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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

La ruée des puissances européennes vers le Liban

Par Peter Schwarz
19 août 2006

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Suite à la décision du Conseil de Sécurité des Nation unies de déployer un contingent de 15.000 hommes au Liban, de nombreuses puissances européennes se sont empressées de participer à ce contingent.

La France qui a joué un rôle primordial dans l’élaboration et l’adoption de la résolution de l’ONU, a fait connaître depuis longtemps son désir de former « le gros des troupes » d’une telle force et d’en prendre son commandement. Elle commande déjà le contingent de 2.000 soldats de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul) déployé au Liban Sud et qui sera à présent élargi et muni d’un mandat « robuste ».

L’Italie a annoncé la semaine passée qu’elle enverrait également 3.000 soldats au Liban. Elle pourrait se voir confier le commandement en second de cette opération. La Suède et la Grèce se sont déclarées prêtes à y participer et l’on s’attend à ce que l’Espagne et la Pologne en fassent autant.

On présume qu’en Allemagne la décision a également déjà été prise en faveur d’une participation de l’armée allemande à la mission au Liban. Alors qu’officiellement le gouvernement hésite à officialiser la décision, les dirigeants des partis formant le gouvernement de coalition (Parti social-démocrate, SPD, Union des chrétiens-démocrates (CDU) et Union des chrétiens sociaux (CSU)) sont d’accord, selon les média, à l’idée que l’Allemagne participe à la force de l’ONU.

Kurt Beck, le président du SPD, a été le premier le weekend dernier à s’exprimer dans ce sens. A l’occasion d’une interview télévisée, il créa la surprise en se déclarant en faveur d’un déploiement de troupes allemandes au Proche-Orient et en déclenchant une forte polémique à la fois au sein de son propre parti et des autres partis de la coalition. Jusque-là, une participation à des interventions militaires impliquant Israël avait été exclue en raison de la responsabilité allemande dans l’Holocauste. De plus, des critiques ont affirmé que l’armée allemande était déjà engagée au maximum de ses forces du fait de sa participation à des missions aux Balkans, en Afghanistan, au Congo et ailleurs.

Beck a été soutenu par d’autres politiciens influents. Lors d’une conférence téléphonique, la présidence du SPD a confirmé « à l’unanimité » la position avancée par le président du parti. Le ministre de la Défense, Franz Josef Jung, et le ministre de l’Intérieur, Wolfgang Schäuble, (tous deux DCU) se sont déclarés publiquement pour une intervention au Liban. Schäuble a indiqué à la Deuxième chaîne de télévision allemande (ZDF) : « Nous ne voulons pas nous y refuser. » Après tout, le président de la République fédérale, Horst Köhler (CDU), a déclaré : « Dans ce cas, nous ne pouvons pas rester à l’écart. »

Le quotidien berlinois Tagesspiegel, se référant à des milieux gouvernementaux, a rapporté mardi que la chancelière Angela Merkel (CDU), le vice-chancelier Franz Müntefering (SPD), le ministre des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier (SPD) et le ministre de la Défense Franz Josef Jung (CDU) se seraient en principe déclarés en faveur d’un déploiement militaire. Ceci serait toutefois confirmé plus tard pour ne pas susciter d’opposition au parlement (Bundestag) qui devra accepter un tel engagement.

La Turquie, membre de l’OTAN, qui se trouve dans le voisinage immédiat de la région en crise, tient également à participer à la mission au Liban. Le premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, a annoncé qu’une décision formelle serait prise dès que l’ONU aurait mis au point ses projets pour une force d’intervention.

Des intérêts contradictoires

Le déploiement de troupes au Liban présente des risques non négligeables. Le cessez-le-feu vient à peine d’entrer en vigueur et des combats pourraient reprendre à tout moment. La résolution de l’ONU sur laquelle est basée le cessez-le-feu est ambiguë et a été interprétée différemment par les parties qui y sont impliquées.

Et pourtant, en dépit des risques, les gouvernements européens se hâtent d’envoyer leurs soldats au Liban, un signe clair qu’ils cherchent à sauvegarder leurs propres intérêts substantiels qu’ils détiennent dans la région. Ce faisant, les intérêts des différents acteurs engagés dans la région sont loin d’être les mêmes. Il est remarquable de noter que les gouvernements européens organisent le déploiement de troupes non pas sous le drapeau de l’Union européenne, mais individuellement et en régie propre.

La France, qui en tant qu’ancienne puissance coloniale maintient d’étroites relations avec la classe dirigeante libanaise, considère les troupes de l’ONU comme une occasion de renforcer sa position au Proche-Orient.

Après l’assassinat du premier ministre libanais, Rafik Hariri, un ami personnel du président Jacques Chirac, la France a coopéré étroitement avec les Etats-Unis l’année dernière pour chasser la Syrie hors du Liban et pour contribuer au succès de la soi-disant « Révolution du Cèdre ». La France a également une attitude hostile à l’égard du Hezbollah qui est un allié de la Syrie. Ceci ne voulant pourtant pas dire que la France et les Etats-Unis poursuivent les mêmes objectifs dans la région.

Pour ce qui est de Washington qui très tôt avait été au courant des projets de guerre d’Israël et qui les a totalement soutenus, l’attaque israélienne contre le Liban a servi de préparatif et de répétition générale à une attaque militaire contre l’Iran. Les Etats-Unis ont approuvé la destruction par Israël du Hezbollah qui bénéficie du soutien de la population chiite locale comme étant un moyen de supprimer une éventuelle source d’opposition. Dans le même temps, les frappes aériennes contres les positions du Hezbollah ont servi à tester l’efficacité des raids aériens contre l’Iran comme l’a rapporté le journaliste Seymour Hersh dans la dernière édition du New Yorker en se basant sur les discussions qu’il a eues avec des responsables militaires et du renseignement.

La France qui s’était déjà opposée à la guerre contre l’Iraq, a une attitude tout à fait sceptique face aux projets de guerre américains contre l’Iran. Elle a tenté de se faire l’avocat de la bourgeoisie arabe modérée qui redoute d’être déchirée par les agissements agressifs des Etats-Unis d’un côté et la radicalisation politique croissante des masses de l’autre.

Alors que Washington rejette tout contact avec Téhéran, le gouvernement français s’est efforcé, durant la guerre contre le Liban, de faire participer l’Iran aux négociations. Durant sa visite à Beyrouth, le 31 juillet, le ministre français des Affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy a déclaré : « L’Iran est un acteur important et respecté au Proche-Orient, où il joue un rôle stabilisateur. » Il a ajouté de façon catégorique à l’adresse de Washington et de Jérusalem qu’il était « évident que nous ne devons pas accepter une déstabilisation du Liban qui pourrait entraîner une déstabilisation de la région. » L’Iran est « un grand pays, un grand peuple et une grande civilisation, qui est respecté et qui joue un rôle de stabilisation dans la région. »

Bien que ce qui distingue la position de la France à l’égard du Liban de celle des Etats-Unis est minime, les média proches du gouvernement, tel le quotidien le Figaro, se sont efforcés de présenter la France comme un adversaire majeur des Etats-Unis. La presse a célébré la résolution du Conseil de sécurité sur le Liban qui, pour l’essentiel, ne répondait pas aux exigences de Washington et de Jérusalem, comme un important succès de la diplomatie française.

Le rôle de l’Allemagne

La politique étrangère de l’Allemagne par contre s’est alignée inconditionnellement derrière Israël. De ce point de vue, elle est bien plus proche de la politique américaine que de celle de la France. Durant tout le temps de la guerre au Liban aucune critique n’a été émise par Berlin contre l’offensive militaire israélienne.

Les débats officiels reflètent également un manque total d’impartialité quant au déploiement des troupes allemandes. L’une des justifications les plus fréquemment faites pour l’envoi de troupes allemandes est « la sauvegarde du droit à l’existence de l’Etat d’Israël » qui, selon Thomas Steg, le porte-parole du gouvernement, constitue « une constante de base de la politique étrangère allemande. »

Afin d’éviter tout conflit entre les soldats allemands et israéliens, il est envisager de ne pas stationner l’armée allemande au Liban Sud, près de la frontière israélienne. Au lieu de cela et selon les média, les forces de la marine allemande devraient patrouiller le long des côtes libanaises et les agents de la police fédérale allemande devraient surveiller la frontière libano-syrienne pour contrecarrer tout approvisionnement en armes du Hezbollah.

Le chef du gouvernement israélien, Ehoud Olmert, et le Comité central des Juifs d’Allemagne se sont tous deux formellement exprimés en faveur du déploiement de troupes allemandes au Liban. L’un des éléments entrant en ligne de compte pour le gouvernement israélien étant que l’Allemagne pourrait faire contrepoids à la France. Le journal Frankfurter Rundschau a écrit : « Il [le gouvernement israélien] sait que les Français joueront un rôle particulier. Ils passent pour être plutôt ‘pro-arabes’. De ce fait, il convient tout à fait à Jérusalem que les Allemands empêchent toute orientation partiale. »

A l’image de Paris, Berlin entretient également de bonnes relations avec les capitales arabes. Bien que toute critique à l’encontre de la politique américaine au Proche-Orient se soit en grande partie évanouie depuis l’arrivée au pouvoir d’Angela Merkel, les agissements agressifs de la part de Washington dans la région ne cessent de menacer les intérêts économiques allemands. L’Allemagne demeure fortement dépendante du Proche-Orient pour son approvisionnement en pétrole (et à l’avenir en gaz). La région constitue aussi un vaste débouché pour l’exportation de ses marchandises. C’est pourquoi, la politique étrangère de l’Allemagne s’efforce d’éviter les agissements provocateurs des Etats-Unis.

Contrairement à Paris et à Washington qui ont cherché systématiquement à boycotter la Syrie, Berlin a tenté d’impliquer Damas dans une approche commune à l’égard du Liban. Après que, des mois durant, aucun politicien occidental de haut rang, mis à part le ministre espagnol des Affaires étrangères, Miguel Angel Moratinos, se soit rendu dans la capitale syrienne, le ministre allemand des Affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier a prévu une réunion le 15 août avec le chef d’Etat syrien, Bachar al-Assad. En contrepartie de sa coopération au Liban, Assad se verrait offrir des liens économiques plus étroits avec l’Union européenne.

Steinmeier a pourtant annulé sa visite au dernier moment après qu’Assad, dans un discours prononcé devant le Congrès de l’union des journalistes, ait qualifié Israël « d’ennemi » avec lequel on ne peut pas s’attendre à une paix prochaine tout en précisant que le soutien syrien au Hezbollah était un « honneur ».

Les promoteurs de la mission de l’armée allemande au Liban soulignent toujours qu’un tel déploiement est une opération d’intérêt national. Le porte-parole du gouvernement, Steg, parlant lundi au nom de la chancelière a déclaré que la contribution allemande à la paix et à la stabilité au Proche-Orient était une question « d’intérêt national direct. » Il a également inclus, aux raisons historiques, à savoir la sécurité de l’Etat d’Israël, des raisons géopolitiques : le Proche-Orient se trouvant dans le voisinage immédiat de l’Europe.

Divers politiciens du CDU, tel le porte-parole de la politique étrangère du groupe parlementaire, Eckart von Klaeden, ont souligné que la stabilité du Proche-Orient résidait dans « l’intérêt allemand ». Et le président du Parti des Verts, Reinhard Bütikofer, a même parlé, dans une interview accordée au journal taz, d’un « intérêt allemand virulent pour un endiguement rapide du conflit. »

Qu’entend-on par « intérêt allemand » ?

D’une part, il est question des intérêts économiques et politiques de l’Allemagne dans la région. Une présence militaire y faciliterait la tâche de l’Allemagne à défendre ses intérêts face aux revendications des autres puissances et tout spécialement des Etats-Unis.

D’autre part, un élément supplémentaire est apparu suite à la guerre au Liban et à la résistance inattendue qu’a dû subir l’armée israélienne. La capacité du Hezbollah à résister pendant plus d’un mois à une offensive lancée par une armée israélienne disposant d’armes de précision, est l’expression d’un ferment révolutionnaire existant dans de vastes sections de la population. Un tel développement ne se limite pas au Liban ; il met en danger les régimes arabes conservateurs au même titre que les intérêts israéliens et impérialistes dans la région.

Au vu de ce contexte, les différences constatées entre les positions des Etats-Unis, de la France et de l’Allemagne s’amenuisent. Pour ce qui est de l’Allemagne, la « stabilité au Proche-Orient » signifie avant tout contenir ce potentiel révolutionnaire. C’est pourquoi, le gouvernement allemand fait participer ses soldats à cette entreprise extrêmement périlleuse, en l’occurrence le désarmement du Hezbollah, tout justifiant et en excusant les crimes de guerre commis par Israël.

 

 

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