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WSWS : Nouvelles et analyses : États-Unis

Les élections 2006 et le système biparti américain

Le vote contre la guerre répudié par Bush et les démocrates

Par le comité éditorial
5 décembre 2006

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Quatre semaines après les élections au Congrès du 7 novembre, toutes les sections de l’élite dirigeante américaine ont renié le vote massif contre la guerre, répudiant les politiques de l’administration Bush, mettant fin au contrôle des républicains sur la Chambre des représentants et le Sénat et donnant le plein contrôle du Congrès aux démocrates.

Dans les jours qui ont immédiatement suivi le vote, les sondages tenus à la sortie des bureaux de scrutin ont documenté le rôle essentiel qu’a joué le sentiment anti-guerre pour déterminer l’issue du vote. Deux personnes sur trois parmi ceux qui ont voté étaient opposé à la façon dont l’administration Bush mène la guerre en Irak et de ceux-là, 80 pour cent ont voté pour des candidats démocrates. La guerre était de loin la plus importante question dans l’esprit de ceux qui se sont déplacés pour voter.

Dans leurs commentaires post-électoraux, les experts des médias et les responsables des deux partis concédaient que les élections étaient devenues en fait un référendum sur la guerre et que le peuple américain y avait répondu par un « Non » très clair. Les sondages effectués à la sortie des bureaux de scrutin montraient que parmi la majorité anti-guerre, la politique la plus populaire était le retrait immédiat, rapide et complet des troupes américaines hors de l’Irak.

Et pourtant, moins d’un mois plus tard, l’administration Bush, la direction démocrate entrante au Congrès et les analystes des médias s’entendent pour dire que toute discussion sur le retrait immédiat de l’Irak dépasse ce qui est réalisable. Plutôt, le débat officiel sur la politique en Irak est sévèrement circonscrit, les possibilités envisagées allant de l’envoi des dizaines de milliers de soldats supplémentaires jusqu’à un retrait partiel des forces américaines de la ligne de front vers une demi-douzaine de bases militaires en Irak même ou près de ce pays, où elles demeureront pendant des années, si ce n’est des décennies.

Les deux principaux quotidiens américains ont noté ces derniers jours le rejet rapide dans les cercles officiels de toute considération de se retirer de l’Irak. Le New York Times a publié une analyse en première page le 1er décembre, écrit par son journaliste politique bien branché David Sanger et intitulé « L’idée d’un retrait rapide de l’Irak semble pâlir ».

Sanger a écrit : « Dans la cacophonie des plans en concurrence sur ce qu’il faut faire en Irak, une réalité apparaît clairement : malgré la victoire démocrate ce mois-ci dans une élection considérée comme un référendum sur la guerre, l’idée d’un retrait rapide des troupes américaines ne semble rapidement plus une option viable. » Il a noté qu’il y avait unanimité sur cette question de la part de Bush, des chefs de l’état-major, du Groupe d’étude sur l’Irak bipartisan, des démocrates au Congrès et de l’ancien président Bill Clinton.

Le Washington Post a continué sur la même lancée le jour suivant avec un article intitulé « Les hauts responsables ne s’attendent pas à de grands changements, peu importe ce que la commission recommandera ». Dans cet article, on pouvait lire que « l’administration Bush a avisé ses alliés qu’elle ne bougerait pas sur certains aspects de la politique irakienne », peu importe les recommandations du Groupe d’étude sur l’Irak ou les conclusions de la révision de la politique irakienne de l’administration entreprise par le Pentagone et le Conseil de sécurité nationale.

Le Groupe d’étude sur l’Irak, une commission bipartisane établie par le Congrès, rendra ses conclusions publiques ce mercredi, mais les rapports coulés dans la presse indiquent que le retrait de l’Irak ne constitue même pas une des options considérées. Les rapports de presse cite des membres de la commission qui ne sont pas nommés (la commission est composée de cinq républicains et de cinq démocrates), ayant dit que les recommandations se limiteraient à un redéploiement des troupes en Irak et l’augmentation de l’effort diplomatique, y compris des pourparlers avec la Syrie et l’Iran.

Bush, comme d’habitude, a exprimé l’opposition consensuelle au retrait des forces américaines de l’Irak de la façon la plus grossière et arrogante. Discutant avec des journalistes lors de son voyage en Lettonie et en Jordanie la semaine passée, il a déclaré que « Toute cette affaire sur une sortie harmonieuse n’est tout simplement pas réaliste. » Il aurait été approprié de lui demander combien « réalistes » étaient les déclarations de Bush lui-même sur l’Irak, sur les armes de destructions massives, sur les liens entre l’Irak et les attentats terroristes du 11-Septembre, et sur la « démocratisation » de ce pays. Mais pas un journaliste ne l’a fait.

Plutôt, le Washington Post a applaudi la répudiation sans gêne par Bush du verdict clair de l’électorat américain, écrivant dans un éditorial publié le 3 décembre : « M. Bush, qui est souvent accusé de ne pas être en contact avec la réalité, a fait cette déclaration la semaine passée qui nous a frappé pour être très rationnelle : “Toute cette affaire sur une sortie harmonieuse, a-t-il dit, n’est tout simplement pas réaliste.” »

Alors que le retrait des troupes américaines de l’Irak est mis au rancart, le Washington officiel est de plus en plus préoccupé par le débat sur ce qu’il faudrait faire pour sauver ce qui peut l’être dans l’intérêt de l’impérialisme américain de la débâcle en Irak et par les conflits au sein de l’establishment politique et au sein de l’administration Bush elle-même pour établir sur qui retombera la responsabilité de ce désastre stratégique.

Il ne s’agit pas simplement d’attribuer la responsabilité pour toutes les pertes de vie, tant américaines qu’irakiennes, et pour la destruction criminelle du tissu social de tout un pays. Il s’agit plutôt de régler ses comptes au sein de l’élite dirigeante en retirant les individus responsables du développement des politiques gouvernementales (comme Rumself), de tenter d’obtenir un avantage politique pour une ou l’autre section des deux partis officiels dans la course électorale pour la campagne présidentielle de 2008 et de continuer une lutte de plus en plus acerbe au sein de la vaste bureaucratie militaire.

Cette dernière facette du conflit a résulté en une guerre de divulgations, où les représentants du Pentagone, de la Maison-Blanche, de la CIA et du département d’Etat ont dévoilé des évaluations internes classées secrètes. Dans la dernière semaine seulement, parmi les documents secrets fournis au Times et au Post se trouvaient : une évaluation très critique du gouvernement Maliki par la Maison-Blanche et rédigée par Stephen Hadley, conseiller en matière de sécurité nationale; une étude des marines sur la province d’Anbar concluant qu’une victoire militaire américaine n’était plus possible dans cette région; une proposition du département d’Etat visant à appuyer la faction chiite dans la guerre civile irakienne, abandonnant ainsi la prétention à la démocratie et les médiations entre les factions; et plus récemment, la note du chef du Pentagone, Rumsfeld, adressée à Bush et datée du 6 novembre, la journée avant l’élection, présentant de possibles stratégies alternatives pour le régime d’occupation américain.

La note de Rumsfeld était remarquable en deux points : l’admission ouverte de l’échec de la politique américaine actuelle en Irak, et l’absence d’explication pour cet échec. Cela révèle l’immense crise de l’occupation américaine ainsi que la banqueroute politique et intellectuelle des principaux auteurs de cette guerre illégale.

Invité à des talk-shows nationaux dimanche matin, le conseiller à la sécurité nationale Hadley a tenté d’expliquer la signification de la note de Rumsfeld, niant le fait évident que la note contredisait catégoriquement la propagande au sujet du progrès constant et du « succès » en Irak qu’a servie l’administration Bush lors de la campagne électorale de cet automne.

Les sénateurs démocrates et républicains qui ont suivi Hadley aux talk-shows étaient principalement d’accord avec la Maison-Blanche sur la question la plus fondamentale : une défaite des Etats-Unis en Irak serait un désastre aux immenses répercussions internationales; il doit être évité à tout prix. Sur cette base, ils ont offert une série de recommandations pour repousser au plus tard la défaite ou récupérer le plus possible de l’échec de l’administration Bush.

À plusieurs émissions, il aurait été difficile de distinguer, par leurs commentaires sur l’Irak, quel sénateur représentait quel parti. Le sénateur démocrate Joseph Lieberman du Connecticut, invité à l’émission Face the Nation sur CBS, était beaucoup plus belliciste que son homologue républicain, le sénateur Chuck Hagel du Nebraska, qui a déclaré publiquement que la politique de l’administration Bush était un échec.

À l’émission Fox News Sunday, le sénateur républicain de Caroline du Sud, Lindsey Graham, un proche allié du sénateur John McCain, a appelé à une intensification des opérations militaires américaines en Irak, par l’ajout de milliers de soldats, et il a averti qu’une défaite des Etats-Unis en Irak aurait des conséquences dévastatrices à travers le Moyen-Orient, y compris pour Israël.

Il a rejeté la proposition selon laquelle Bush devait trouver un terrain d’entente avec les opposants à la guerre en Irak, déclarant : « Nous devons gagner en Irak. Et je suis contre toute stratégie qui unirait le pays, mais qui ferait perdre la guerre. J’aimerais mieux faire partie d’une nation divisée et gagner que faire partie d’une nation unie et perdre. »

Le démocrate qui était là en même temps que Graham, le sénateur Joseph Biden du Delaware, a réagi à cet emportement, qui plaçait pratiquement dans la même catégorie les opposants à la guerre et les terroristes d’al-Qaïda, par ce commentaire apaisant : « Bien, écoutez, je crois que Lindsey soulève beaucoup de bons points, mais ce qui importe tout compte fait si l’on veut réaliser quoi que ce soit est un règlement politique à l’intérieur de l’Irak. »

Biden ajoute ensuite qu’il avait demandé, il y deux ans déjà, l’envoi de 100 000 soldats additionnels vers l’Irak, demande qui avait été refusée par l’administration Bush au motif qu’elle impossible à satisfaire et non nécessaire. Il a réitéré son appel pour la partition de l’Irak en trois Etats séparés, chiite, sunnite et kurde.

Une conspiration bipartisane pour la guerre

L’entrevue la plus éclairante sur le plan politique est celle qui diffusée dans le cadre de l’émission Meet the Press sur NBC dimanche avec le sénateur républicain John Warner et le sénateur démocrate Carl Levin. Ils sont respectivement président et membre du Comité des forces armées du Sénat et échangeront leur position en janvier lorsque les démocrates vont prendre le contrôle du Congrès.

Warner, un dirigeant et porte-parole de l’appareil de sécurité nationale au congrès, et particulièrement de la coterie militaire — il est un ancien haut responsable de la Marine – a insisté sur la nécessité pour l’administration Bush d’en arriver à une entente sur la guerre avec la majorité démocrate qui arrive au Congrès.

 « Après tout, dit-il, le peuple a parlé dans ces élections, très fort, et la nouvelle direction reflète la voix du peuple partout à travers ce pays. » Il ajoute, « Notre constitution a établi la branche exécutive, le Congrès, mais c’est le peuple qui détient le pouvoir dans ce pays. Il a parlé. » Warner revient un peu plus tard sur ce point, concluant, « Nous avons une obligation à l’égard du peuple de ce pays, qui a parlé dans ces élections. Et nous ferions mieux de prêter attention à ce qu’il dit. »

Dans d’autres circonstances, ces commentaires auraient été sans intérêt, une simple répétition des truismes constitutionnels et démocratiques. Mais dans le contexte de la présente crise en Irak et à Washington, le sénateur républicain avertissait l’administration qu’il devait enrôler le Parti démocrate dans la Chambre des représentants et au Sénat dans ses efforts de guerre.  Son argument revient à ceci : parce que les électeurs ont exprimé un sentiment anti-guerre en votant pour les démocrates, Bush doit faire une entente avec les démocrates pour continuer et élargir la guerre.

Que les démocrates soient prêts à conclure une telle entente a été confirmé par Levin, qui était aux côtés de Warner et manifestait son accord. Levin indiquait également que celui que Bush veut nommer secrétaire à la Défense, l’ancien directeur de la CIA, Robert Gates, allait rapidement être approuvé. Les démocrates n’utiliseront pas leur contrôle du Congrès pour couper les fonds à la guerre ou pour bloquer les nominations des responsables qui veulent la continuation de la guerre.

Le Groupe d’étude sur l’Irak n’est pas la seule conspiration bipartisane pour prolonger la guerre. Ses opérations ne sont que la démonstration spécifique d’un processus plus large : la collaboration des deux partis de la grande entreprise pour désarmer le peuple américain et poursuivre, plus ou moins indéfiniment, une guerre sanglante prédatrice que la majorité rejette.

Le mois qui s’est écoulé depuis le 7 novembre est une expérience de laquelle des leçons politiques vitales doivent être tirées. Il est impossible de mener une lutte contre la guerre en Irak dans le cadre du système actuel des deux partis. La seule manière de lutter contre l’administration Bush et son programme de réaction et de guerre est de rompre avec les démocrates et les républicains et de construire un parti politique de masse de la classe ouvrière, opposé à l’oligarchie corporative et au système de profit dans son ensemble.

(Article original publié le 4 décembre 2006)

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