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France: le Parti socialiste publie un programme électoral de droite

par Antoine Lerougetel


27 juin 2006

En pleine intensification de la crise du gouvernement gaulliste du président Jacques Chirac et du premier ministre Dominique de Villepin, le Parti socialiste a publié son projet de programme pour les élections présidentielles et législatives de 2007.

Avec les gaullistes secoués par des protestations de masse et le gouvernement Chirac-Villepin qui trébuche de scandale en scandale, le Parti socialiste se présente en défenseur loyal des intérêts des grandes entreprises. Le document électoral a pour but de démontrer que les intérêts de l’impérialisme français seront en mains sûres si le Parti socialiste venait à pourvoir le prochain président et à diriger le prochain gouvernement.

Sous un mince vernis d’engagements rhétoriques à «combattre les inégalités, redistribuer les richesses, préserver les équilibre écologiques, en un mot, transformer la société,» le projet de programme met en avant une politique étrangère néocolonialiste et militariste en réponse aux tensions internationales qui vont s’accroissant, et prône l’intensification de la répression d’Etat, dans le pays, en réponse à la résistance grandissante de la classe ouvrière face aux attaques sur ses droits et ses conditions de vie.

Ce document est à présent débattu dans les sections locales du parti et a été soumis au vote des adhérents. Il sera voté lors d’un congrès du parti le 1 juillet. Le congrès sélectionnera aussi les candidats pour les élections législatives.

Le Parti socialiste n’a pas encore décidé qui sera son candidat à l’élection présidentielle et il y a un certain nombre de concurrents. Le projet de programme publié par la direction du Parti montre cependant clairement que quel que soit le candidat choisi, celui ou celle-ci aura un programme entièrement de droite.

La direction remplit les rangs du parti avec de nouveaux adhérents sans expérience et principalement issus des classes moyennes. Tandis que le nombre d’adhérents, d’après un récent décompte, s’élevait à 135 000, le parti fait état d’une recrudescence d’adhésions à tarif réduit par voie d’Internet. Ces nouveaux adhérents auront le droit de voter ce projet de programme.

Nationalisme et attaques contre les immigrés

L’élément le plus marquant de ce document est son nationalisme débridé. Ainsi il déclare, «La France est un grand pays fier de son message universel…Les Françaises et les Français ne tournent pas le dos à l’excellence et la compétitivité…»

La crise économique et sociale qui secoue le pays est définie exclusivement du point de vue des grandes entreprises. Le programme insiste sur le fait que la France souffre d’une «forte dégradation de notre compétitivité et ... un niveau d’endettement public préoccupant.» La réponse du Parti socialiste à ces problèmes n’est, en substance, pas différente de celle de tous les grands partis bourgeois d’Europe. “Nous voulons conjuguer la croissance économique pour apporter la prospérité et la redistribution des richesses, avec la responsabilité vis-à-vis des générations futures”.

Ces mots ont un sens bien précis. «Croissance économique» et «prospérité» sont des termes qui signifient en réalité politique de «marché libre» et attaques des conditions de travail et des salaires ; «responsabilité vis-à-vis des générations futures» est un euphémisme pour réduction des dépenses sociales. L’allusion à la redistribution des richesses sert ici à tromper les électeurs issus de la classe ouvrière

Etant donné l’accent mis sur la “grandeur” de la France et son intérêt pour les grandes entreprises françaises, il n’est pas surprenant que le document n’essaie même pas d’avoir l’air de se préoccuper du sort des ouvriers dans le monde qui connaissent l’appauvrissement et les privations sociales aux mains des transnationales et des gouvernements qui leur sont serviles.

Le Parti socialiste cherche plutôt à faire concurrence au ministre de l’intérieur Nicolas Sarkozy, candidat gaulliste probable à l’investiture pour la présidentielle, en lançant une offensive idéologique contre les immigrés. Alors que des dirigeants du Parti socialiste ont participé à des manifestations, au printemps, contre la loi de Sarkozy sur l’immigration, le projet de programme met en avant une politique anti-immigrée vigoureuse. «Nous mènerons une politique de fermeté à l’égard de l’immigration illégale..... Il nous faut par conséquent dissuader l’immigration illégale... (augmentation des moyens de l’inspection du travail et aggravation des peines encourues pour les employeurs en infraction)”.

Le document promet de poursuivre l’actuelle politique consistant à convaincre les pays d’origine de reprendre les immigrés expulsés de France, et pour les pays de transit de coopérer pour leur barrer la route. Cela signifie en pratique la mort de milliers de personnes qui fuient la pauvreté et l’oppression, notamment les boat people africains.

Nous bâtirons un projet migratoire individuel pour une insertion réussie,» a expliqué François Hollande, dirigeant du parti, lors de l’émission télévisée «Ca se discute.» Il a dit que le Parti socialiste ne régulariserait pas les immigrés en masse mais qu’il procéderait plutôt sur la base du cas par cas, ce qui implique une présence policière lourde et une surveillance bureaucratique des immigrés.

Il a continué en déclarant qu’un gouvernement du Parti socialiste serait « à l’initiative d’une politique européenne pour créer une police commune présente aux frontières extérieures de l’Union.» En d’autres termes, cela va poursuivre la politique de Forteresse Europe à l’encontre des immigrés.

 

Répression de la jeunesse

Il n’y a pas si longtemps, le Parti socialiste reconnaissait, du moins en paroles, que le problème de la délinquance juvénile avait des causes sociales qui devaient être abordées. Ce n’est plus le cas. A présent, le parti nomme criminalité toute expression d’agitation de la part des jeunes généralement immigrés et chômeurs dans les banlieues ouvrières appauvries, où les brutalités et provocations policières sont monnaie courante. La réponse du Parti socialiste à la «délinquance juvénile» c’est la répression ouverte.

«Pour les socialistes, la sécurité est une priorité essentielle,» proclame le projet de programme. Imitant la rhétorique du premier ministre travailliste Tony Blair «dur sur la criminalité et dur sur les causes de la criminalité,» le document déclare:«Nous mènerons une politique de fermeté contre la délinquance et contre ses causes.» 

Il propose une augmentation de la police de proximité et exige que le paiement des allocations aux parents de jeunes délinquants soit mis sous tutelle, c’est-à-dire administré par des gens nommés par les tribunaux qui auraient le pouvoir de décider de la manière dont cet argent serait dépensé. Cette idée avait d’abord été avancée par Ségolène Royal qui cherche à être candidate du parti pour l’investiture à l’élection présidentielle. Elle a aussi proposé que les jeunes perturbateurs soient placés sous encadrement militaire.

Le projet de programme, bien qu’il rejette cette dernière proposition, va dans ce sens. Il prône la construction de davantage de «classes-relais» (classes pour élèves perturbateurs), et promeut «une continuité d’action fondée sur la précocité de la prévention et de la sanction.»

Le programme met en avant une plus grande coopération entre les services sociaux et la police et diverses initiatives – «centres d’éducation», «chantiers d’apprentissage», «sanctions par le travail d’intérêt général» - pour rétablir une «relation républicaine et pacifiée entre jeunes et police.»

Incapable d’apporter une réponse au taux de chômage élevé des jeunes, le Parti socialiste propose une forme de travaux forcés à tous les jeunes entre 18 et 25 ans. Il veut établir un «service civique» obligatoire de six mois pour tous les jeunes de cette tranche d’âge.

Depuis quelques 20 ans, la France connaît un taux de chômage des jeunes entre 20 et 25 pour cent. Au lieu de pourvoir des emplois stables correctement rémunérés et des logements adéquats pour que les jeunes adultes de la classe ouvrière puissent s’établir et subvenir aux besoins d’une famille, le Parti socialiste veut les embrigader dans le travail obligatoire.

Le «service civique» rendrait «des services d’utilité collective à la Nation» et «créerait un sentiment d’appartenance et d’identité.» Il pourrait aussi comprendre un service militaire, ou comme le dit le programme, «un élément de défense dans le service civique obligatoire pour tous les jeunes de moins de 25 ans.»

Il n’y a absolument aucune mention de la loi antiterroriste du ministre de l’intérieur Sarkozy, et donc aucune promesse de l’abroger. Quand, le 9 décembre 2005, l’Assemblée nationale a adopté le projet de loi, les députés du Parti socialiste s’étaient abstenus.

La loi approuve les attaques considérables sur les libertés civiles. Elle donne le pouvoir à l’Etat de contrôler toutes les communications téléphoniques et Internet et oblige les compagnies de télécommunication et les serveurs Internet à faciliter un tel espionnage d’Etat. Le pouvoir des préfets, représentants régionaux du ministre de l’intérieur, est accru pour leur permettre d’installer des caméras de surveillance en circuit fermé dans les bâtiments publics, dont les lieux de culte tels les mosquées.

Ces mesures d’Etat policier n’ont provoqué aucune controverse au sein de la direction du Parti socialiste.

Le militarisme

Le besoin d’inculquer aux jeunes une vision nationaliste et chauvine découle des projets de politique étrangère et militaire qui sont exposés dans le projet du programme.

Un chapitre intitulé “Faire réussir la France en Europe et dans le monde” commence ainsi: «La France à un rôle majeur à jouer dans le monde mais aujourd’hui son influence régresse.» Le programme souligne «l’émergence de grandes puissances économiques et politiques en Asie, avec la Chine et l’Inde» et parle des «conflits présents et à venir pour l’énergie», «l’existence d’un terrorisme mondial» et des «contradictions aiguës de l’hyper puissance américaine.»

Le document ne dit rien du soutien militaire et logistique apporté par le gouvernement français aux Etats Unis et à ses alliés dans l’occupation de l’Afghanistan et de l’Irak, signalant par là le consentement du Parti socialiste.

Le Parti socialiste a un long bilan de soutien actif au colonialisme français, si l’on considère la guerre d’Algérie et encore avant. Comme sous la présidence de François Mitterrand (1981-1995), le Parti socialiste tient beaucoup à défendre les intérêts de l’impérialisme français en Afrique et de par le monde. Du fait que la France à elle seule est militairement trop faible pour concurrencer les Etats-Unis dans la course aux ressources de la planète, le Parti socialiste compte sur des alliances européennes.

Le programme recommande avec insistance l’indépendance par rapport à l’OTAN dominé par les USA, et déclare:«La politique de défense de la France passe par une inscription résolue dans une politique européenne de sécurité et de défense avec des coopérations fortes....ce qui constitue une perspective d’avenir plus porteuse que l’OTAN. Elle doit amener à une normalisation de nos relations militaires avec les pays Africains, tenant compte de deux exigences : le partenariat européen, la volonté des peuples africains.»(souligné dans l’original.)

 

Laurent Fabius, ancien premier ministre socialiste (1984-1986), a récemment parlé de combiner les armées française et allemande. Le projet de programme met en avant «l’installation d’une agence de l’armement, [dont] le triangle France/Allemagne/Grande-Bretagne peut-être le moteur.»

 

Mettant l’accent sur le fait qu’il “n’est pas question de désarmer”, le programme du Parti socialiste insiste sur le fait que la France doit avoir des armes nucléaires:«La dissuasion nucléaire doit rester dans une logique d’interdiction de l’agression contre nous-mêmes et de nos partenaires de l’Union Européenne.»(souligné dans l’original.) Ici le Parti socialiste montre sa volonté de donner à l’impérialisme français un avantage en Europe de par son appartenance au club nucléaire.

 

Retraites, chômage et prestations sociales

La nature frauduleuse des promesses de réformes sociales vagues et maigres contenues dans le programme est exemplifiée par la proposition de conserver le droit de prendre sa retraite à 60 ans, mais cette proposition omet de déclarer le niveau des contributions des travailleurs ou bien le montant de leur pension de retraite, et se contente de suggérer «une large négociation.»

Cette question est cruciale pour le Parti socialiste. En 2002, à la réunion des chefs d’Etats de l’Union européenne qui s’était tenue à Barcelone, un peu avant les élections présidentielles de cette année-là, le président Chirac et le premier ministre socialiste de l’époque Lionel Jospin, en accord avec la stratégie de Lisbonne, avaient soutenu la politique de réduction des droits à la retraite et de l’augmentation de l’âge de la retraite. Cette attaque contre la classe ouvrière avait été un facteur majeur de la défaite électorale de Jospin.

“Une large négociation” signifie forcément qu’un gouvernement conduit par le Parti socialiste va concevoir, avec la collaboration des organisations syndicales et patronales, un moyen de diminuer le coût des retraites. Les dirigeants du Parti socialiste savent très bien qu’ils sont entièrement partie prenante dans la stratégie de Lisbonne, dont le but est de faire de l’Union européenne «l’économie la plus compétitive du monde,» et que toute nouvelle loi signifiera un allongement de la vie active, des contributions salariales accrues pour les travailleurs et des pensions moins importantes pour les retraités.

Le projet de programme, en accord avec la pratique de l’Union européenne, propose de mettre en place une «conférence nationale tripartite annuelle» impliquant le gouvernement, les patrons et les syndicats «dont les objectifs seront de débattre des orientations et propositions en matière de politique salariale… »

Le projet de programme revendique l’objectif “d’atteindre le plein emploi d’ici 2012” et fait une liste de panacées bateaux telles des programmes d’emplois à bas salaires, des incitations fiscales pour les patrons, mais qui depuis plus de 20 ans ne sont pas parvenus à faire baisser le taux de chômage de façon significative en dessous de la barre des 10 pour cent.

Deux jours seulement après avoir écrit le programme, François Hollande, premier secrétaire du Parti socialiste, disait dans l’émission télévisée “Ca se discute” que l’objectif était, en fait, moins ambitieux :faire baisser le chômage à 5 pour cent. Il a expliqué clairement qu’il n’y aurait pas de loi interdisant les licenciements, mais que des entreprises prospères qui licencieraient du personnel afin d’accroître leurs profits pourraient se voir infliger des amendes. Quand on lui a posé la question sur ce que ferait un gouvernement du Parti socialiste pour un chômeur de 56 ans, Hollande n’a su que dire et s’est contenté de compatir avec la personne qui avait posé la question.

Le cynisme des promesses de réforme sociale du programme est démontré par le fait que le coût de ces propositions n’est aucunement détaillé.

Lionel Stoléru, ancien secrétaire d’Etat au plan dans le gouvernement du premier ministre socialiste Michel Rocard (1988-1991) dans un article d’opinion du Monde du 10 juin a dit que si un gouvernement de gauche était élu «tout le monde sait» qu’il serait «impossible» d’avoir les moyens «de respecter leurs promesses électorales.»

Il a poursuivi: “La gauche comme la droite devra gouverner en économie de marché, sauf à quitter l’Union européenne, à fermer nos frontières à nationaliser les entreprises… Personne ne le fera. Il n’est pas vrai que la gauche re-nationalisera EDF après 2007, il n’est pas vrai qu’elle abrogera la réforme des retraites.”

Le Figaro du 16 juin explique clairement que les candidats à l’investiture du Parti socialiste pour les présidentielles ont vite fait de se libérer des maigres promesses faites dans le document qu’ils viennent juste d’approuver à l’unanimité : «Dominique Strauss-Khan veut ‘faire le tri’ entre les propositions, Jack Lang les juge parfois ‘insatisfaisantes’, Ségolène Royal répète qu’elle conserve sa ‘liberté de parole’… le bouclier logement est apparemment très cher, il faut voir quel peut être son efficacité sociale,’ observe- t-on dans l’entourage des présidentiables.»

Strauss-Khan déclare sur la question de la re-nationalisation d’EDF, «Il y aura des priorités sans doute plus importantes que celle-là.» Ségolène Royal «n’a pas totalement abandonné son idée d’encadrement militaire : il ne faut pas avoir honte des professions en uniforme, se plaît-elle à répéter.»

Il est significatif que le Parti communiste (PC), qui espère une alliance électorale et gouvernementale avec le Parti socialiste, n’a publié aucune critique du projet de programme. Dans un article publié le 9 juin, le quotidien du PC, l’Humanité, se contente d’énumérer tous les éléments «positifs», sans révéler la nature frauduleuse des promesses du programme.

Rouge, journal de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) de “l’extrême-gauche” et Lutte ouvrière, bien qu’émettant des critiques sur certaines insuffisances des propositions sociales du projet de programme, refusent de mentionner ses dimensions antidémocratiques et sa politique militariste et anti-immigrée. Olivier Besancenot, porte-parole de la LCR, bien qu’il écarte toute possibilité pour le moment d’une alliance avec le Parti socialiste, a assuré à Hollande qu’«il y a des tas de choses que nous pouvons faire ensemble.»




 

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