’effondrement de l’administration Bush. Ils ont affirmé que toute remise en question ou critique de Bush et de la Maison-Blanche revenait en fait à aider et encourager l’ennemi dans la «guerre au terrorisme».

Les démocrates ont de façon générale argumenté que l’administration Bush avait trompé le peuple américain et le Congrès lui-même à propos des présumés liens qu’entretenait Saddam Hussein avec Al-Qaïda ainsi que sa possession d’armes de destruction massive, mais pas une de ces «critiques» n’a tiré la conclusion élémentaire qu’une guerre basée sur des mensonges était nécessairement illégitime.

Les démocrates ont présenté presque autant de points de vue que le nombre de représentants qui ont pris la parole: des défenseurs avoués de l’administration Bush (Joseph Lieberman au Sénat, 42 démocrates à la Chambre des représentants), jusqu’à ceux qui croient qu’il serait moins dommageable pour les intérêts de la politique étrangère de l’élite dirigeante des États-Unis de se retirer d’Irak, en partie ou complètement (le sénateur John Kerry, les députés Nancy Pelosi et John Murtha), en passant par ceux qui espèrent mener la guerre jusqu’à la victoire sous un gouvernement démocrate (les sénateurs Hillary Clinton et Joseph Biden).

Dans les deux chambres du Congrès, le débat fut manipulé par la majorité républicaine pour assurer le minimum d’opposition possible. Au Sénat, le whip de la majorité républicaine, Mitch McConnell, a présenté une résolution vaguement inspirée de la position de John Kerry, le candidat démocrate à la présidence de 2004, qui en appela la semaine dernière à un début de retrait complet des troupes, pas plus tard que le 31 décembre de cette année.

Visant à placer les démocrates dans l’embarras, la manoeuvre parlementaire fonctionna parfaitement. Seulement six démocrates -- Kerry, Edward Kennedy, Russ Feingold du Wisconsin, Tom Harkin de l’Iowa, Barbara Boxer de la Californie et Robert Byrd de la Virginie occidentale -- ont voté pour la résolution, qui a été défaite 93-6. Parmi la très grande majorité de démocrates qui ont voté contre un retrait rapide se trouvaient les espoirs présidentiels Hillary Clinton, Biden, Christopher Dodd et Evan Bayh, ainsi que le chef de la minorité Harry Reid, le whip de la minorité Richard Durbin, et Lieberman, le démocrate favori de Bush.

Ce vote est survenu peu après un vote à 98-1 pour faire approuver un projet de loi de rallonge de crédits pour les guerres en Irak et en Afghanistan. Les deux votes montrent que la vaste majorité des démocrates du Sénat sont hostiles aux perspectives anti-guerre de la majorité de l’électorat démocrate. (Les sondages montrent que 80 pour cent des gens qui s’identifient comme démocrates croient que Bush a eu tort de déclencher la guerre en Irak).

La discussion à la Chambre des représentants a constitué un événement politique beaucoup plus élaboré, lors duquel 140 députés ont participé durant plus de 11 heures, jeudi et vendredi dernier. Malgré le cérémonial du débat, avec l’alternance de pour et de contre, la procédure était une parodie. Le leadership républicain de la Chambre a présenté une résolution qui déclarait la guerre en Irak partie intégrante de la «guerre au terrorisme» mondiale et qui condamnait toute tentative d’établir un plan de retrait des troupes comme s’il s’agissait d’une capitulation au terrorisme. Aucun amendement n’a été permis et les démocrates présents n’ont pas eu le droit de présenter une résolution alternative.

Le texte de la résolution, HR 961, répétant la propagande de la Maison-Blanche, déclarait que la guerre en Irak était «essentielle à la sécurité du peuple américain», qualifiait de terroriste tout Irakien luttant contre l’occupation américaine, acclamait le renversement de Saddam Hussein et la mort de Abou Moussab Al-Zarkaoui, et félicitait le régime laquais récemment installé du premier ministre Nouri Al-Maliki.

Après avoir rejeté toute date limite de retrait des troupes, la résolution déclarait que «les États-Unis s’engagent à compléter la mission» en Irak, et «les États-Unis remporteront la guerre mondiale au terrorisme, la noble lutte pour protéger la liberté contre l’adversaire terroriste»

La résolution a été acceptée avec l’appui de 211 républicains et 42 démocrates, la plupart d’entre eux venant de districts du sud et du mid-ouest rural. Trois républicains, 149 démocrates et un indépendant ont voté contre, alors que cinq autres, trois démocrates et deux républicains, ont voté «présent».

Le débat était essentiellement stéréotypé: les républicains à l’offensive, proclamant leur dévouement envers les troupes et insinuant que leurs opposants démocrates étaient trop lâches ou trop délicats pour prendre les mesures nécessaires pour la victoire dans la «guerre au terrorisme» Les démocrates ont répliqué sur la défensive, comme dans les commentaires de John Murtha: «Nous appuyons les troupes. C’est la politique que nous n’appuyons pas» 

C’est l’un des mythes les plus tenaces de la politique officielle américaine que «soutenir» les troupes signifie endosser les politiques qui les conduisent à la mort, tandis que ceux qui insistent que les soldats américains doivent être retirés de la ligne de feu sont diffamés pour être «contre» les soldats. Si on laisse tomber ces bêtises patriotiques, le débat se résume aux républicains demandant des milliers, si ce n’est des dizaines de milliers de morts américaines en Irak et aux démocrates argumentant que les dieux pourraient se satisfaire de moins de sang, ou plutôt que ce sang devrait être versé ailleurs, peut-être en Iran ou en Corée du Nord.

Étant donné qu’une claire majorité du peuple américain s’oppose à la guerre en Irak, il peut sembler absurde que le principal parti pour la guerre soit capable de prendre l’offensive contre ses critiques du Congrès. Mais le Parti démocrate est aussi pour la guerre. Il représente toutefois une fraction de l’élite dirigeante, tout aussi dévouée à défendre la grande entreprise américaine, qui croit qu’il faut changer le cap en Irak pour assurer les intérêts impérialistes des États-Unis au Moyen-Orient et dans le monde.

Les républicains sont bien au fait de la duplicité des tentatives tièdes des démocrates de se dissocier de la politique de guerre de l’administration Bush et n’hésitent pas à exploiter la contradiction entre les sentiments anti-guerre de la majorité des partisans démocrates et la position des dirigeants du parti.

Le leader de la majorité en chambre, John Boehner, et d’autres dirigeants républicains de la Chambre des représentants disent sans détour qu’ils sont déterminés à forcer un vote qui pourra être utilisé pour attaquer les démocrates pour être soit de mauvais patriotes soit de parfaits hypocrites.

Il n’y a pas eu de débat sur la guerre en Irak, que ce soit à la Chambre des représentants ou au Sénat, depuis trois ans, soit depuis le vote sur la résolution d’octobre 2002 autorisant Bush à employer la force en Irak. L’administration a lancé une guerre avec des objectifs vagues, financée par des crédits d’urgence et sans la moindre supervision du Congrès, une démonstration évidente de l’ampleur de l’effondrement du processus démocratique aux États-Unis.

Un aspect particulièrement inquiétant du débat en Chambre a été la distribution d’un cahier de préparation au débat de 74 pages à plusieurs membres du Congrès. Ce document a été publié par le Pentagone dans une tentative sans précédent d’intervenir dans un débat de l’assemblée législative. Après que plusieurs congressistes démocrates eurent reçu le document par courriel, le Pentagone a tenté de le rappeler.

Ce document régurgitait les accusations de l’administration Bush contre ses adversaires politiques, avertissant: «L’Irak deviendra un refuge pour les terroristes, les assassins et les brutes», si les États-Unis quittent «avant que le travail soit complété». Il décrit les propositions d’un retrait comme des appels à prendre les jambes à son cou.

Après qu’un sénateur se soit plaint que la publication de ce document violait l’interdiction légale d’utiliser des fonds gouvernementaux pour faire pression sur le Congrès, le Pentagone a révélé que ce document avait été en réalité écrit dans la Maison-Blanche de Bush, par le Conseil national de sécurité.

Un aspect important des discours républicains a été d’identifier l’Irak sous Saddam Hussein avec les attaques terroristes du 11 septembre 2001, le «grand mensonge» qui a été la marque de commerce de la propagande de guerre de l’administration Bush. L’orateur Dennis Hastert a donné le ton dans son discours, déclarant «Nous au Congrès devons faire preuve de la même résolution d’acier que les hommes et les femmes du vol 93 d’United Flight, du même sens du devoir que les premiers secouristes qui ont pris les escaliers des tours jumelles [de New York]».

Peut-être que la contribution la plus horrible fut celle de Charles Norwood, un républicain de Géorgie, qui a traité ses adversaires de couards. «Plusieurs, mais pas tous, de l’autre côté de la Chambre, n’ont pas le désir de gagner, a-t-il dit. Le peuple américain a besoin de savoir précisément qui ils sont. Il est temps de se tenir debout et de voter. Est-ce que ce sera Al-Qaïda ou est-ce que ce sera les États-Unis?»

Certains échanges ont fait ressortir l’accord stratégique entre les deux partis sur les questions fondamentales. Gil Gutknecht, un républicain du Minnesota s’est inspiré de Margaret Thatcher: «Membres de la Chambre, ce n’est pas le temps de vaciller. Donnons une chance à la victoire». Jane Harman, la principale démocrate dans le Comité de la Chambre sur le renseignement et une des chefs de file des supporteurs de la guerre a répondu «Ce côté de la Chambre ne vacille pas. Nous essayons d’expliquer ce que nous croyons être une meilleure stratégie pour gagner en Irak»

Un autre démocrate pour la guerre qui a voté contre la résolution, Ike Skelton du Missouri, s’est plaint du coup que la guerre avait porté aux capacités de l’armée américaine. «Cette nation est à une croisée des chemins stratégique. Nous dépensons neuf milliards de dollars par mois et nous avons dépensé un total de 300 milliards dans cette guerre. Il est encore plus frappant de constater que nous perdons l’équivalent d’un bataillon chaque mois à cause des blessures et des morts».

Murtha, un des principaux orateurs démocrates, a dit que Al-Qaïda et d’autres adversaires potentiels des États-Unis, y compris l’Iran, la Corée du Nord, la Russie et la Chine, «veulent nous voir en Irak» parce que cette guerre «nous enlève des ressources financières et nos ressources humaines… Si nous restons, nous allons en payer le prix et ce sera pour longtemps»

Le whip de la minorité en Chambre, Steny Hoyer du Maryland, a donné un exemple du ton geignard que plusieurs démocrates ont adopté: «Il est regrettable que cette majorité républicaine cherche à exploiter la question cruciale de la sécurité nationale à leur avantage politique… Comme le leader de la majorité Boeher l’a expliqué, son but est de créer ‘un portrait contrasté des républicains et des démocrates’. Au nom de notre pays et au nom de nos troupes, la majorité aurait dû présenter une motion qui aurait créé l’unité, pas la division»



 

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