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Olivier Besancenot et la Ligue Communiste Révolutionnaire

Une troupe d'appoint pour les appareils bureaucratiques

Par Peter Schwarz
1er avril 2006

Le soir même des grandes manifestations nationales du 28 mars contre le Contrat Première Embauche (CPE), la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) organisa une réunion publique à la Mutualité à Paris. Le meeting commença avec beaucoup de retard et ne dura qu'une heure et demie. Le principal orateur était Olivier Besancenot, porte parole officiel de la LCR et son candidat à l'élection présidentielle de 2002. Après son discours, les quelques centaines de personnes présentes quittèrent rapidement la salle. Il n'y eut pas de discussion.

Le discours de Besancenot fut un modèle de démagogie, destiné à couvrir la politique opportuniste de son organisation.

Il commença son discours par ces mots : « On n'est pas très loin de la victoire » et le termina par une citation de Che Guevara « Hasta la victoria siempre! » (En avant jusqu'à la victoire). Il cria, gesticula et s'efforça à tout prix de faire rire son auditoire et de le pousser à des transports d'enthousiasme. L'ambiance était formidable, la mobilisation extraordinaire, la situation du gouvernement fatale, lança-t-il. « Ce soir, la rue a parlé. La rue est ultra-majoritaire, le gouvernement est ultra-minoritaire » et ainsi de suite.

Les phrases creuses sur la victoire toute proche avaient pour but de jeter de la poudre aux yeux des auditeurs. Besancenot ne dit pas un mot sur les dangers et les tâches politiques face auxquelles se trouvait le mouvement. A part quelques piques lancées en direction de l'aile droite du Parti socialiste, il ne parla pas du tout du rôle des syndicats, de celui des partis de la « gauche » officielle et des syndicats étudiants qu'ils dirigent et qui veulent de toutes leurs forces paralyser le mouvement, le saboter et le mener dans l'impasse.

Tandis que la LCR glorifie le mouvement des lycéens et des étudiants, elle se démène dans les coulisses pour étouffer toute critique vis-à-vis des appareils bureaucratiques et renforcer leur contrôle sur le mouvement. C'est là le vrai contenu de ses appels à l'« unité ».

Dans une édition spéciale de Rouge, le journal de la LCR et qui fut distribué dans les manifestations du 28 mars on peut lire : « Il est possible de faire reculer le gouvernement, il est possible d'obtenir le retrait du CPE Il est possible de faire démissionner ce gouvernement, à condition de s'y mettre tous ensemble. Tous ensemble, jeunes et moins jeunes ; tous ensemble, lycéens, étudiants, et salariés ; tous ensemble, chômeurs et travailleurs ! »

L'appel du « tous ensemble » est un leitmotiv qui revient dans tous les textes et toutes les déclarations de la LCR. Mais tandis que les jeunes et les travailleurs qui protestent entendent par « unité » le besoin de s'opposer de façon aussi unie que possible à un gouvernement exécré, pour la LCR « unité » signifie le renforcement des appareils bureaucratiques.

Il n'y a rien que ces derniers craignent plus qu'un ébranlement du régime bourgeois. Leurs appels au gouvernment et au président sont tous du même ton 'empêchez que le conflit devienne incontrôlable et qu'il menace la paix sociale!'

Bruno Julliard, président du syndicat étudiant UNEF qui a des rapports étroits avec le Parti socialiste, parla en leur nom à tous lorsqu'il déclara dans une interview avec Europe 1, que le but n'était pas le renversement du gouvernement ou sa défaite. Selon lui, l'objectif n'était pas la démission ou un échec du gouvernement. « Nous ne souhaitons pas à terme de ce mouvement qu'il y ait un vaincu et un vainqueur. » Chirac, le président et son premier ministre ont eux, clairement fait savoir qu'ils n'avaient pas l'intention de battre en retraite.

Dans la mesure où la LCR ne peut pas totalement ignorer le rôle réactionnaire des appareils bureaucratiques, elle explique que la dynamique du mouvement en viendra à bout. Rouge écrivait ainsi dans un article de tête : « Quels que soient les projets et calculs politiques du Parti socialiste, quelles que soient les craintes des directions syndicales d'un affrontement avec le gouvernement et l'État, tous sont obligés d'accompagner et d'aider le mouvement. Mais, sa force et son dynamisme sont les jeunes qui s'engagent dans la lutte »

La force et le dynamisme de la jeunesse et des travailleurs à eux seuls forcent le Parti socialiste et la bureaucratie syndicale à soutenir le mouvement. Quelle tromperie ! Toute l'histoire du mouvement ouvrier, les innombrables défaites subie par la classe ouvrière, précisement en France, à cause de la trahison et du sabotage de ses dirigeants prouvent le contraire. L'appel à l' « unité », tel qu'il est lancé par la LCR, a en fait une longue et funeste tradition dans la classe ouvrière française.

Dans les années trente, il servit à la formation du Front populaire. Au nom de l'unité contre le fascisme, les staliniens et les sociaux-démocrates subordonnèrent les intérêts indépendants de la classe ouvrière à une alliance avec les Radicaux, le parti traditionnel de la bourgeoisie française. En 1936, le gouvernment de front populaire de Léon Blum réprima la plus forte grève générale dans l'histoire du pays et fraya la voie au retour de la droite au pouvoir, à la défaite de la révolution espagnole et à la Deuxième guerre mondiale.

Il y a trois ans déjà, la LCR avait, au nom de l' « unité » contre Le Pen appelé à voter pour que Jacques Chirac devienne président ; le candidat du Front national avait battu le candidat socialiste, Lionel Jospin, et était parvenu au deuxième tour de l'élection où Chirac l'eut pour adversaire. Avec l'appel à voter Chirac, la LCR renforça l'autorité du politicien droitier gaulliste et empêcha que le mouvement de masse contre Le Pen ne prenne une direction indépendante.

A présent, elle s'apprête à commettre sa prochaine trahison, au moment où la mobilisation contre le CPE s'oriente vers son apogée.

Au milieu du mois de mars, la LCR faisait parvenir une lettre au congrès du Parti communiste, dans laquelle elle prenait fait et cause pour « l'unité des forces antilibérales et anticapitalistes ». Elle proposa des candidatures unitaires aux élections présidentielles et législatives de 2007. « La question des mobilisations contre le gouvernement et le patronat, ainsi que la question de l'alternative sont au centre de vos préoccupations, que nous partageons », peut-on lire dans cette lettre.

Le Parti communiste, il est bon de le rappeler, est un soutien fiable du régime bourgeois. Pendant les vingt-cinq dernières années il a fait partie de tous les gouvernments dirigés par le Parti socialiste et a réalisé leur politique. Sa secrétaire nationale, Marie-George Buffet, qui a été réélue à une grande majorité par le congrès, était cinq ans durant ministre du gouvernement Jospin. Et tandis que la LCR recherche une candidature commune avec le PCF, ce dernier s'efforce d'organiser une candidature commune avec le Parti socialiste. La LCR n'est ainsi que le dernier maillon d'une longue chaîne qui sert à la défense de l'ordre bourgeois.

L'unité la plus grande possible de la classe ouvrière, de la jeunesse et de larges couches de la population, non pas seulement au niveau national mais au niveau international, constitue sans aucun doute la condition préalable permettant de repousser l'attaque des acquis sociaux et des droits démocratiques organisée par le Capital à l'échelle mondiale. Mais une telle unité ne peut être réalisée que dans la lutte contre l'influence des vieilles organisations syndicales et politiques, qui défendent la propriété capitaliste et qui subordonnent la classe ouvrière aux intérêts nationaux de la bourgeoisie.

L'unité de la classe ouvrière et de la jeunesse exige un programme qui représente les besoins de larges couches de la population, y compris les plus opprimées, et puisse les satisfaire. En d'autres mots, elle exige une perspective socialiste dirigée contre le système capitaliste.

L' « unité » avec les syndicats et la « gauche » officielle, en revanche, divise et affaiblit la classe ouvrière. C'est ce que prouve entre autres l'expérience faite avec le gouvernement de la « Gauche plurielle » dirigé par Lionel Jospin. Après cinq années de gouvernement Jospin, des sections très opprimées de la classe ouvrière furent tellement déçues et dégoûtées, qu'elles étaient prêtes à voter pour le démagogue droitier Le Pen.

L'unification des étudiants, des jeunes et des travailleurs est indissolublement liée à la tâche de construire une nouvelle direction révolutionnaire. La LCR fait tout pour étouffer cette question et créer le plus de confusion possible. Elle constitue l'aile gauche de l'establishment politique. Tandis qu'elle adapte son langage à l'état d'esprit radical des jeunes, elle s'efforce scrupuleusement d'étouffer toute critique vis-à-vis des appareils bureaucratiques et de renforcer leur autorité.