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France: Victime d'une campagne de dénigrement, un travailleur grièvement blessé pendant une manifestation anti-CPE sort du coma

Par Antoine Lerougetel and Pierre Mabut
14 avril 2006

Cyril Ferez, travailleur français des télécommunications âgé de 39 ans, gravement blessé par la police à Paris le 18 mars pendant une manifestation anti-CPE (Contrat première embauche, qui permet aux patrons de licencier les jeunes salariés sans justification pendant les deux premières années suivant l'embauche), vient de sortir du coma après trois semaines. Il souffre toujours de problèmes respiratoires et d'une infection pulmonaire, mais est capable de répondre à des ordres simples. Cyril Ferez fut victime de la brutalité des CRS qui le frappèrent et le piétinèrent puis le laissèrent sans secours médical.

Le cas de Ferez ne fut même pas reconnu par la police pendant 48 heures et il y eut un black out sur son état jusqu'à ce que son syndicat, SUD PTT (Solidarité, Unité, Démocratie - Poste Télécommunication) en informa la presse.

Cyril Ferez a un fils de six ans et habite Torcy, juste à l'extérieur de Paris. Il est employé par Orange, compagnie de télécommunications. Son syndicat a réuni des témoignages et des photos de l'incident et affirme qu'ils constituent «un dossier accablant contre la police.»

La déclaration du syndicat affirme notamment le 22 mars: «A la fin de la manifestation contre le CPE, il était présent place de la Nation. Il a eu la malchance de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment. Il a été violemment piétiné par les forces de l'ordre. Ces dernières n'ont pas 'jugé utile' d'alerter les secours. Aujourd'hui, Cyril, adhérent à Sud-PTT, est entre la vie et la mort. »

La déclaration continue : «Tous les manifestants et tous les passants ont pu le constater, l'attitude des forces de l'ordre se fait de plus en plus menaçante et plus provocante à chaque manifestation. Les risques de débordements et de bavures vont croissant. En province, comme à Paris, les charges de police se multiplient, les arrestations aussi. Les jugements en comparution immédiate deviennent monnaie courante. Samedi, l'irréparable est arrivé. Cyril, qui n'a rien d'un casseur, s'est retrouvé à terre et a été piétiné sans vergogne par une charge policière. Comme si cela n'était pas suffisant, les flics ont refusé d'alerter les secours. Cyril est resté au moins 20 minutes sans soin.»

Dès le début, la campagne de dénigrement de la police suggéra que Ferez lui-même portait la responsabilité de son état et l'étiqueta d'alcoolique. Cependant des vidéos et des témoins révèlent que la police l'attaqua brutalement place de la Nation où une manifestation de 350,000 personnes se termina par une bataille entre la police et un petit nombre de manifestants.

Il n'existe pas de décompte officiel des blessés durant les opérations policières visant à expulser les manifestants qui occupaient et bloquaient universités et lycées, voies de chemins de fer, autoroutes et centres-villes. L'expulsion manu militari des étudiants occupant la Sorbonne au petit matin du 13 mars par les CRS au moyen de gaz lacrymogène et matraques, commanditée par le premier ministre et dirigée personnellement par le ministre de l'intérieur Nicolas Sarkozy, a donné le ton à la répression du mouvement par la suite.

Quelques 3,400 interpellations ont été annoncées et des peines allant jusqu'à 8 mois ont été infligées à des étudiants et lycéens ayant jusque là un casier judiciaire vierge.

La fédération Sud-PTT interpelle le gouvernement et son ministre de l'intérieur sur 3 points essentiels : En quoi l'état d'ébriété supposé de Cyril justifiait-il son piétinement ? Pourquoi les forces de l'ordre n'ont-elles pas alerté les secours? Pourquoi la Préfecture a-t-elle annoncé, samedi soir, qu'aucun blessé grave n'était à signaler ?

Le WSWS eut un entretien vendredi dernier avec Régis Blanchot de SUD PTT, qui est responsable du dossier de Cyril Ferez

Blanchot dit : « Hier soir il est redevenu conscient. Il ne parle pas mais il comprend et il peut répondre aux ordres. L'infection pulmonaire n'est pas encore guérie. Il l'a eue suite à la violence des coups qu'il a reçus et puis il a été entubé.

Nous ne savons pas comment il sera quand il sortira complètement de son coma. Il y a aussi le problème de tous les mensonges qui ont été dits sur lui. Il faut que la vérité sorte.

Tout le monde a été très choqué, très en colère contre la campagne de désinformation. Ils ont dit que Cyril était un alcoolique, qu'il s'est blessé en tombant de son lit à l'hôpital. Un CRS a dit que c'était d'autres manifestants qui l'ont frappé. Au lieu de renseignements de la part de la police, il y a eu plein de fuites. Ils veulent dégager la responsabilité des forces de l'ordre. Le montage de désinformation a un seul objectif : blanchir les forces de l'ordre.

Nous avons beaucoup travaillé avec la famille. Nous avons le même notaire. Nous attendons les éléments précis de ce qui s'est passé pour répondre aux désinformations. Les désinformations ont sali Cyril.

Pendant le mouvement anti-CPE il y a eu des milliers d'interpellations avec comparution immédiate et souvent des peines très lourdes. Par contre, après trois semaines pour Cyril, il y a eu une seule enquête et il n'y a toujours pas de juge d'instruction nommé. Nous avons fait notre plainte le 24 mars. Sarkozy s'est engagé que toute la vérité serait faite. Donc nous avons posé une seconde plainte.

Le WSWS voulut connaître son opinion sur les agents de police en civil qui portaient des autocollants et des badges des organisations de gauche, y compris de SUD. Il répondit : « nous trouvons que c'est inadmissible. Cela peut engendrer de la violence. Quant à la question de la possibilité de provocateurs de la police, nous avons nos soupçons, mais nous n'avons pas de preuves mais c'est plausible. Les casseurs agissent souvent avec impunité et à la fin des manifestations ils s'échappent et beaucoup de manifestants sont arrêtés et reçoivent de lourdes peines. C'était le cas à la fin de la manifestation du 4 avril.

Beaucoup de militants se rappellent le cas de Malik Oussekine [étudiant innocent tabassé à par des brigades spéciales de la police pendant le mouvement contre la loi Devaquet en 1986, qui voulait réduire le droit d'accès aux études universitaires]. Robert Pandraud, un membre du gouvernement qui travaillait avec le ministre de l'intérieur, Charles Pasqua, avait dit : « Si j'avais un fils sous dialyse il ne ferait pas le con dans les manifestations ».

Cela avait beaucoup marqué l'opinion et avait contribué à la défaite de Chirac, premier ministre à l'époque, aux élections présidentielles en 1988. Nous avons pensé à cela quand la police a essayé de salir Cyril. »

Nicolas Sarkozy, craignant une radicalisation du mouvement de contestation, devait avoir en tête les événements de 1986 quand il expliqua pourquoi il soutenait le recul du gouvernement sur le CPE, dans un entretien publié dans le journal de droite Le Figaro le 11 avril :

"Je voudrais m'adresser aux électeurs de droite et les faire réfléchir. Nos électeurs les plus fermes à droite veulent qu'on ne cède pas à la rue, et ils ont raison. Mais ils voulaient aussi que la pagaille s'arrête et qu'on ne se retrouve pas avec une nouvelle affaire Malik Oussekine, qui aurait conduit au désastre. Je ne suis pas là pour faciliter la tâche de la gauche.»