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France: Les manifestations se poursuivent malgré le recul du gouvernement sur le Contrat première embauche

Rick Kelly et Antoine Lerougetel
12 avril 2006

Des milliers d'étudiants et de lycéens ont manifesté mardi dans toute la France contre le gouvernement gaulliste, malgré le recul de celui-ci sur la question du Contrat première embauche (CPE). Le fait que les manifestations se poursuivent montre l'intensité de l'opposition au gouvernement et le scepticisme de beaucoup de jeunes vis-à-vis de l'entente du gouvernement avec les syndicats au sujet de la loi devant remplacer le CPE.

On a estimé à 41.000 le nombre d'étudiants qui ont manifesté hier à Paris et dans d'autres villes françaises. La participation a été beaucoup plus faible que lors des manifestations précédentes, auxquelles avaient participé des centaines de milliers de jeunes. Il est vrai qu'un grand nombre de lycéens et d'étudiants sont en vacances, mais la principale raison de la mobilisation réduite de mardi est l'accord passé, avec l'aide du Parti communiste et du Parti socialiste, entre les syndicats et le gouvernement du premier ministre Villepin et du président Chirac.

Chirac et Villepin ont annoncé lundi 10 avril que le CPE serait remplacé. Ce dernier permettait aux employeurs de licencier les travailleurs de moins de 26 ans sans justification. Les nouvelles mesures proposées comprennent des subventions aux entreprises qui embauchent des travailleurs inexpérimentés et une augmentation du nombre de stages en entreprise offerts aux jeunes dans diverses industries. La nouvelle loi n'a qu'un caractère symbolique. On estime que seulement 160.000 personnes pourraient bénéficier des nouvelles mesures qui coûteront 150 millions d'euros en 2006.

Le retrait du CPE constitue un recul politique embarrassant pour Chirac et Villepin, ceux-ci ayant auparavant insisté pour dire que la mesure pouvait bien être remaniée mais non abrogée. Ils ne s'étaient pas attendus ou ne s'étaient pas préparés, tout comme l'ensemble de l'élite dirigeante du pays, à l'énorme et subite vague d'opposition provoquée dans la société par l'adoption du CPE que Villepin avait fait passer à toute allure à l'Assemblée nationale après avoir bloqué tout débat. Le retrait du CPE représente une défaite politique pour le premier ministre en particulier et qui lui coûtera probablement son poste, mettant aussi un terme à ses ambitions présidentielles.

Même si c'est un recul pour Chirac et Villepin, cela ne signifie toutefois pas que les jeunes et les travailleurs en France sont venus à bout de la campagne menée par l'élite dirigeante et l'establishment politique pour démanteler l'État providence et les protections sociales établies durant la période de boom économique de l'après-guerre. N'ayant pas réussi à contrôler l'opposition de masse et s'étant trouvé progressivement isolé, le gouvernement a effectué une manoeuvre qui, au total, consista à se tourner vers la bureaucratie syndicale, le Parti socialiste et le Parti communiste. Il s'est assuré leur aide pour essouffler les grèves et les manifestations et pour gagner du temps afin de préparer un nouvel assaut sur la sécurité de l'emploi, cette fois-ci avec l'approbation, tacite ou officielle, de la bureaucratie syndicale.

Les syndicats et les partis de la «gauche» officielle ont eux, fait tout leur possible pour engendrer un climat d'insouciance euphorique et satisfaite de manière à laisser les étudiants et les travailleurs politiquement impréparés face à la prochaine série d'attaques.

Suite à l'annonce du retrait du CPE par le gouvernement, les directions des syndicats ouvriers et étudiants se sont réunies à la centrale de la Confédération générale du travail (CGT), le syndicat liée au Parti communiste. A l'issue de la réunion eut lieu une conférence de presse, mais avant que celle-ci ne commence, le dirigeant de la CGT, Bernard Thibault, déclara devant les caméras qu'il avait invité les syndicats ouvriers et étudiants à célébrer la victoire, avec champagne pour tout le monde.

Les syndicats, de connivence avec les partis politiques officiels de la «gauche», ont agi dès le début de façon à empêcher que le mouvement de masse ne se développe en lutte ouverte contre le gouvernement et la totalité de son programme droitier. A présent, ils crient «victoire» même si le gouvernement maintient des mesures qui cassent les conditions de travail et augmentent la précarité de l'emploi.

Une de ces mesures, le Contrat de nouvelle embauche (CNE), permet à de petits employeurs de licencier, sans justification, des travailleurs de n'importe quel âge au cours des deux premières années d'emploi. La Loi pour l'égalité des chances (LEC) comprend de nombreuses mesures réactionnaires, incluant de facto une réduction de l'âge legal de travail des jeunes et levant l'interdiction pour les employeurs de faire travailler de nuit les jeunes dès l'âge de 15 ans.

Les dirigeants des syndicats étudiants, nombre d'entre eux ayant des liens étroits avec le Parti socialiste, profitèrent du retrait du CPE par le gouvernement pour démobiliser le mouvement de protestation. Lundi, Julie Coudry de la Confédération étudiante, exigea l'arrêt des grèves et du blocage des universités. Bruno Julliard, dirigeant de l'Union nationale des étudiants de France (UNEF), le plus important syndicat étudiant, demanda que toute mobilisation future se préoccupe avant tout de faire pression pour garantir une approbation rapide de la nouvelle loi remplaçant le CPE.

Selon des responsables du ministère de l'Éducation, des 62 universités qui n'étaient pas en congé, 27 demeuraient «perturbées» et 5 étaient encore fermées ou bloquées. Les étudiants ont subi une pression énorme de la part du gouvernement, de la police, des autorités universitaires et des directions syndicales étudiantes pour lever les blocages à temps pour les examens de fin d'année. Dans de nombreuses universités les étudiants sont divisés sur la question.

À l'université de Rennes, qui est fermée depuis le début du mouvement anti-CPE en février, un vote à mains levées lundi soir s'est soldé par l'égalité des deux camps. Le retrait des blocages n'a été approuvé de justesse qu'après décompte individuel des voix.

La position des syndicats étudiants contraste avec celle prise par la Coordination nationale étudiante. Cette organisation, composée de délégués élus par les lycées et les universités, était réunie le week-end dernier, avant l'annonce du gouvernement sur le CPE. Dans une déclaration publiée dimanche, des représentants étudiants ont prévenu qu'ils rejetteraient «toute manoeuvre du gouvernement qui viserait à remplacer le CPE par un CPE bis réservé aux jeunes et marqué une nouvelle fois du sceau de la précarité». Ils ont exigé le retrait complet du CPE, du CNE et de la Loi pour l'égalité des chances, ainsi que de toute nouvelle loi du gouvernement qui limiterait les droits des immigrés et des réfugiés.

La Coordination nationale étudiante a déclaré: « Nous appelons les syndicats à rompre immédiatement toute négociation et à appeler immédiatement à des manifestations régionales et à la grève générale jusqu'à satisfaction de nos revendications». Les étudiants ont encouragé «les salariés et leurs organisations» à élire leurs propres représentants afin de constituer une «Coordination nationale unitaire» de travailleurs et d'étudiants.

Dans la nuit de lundi, Yasmina Vasseur, une déléguée lycéenne de Rennes à la Coordination nationale étudiante, a parlé au World Socialist Web Site sur la position des syndicats ouvriers et étudiants. «Je suis déçue, a-t-elle affirmé. Le fait qu'ils boivent du champagne signifie qu'ils n'avaient pas les mêmes objectifs que nous. Ils ne nous ont appuyés que pour le spectacle.»

Elle a été particulièrement critique de l'UNEF: «Leurs membres faisaient partie de la Coordination. Nous avons voté qu'il ne devait y avoir aucune négociation à moins que nos demandes, au sujet du CPE et les autres, soient satisfaites, et ils sont allés voir le gouvernement malgré tout.»

Durant les manifestations de mardi à Paris, des journalistes du WSWS ont parlé à plusieurs étudiants qui ont déclaré leur détermination à poursuivre la lutte contre le gouvernement.

«Je pense qu'on est au début», a affirmé Yasmina Mraizika, étudiante en langues à la Sorbonne. «Ce n'est pas fini, ou alors je ne sais pas si c'est de l'hypocrisie (l'annonce du gouvernement). On ne connaît pas encore le contenu de la nouvelle loi. On voudrait étendre le mouvement à la LEC. Et le CNE c'est aussi un contrat précarisant qui s'adresse aux PME. Notre mouvement s'inscrit dans la ligne altermondialiste et les luttes contre la précarisation, mais ce n'est pas antimondialiste. Pour la suite, il faut être confiant, mais c'est vrai qu'on commence à perdre du monde.»

Julien Lucy, étudiant en philosophie à la Sorbonne, a parlé de son opposition à l'entente négociée entre les syndicats et le gouvernement. « Les syndicats n'ont pas intérêt à ce que le mouvement aille plus loin. Ils ont manoeuvré politiquement pour essouffler le mouvement, » a-t-il dit au WSWS. « Les syndicats ne veulent pas d'une lutte contre le gouvernement et le gouvernement profite de cela.»

Outre les principales manifestations, plusieurs autres actions de protestation ont été organisées mardi. Une centaine d'étudiants ont occupé un poste de péage aux abords de Bordeaux et ont laissé les véhicules passer sans payer. Près de Dunkerque, des jeunes ont envahi les voies ferrées et ont interrompu le traffic du TGV (train à grande vitesse). Ils ont ensuite organisé des meetings avec les passagers retardés pour leur expliquer pourquoi ils continuaient leurs protestations contre le gouvernement. Des étudiants ont aussi brièvement occupé les pistes de l'aéroport de Nantes-Atlantique avant d'être évacués manu militari.

Dans l'intervalle, les syndicats ont affirmé qu'ils avaient l'intention d'intensifier leur collaboration avec le gouvernement et les organisations patronales. Les dirigeants syndicaux ont accepté mardi la proposition du syndicat patronal, Medef, d'une rencontre des «partenaires sociaux» pour «tirer les leçons» de la crise du CPE et d'élaborer un plan pour discuter ensemble des prochaines réformes de «libre marché».

Le retrait du CPE n'a pas altéré la détermination des élites dirigeantes en France et en Europe à démanteler les gains sociaux acquis par la classe ouvrière dans la période de l'après-guerre et d'instaurer un emploi à l'américaine. Jean-Claude Trichet, le président de la Banque centrale européenne et l'ancien gouverneur de la Banque de France, parlait au nom de la bourgeoisie internationale lorsqu'il dit ce qui, a son avis, était requis.

«La France, comme d'autres en Europe, implante les réformes trop lentement, et il y a un prix à cette lenteur, a-t-il déclaré. Dans le monde dans lequel nous vivons, ce sera le prix fort.»

Les discussions au sein de la presse française mardi portaient principalement sur la façon de s'assurer le soutien des syndicats pour d'autres «réformes». «D'abord sur la méthode : on sait désormais avec certitude que les réformes (les vraies) ne se font pas en allant seul à la bataille» a écrit dans son éditorial le quotidien de droite Le Figaro. «Sur l'ampleur de la réforme: mal gérés, les petits sujets peuvent provoquer de grandes secousses ; autant, donc, éviter de multiplier les réformes partielles.»

Dans une interview donnée au Figaro, le ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy, insista pour dire qu'il n'avait «en rien renoncé à la rupture [d'avec le modèle social français]». Au sortir de la crise du CPE, Sarkozy a pris la tête de la course pour la nomination du candidat présidentiel de la coalition au pouvoir, l'Union pour un mouvement populaire. Il critiqua Villepin pour avoir écarté les syndicats et déclara son intention de poursuivre l'implantation des réformes de «marché libre» en partenariat avec eux.



 

 

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