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France : la crise du «Contrat première embauche» s'intensifie

Par l'équipe de reporter du WSWS
2 avril 2006

Les étudiants ont manifesté à travers la France cette fin de semaine contre la promulgation par le président Jacques Chirac de la loi du gouvernement gaulliste sur le Contrat première embauche (CPE). Malgré une opposition populaire massive et des manifestations en rafales, le président Chirac a décidé d'appuyer le premier ministre Dominique de Villepin et de ratifier la loi qui autorise le congédiement des jeunes sans justification durant les deux premières années d'emploi.

Des manifestations ont éclaté dans les villes et les villages à travers le pays à la suite du discours télévisé de Chirac vendredi soir. À Paris, 5000 jeunes ont été bloqués par les CRS alors qu'ils tentaient de se diriger vers la place de l'Élysée, la résidence officielle du président. Les manifestants scandaient «Grève générale, Villepin démission, Chirac en prison». La police anti-émeute autour de l'université de la Sorbonne à Paris, qui est restée sous blocus policier, a lancé des gaz lacrymogènes sur les manifestants. Les autorités rapportent une centaine d'arrestations.

Dans un certain nombre de villes et de villages, les étudiants ont bloqué les routes et les chemins de fer samedi et dimanche et ont annoncé qu'ils planifiaient de nouveaux blocus et occupations d'autoroutes, de gares de train, d'aéroport et d'édifices publics. «Les manifestations et les grèves n'ont pas donné les résultats escomptés, nous devons donc diversifier nos moyens de protestation» a déclaré Karl Stoeckel, dirigeant de l'Union nationale lycéenne (UNL) au International Herald Tribune.

Travailleurs et étudiants vont tenir une journée nationale de grèves et de manifestations demain. Il est prévu que cette action de masse mobilisera encore plus de personnes que celle de mardi dernier qui a rassemblé entre deux et trois millions de personnes.

Plus de vingt millions de personnes, près de 90 pour cent de tous les téléspectateurs, ont regardé le discours de Chirac. Selon un sondage effectué par Le Parisien, seulement un quart des répondants ont jugé que le discours de Chirac était convaincant.

Chirac et Villepin ont refusé de faire de véritables concessions sur le CPE. L'offre du président de réduire la période d'essai des jeunes travailleurs de deux ans à un an ne modifie aucun des aspects essentiels du CPE. L'autre modification qu'il propose demande que les employeurs donnent la raison de la démission aux travailleurs licenciés, mais cette explication ne sera que verbale. Cette mesure a été louangée par Laurence Parisot, la présidente du MEDEF, la principale organisation patronale.

Le gouvernement a offert de discuter des amendements proposés à la loi avec les syndicats, en rencontrant le ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy et d'autres membres de l'Union pour un mouvement populaire (UMP), le parti qui forme le gouvernement. D'importants bureaucrates syndicaux ont déclaré qu'ils ne rencontraient pas Villepin à moins que le gouvernement annonce le retrait du CPE. Le nouveau rôle de Sarkozy comme intermédiaire a pour but de faciliter la capitulation des syndicats.

Plusieurs syndicats ont déjà indiqué qu'ils sont prêts à accepter l'offre de rencontrer Sarkozy. « L'interlocuteur des syndicats n'est plus le premier ministre, mais les députés UMP » sur lesquels « on doit faire pression pour que la loi soit abrogée » a déclaré François Chérèque, le dirigeant de la Confédération française démocratique du travail (CFDT). Jean-Claude Mailly, le dirigeant de Force ouvrière (FO) a dit « ne pas fermer la porte » à une discussion avec des parlementaires.

L'empressement des syndicats à rencontrer les représentants du gouvernement montre encore une fois combien les syndicats sont déterminés à isoler et en bout de ligne supprimer le mouvement anti-CPE. Leur préoccupation depuis le début a été d'empêcher que le mouvement se développe en une lutte ouverte contre le gouvernement de Chirac et Villepin.

Tout comme les syndicats, les partis établis de la « gauche » française n'ont pas ménagé leurs efforts pour démontrer qu'ils pouvaient être utiles à l'élite dirigeante. Onze organisations, y compris le Parti socialiste, le Parti communiste, les Verts et la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), ont formé « Riposte collective » pour coordonner leur prosternation devant l'État français.

Ce collectif s'est rencontré un peu avant le discours télévisé de Chirac pour demander « solennellement à Jacques Chirac le retrait du CPE pour engager des négociations avec les syndicats puis revenir devant le Parlement».

Le lendemain du discours, samedi matin, le regroupement a répondu conjointement à l'annonce que Chirac avait promulgué le CPE. Ils ont déclaré que Chirac « n'a pas conscience de l'intérêt général et cherche à manoeuvrer pour essayer de diviser le mouvement et de continuer à appliquer sa politique et à tourner le dos aux aspirations de la jeunesse et de la grande majorité de la population. En jetant ainsi de l'huile sur le feu il aggrave dangereusement la crise sociale que nous vivons.»

Les onze organisations ont signifié leur appui pour la journée d'action nationale et ont annoncé qu'elles distribueront une déclaration conjointe lors des manifestations.

Des journalistes du World Socialist Web Site ont interviewé Brigitte Dionnet, qui siège sur le comité exécutif du Parti communiste, après une rencontre du collectif. Le WSWS lui a demandé pourquoi le PCF avait refusé d'appeler pour une grève générale illimitée dans le but de faire tomber le gouvernement. « Parce que ce n'est pas au Parti Communiste à appeler à la grève générale illimité, a répondu Dionnet. C'est aux syndicats de le faire et donc bien évidement nous soutenons l'ensemble des mobilisations qui se déroulent et aussi les propositions que les syndicats font.»

Lorsque le WSWS a noté que l'appel pour la grève générale n'était pas une question syndicale mais bien une question politique, elle a répondu : « Oui, mais nous pensons que il ne suffit pas décider d'appuyer sur un bouton pour que les choses se fassent et donc on continue à argumenter et à se battre pour élargir la mobilisation. Si les ouvriers le veulent, qu'ils le fassent, nous, on les appuiera. »

Le WSWS a continué en demandant si le rôle du PCF était de suivre ou bien de mener. « Non, ce n'est pas qu'on suit c'est que chacun a ses responsabilités et que on essaye de assumer les nôtres», a continué Dionnet.

Les staliniens ont assurément une longue histoire d'intervention pour maintenir la domination de la bourgeoisie en France en temps de crise. En 1936 et en 1968, des soulèvements révolutionnaires de la classe ouvrière ont été étouffés et trahis par le Parti communiste qui a depuis longtemps abandonné les principes socialistes et internationalistes sur lesquels le parti a été fondé en 1920.

Dans la crise actuelle provoquée par les attaques du gouvernement sur les conditions de travail des jeunes, les staliniens ont mis tous leurs efforts à canaliser le mouvement derrière les syndicats et ont cherché à augmenter leur appui pour la campagne présidentielle de 2007. Le Parti communiste, par le passé force politique dominante au sein de la classe ouvrière française, a perdu, depuis des années énormément de membres et de supporters et n'est maintenant plus qu'une coquille bureaucratique. Robert Hue, le candidat à la présidence du parti en 2002, n'avait reçu que 3,4 pour cent des votes.

Le WSWS s'est aussi entretenu avec François Sabado, le délégué de la LCR. Sabado est membre du comité politique du parti et oeuvre aussi au sein du comité exécutif du Secrétariat unifié, l'organisation internationale affiliée à la LCR. Interrogé sur la voie que devrait prendre le mouvement anti-CPE, il a répondu : « On appelle à la grève générale reconductible depuis même maintenant plusieurs jours. Notre objectif à la LCR est le retrait du CPE et nous appelons aussi à la démission de Chirac, Sarkozy, de Villepin et tous les autres. » Ayant dit cela, Sabado s'est retiré et n'a plus accepté aucune autre question.

Le WSWS a par la suite réussi à demander à Sabado qu'il explique pourquoi la LCR avait accepté la « demande solennelle » de la Riposte Collective à Chirac, seulement un jour après qu'ils aient fait une déclaration qualifiant une telle demande de diversion. « Tout qui nous importe c'est l'unité d'action, la mobilisation de toute la gauche dans l'unité, c'est ça qui est important, a-t-il répondu. « Chirac qui s'est exprimé hier donc on a demandé à Chirac, effectivement, de ne pas promulguer la loi. C'est tout, voilà. » Sabado a ensuite refusé toute question supplémentaire du WSWS.

Les réponses évasives de Sabado sont une indication du rôle déloyal de la LCR dans le mouvement anti-CPE. Alors que leurs représentants publics en appellent, de la manière la plus militante et démagogique possible, à la grève et aux mobilisations anti-gouvernement, ils travaillent main dans la main avec les staliniens et les sociaux-démocrates pour garder la classe ouvrière subordonnée à l'État français et pour empêcher que les travailleurs et les jeunes développent une perspective socialiste indépendante.