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WSWS : Nouvelles et analyses : États-Unis

Près de la moitié des ouvriers de Ford aux Etats-Unis acceptent des offres au départ: un vote de méfiance vis-à-vis de l’UAW

Par Barry Grey
9 décembre 2006

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Quelque 38 000 membres du syndicat de l’automobile (United Auto Workers – UAW) des usines Ford aux Etats-Unis ont décidé d’accepter un départ en retraite anticipée ou une offre au départ, a annoncé la firme le 30 novembre.

Cet exode massif d’ouvriers qui quitteront leur emploi en septembre prochain fait partie d’une manoeuvre brutale destinée à réduire les coûts liés à la fermeture de 16 usines et une réduction permanente d’effectifs dans l’entreprise en crise.

Ford et l’UAW exercèrent une pression énorme sur les ouvriers afin qu’ils acceptent ce plan d’incitation au départ. L’UAW négocia le plan avec le groupe et agit de concert avec sa direction pour convaincre les ouvriers d’accepter le marché conclu entre eux.

Ils invoquèrent la possibilité de licenciements en masse et le spectre d’une faillite semblable à celle de l’équipementier automobile Delphi pour étourdir les ouvriers et leur faire accepter des offres au départ allant d’un paiement unique de 35 000 dollars plus les allocations retraite à un règlement financier pouvant atteindre 140 000 dollars, en échange de l’abandon de toute exigence de retraite ou d’assurance maladie à l’avenir.

Suite à l’annonce des résultats de cette opération, des membres de la direction de Ford et les médias louèrent abondamment le syndicat. Joe Hinrichs, le directeur de la production de Ford en Amérique du Nord dit : « Ils se sont vraiment comportés en associés avec nous… Lorsque nous avons présenté l’actuel plan de restructuration, l’UAW a été plus qu’arrangeante. »

Outre le soutien offert par l’UAW sur le plan des incitations au départ, il mentionna plus de trente « accords concurrentiels » que la direction avait négociés avec des dirigeants de l’UAW au niveau local et qui vont économiser à Ford des millions de dollars en coût salarial. « Ceux-ci nous permettent de réaliser quelques-unes des choses que nous devons faire pour faire fonctionner les usines avec moins d’ouvriers » dit-il.

Daniel Howes, commentateur du Detroit News pour l’industrie automobile écrivait le 30 novembre : « En fait, le président [de l’UAW], Ron Gettelfinger, collabore avec GM et Ford afin d’organiser la mise à la retraite de toute une génération d’ouvriers de l’automobile dans une tentative de sauver le syndicat... » Il cita Joe Laymon, le directeur adjoint du personnel de Ford, qui déclarait : « Ils [l’UAW] ont compris. Ils se sont comportés en associés. »

Ford a l’intention de pousser ses partenaires de la bureaucratie de l’UAW à accepter encore plus de mesures destinées à réduire les coûts. Lors d’une conférence de presse jeudi des membres de la direction du groupe ont refusé d’exclure d’autres licenciements et le Wall Street Journal remarquait : « Malgré les grosses opérations de départs volontaires chez GM et chez Ford, les constructeurs automobiles espèrent convaincre l’UAW de faire encore plus de concessions l’année prochaine sur des points comme l’assurance-maladie et le soi-disant programme JOBS Bank qui paie les ouvriers même s’ils sont inactifs du fait de la faible demande. »

A la convention nationale de l’UAW cet été, le président du syndicat, Gettelfinger, a été clair sur le fait qu’il était prêt à accepter de nouvelles attaques contre l’assurance-chômage et les retraites, considérés jusque-là comme sacro-saints, dans les contrats devant être signés avec les Trois Grands (General Motors, Ford et Chrysler) en 2007.

La bureaucratie syndicale cherche à aider Ford, aux dépens des emplois, du niveau de vie et de la sécurité économique de ses propres adhérents, à éviter la faillite en faisant sortir des usines une génération d’ouvriers mieux payés et en remplaçant une partie d’entre eux par des ouvriers temporaires et de nouvelles recrues qui recevront une fraction du salaire de ceux qui seront partis et peu ou pas d’assurance-maladie et d’assurance-retraite, mais devront néanmoins payer des cotisations syndicales.

Les ouvriers temporaires obtiendront un salaire de départ de 18,50 dollars de l’heure et pas d’assurance-retraite ou autre assurance que ce soit. Cet écart de salaire représente à lui seul une réduction de 42 pour cent du salaire moyen des ouvriers ayant des contrats à durée indéterminée et qui est de 31,64 dollar de l’heure.

L’objectif commun de Ford et des syndicats est de réduire les coûts salariaux de façon draconienne dans l’espoir qu’avec une firme aux dimensions réduites on réussira à mettre fin à une situation de fortes pertes et à revenir, grâce à une main d’oeuvre plus jeune et plus fortement exploitée, à une situation de profitabilité.

Le nombre d’ouvriers optant pour le départ a dépassé les espérances de Ford et de la plupart des analystes de Wall Street. Le groupe avait dit, dans le contexte du plan de restructuration annoncé en septembre, qu’il cherchait à économiser 5 milliards de dollars en 2008 en éliminant de 25 à 30 000 emplois d’ouvriers, en plus de 14 000 postes d’employés.

Le fait que tant d’ouvriers aient décidé de mettre fin à leur emploi chez Ford représente un jugement sans équivoque vis-à-vis de l’UAW. Les ouvriers ont tiré la conclusion de plus d’un quart de siècle de complicité des syndicats dans les réductions d’effectifs, les augmentations de cadences et les concessions sur les salaires et les prestations sociales et qui s’est soldé par une baisse du nombre d’emplois chez les Trois Grands telle qu’on est passé de presque un million d’emplois en 1979 à bien moins de 400 000 aujourd’hui.

Les ouvriers n’ont aucun espoir que l’UAW les défende contre les attaques de la firme. Cet exode massif témoigne de ce que le syndicat a été transformé en l’appareil d’une bureaucratie privilégiée qui n’est pas responsable devant ses adhérents et qu’ils considèrent comme une entité représentant d’autres intérêts.

Si l’UAW avait été en quoi que ce soit une organisation réellement ouvrière, soutenue de manière active par les ouvriers et avec laquelle s’identifient ses adhérents, la grande majorité aurait rejeté la pression faite par l’entreprise pour les forcer à partir et ils auraient compté sur une lutte de la part des syndicats pour les défendre. C’est bien le contraire qui est le cas.

Pris entre l’acceptation du plan de départ volontaire et la perspective de garder un emploi en ayant à faire des concessions de plus en plus importantes en fait de salaires, de prestations sociales et de retraites, sans compter la menace permanente du licenciement, près de la moitié des ouvriers de Ford a choisi de partir. Ils le firent malgré le fait que les conditions offertes par la firme et approuvées par l’UAW, signifient que beaucoup vont devoir affronter difficultés et insécurité économiques.

Le plan d’incitation au départ de Ford vient à la suite d’un programme semblable mis en oeuvre chez General Motors et chez son ancienne dépendance, Delphi où, en juin dernier, un total de 47 600 ouvriers syndiqués a accepté des départs en préretraite et des contrats de départ négociés avec les syndicats. Chez GM, 35 000 ouvriers, soit un tiers de la main d’œuvre ouvrière ont opté pour le départ.

L’UAW a ouvert la voie à des départs massifs en passant des accords sans précédent avec GM et Ford à la fin de 2005 et qui pour la première fois réduisaient les prestations de santé d’ouvriers en retraite. Ces contrats stipulaient que des ouvriers syndiqués à l’UAW et en retraite étaient forcés de payer des centaines de dollars supplémentaires par an en frais de santé, tandis que des ouvriers actifs étaient, en plus de 2000 dollars de concessions salariales, forcés d’augmenter leur part du paiement des médicaments, afin d’aider à financer la dépense maladie d’ensemble de la firme.

Des travailleurs syndiqués de Ford ont mené une lutte contre l’accord soutenu par l’UAW et qui fut approuvé par un vote étroit de 51 pour cent contre 49 pour cent.

La complicité de l’UAW dans l’assaut sur les prestations des retraités fut un facteur important dans la décision de 53 pour cent de ceux qui acceptèrent de quitter Ford, de rejeter l’option de la préretraite en faveur du départ « non-traditionnel » et dans lequel les ouvriers abandonnaient toute prétention à des allocations retraites en faveur d’un payement comptant plus important, des aides à l’étude et des paiements en espèces.

Les analystes de Ford et de la bourse ont vanté ce résultat comme un cadeau inespéré pour la firme dans ses efforts pour réduire ses coûts.

Le lundi 27 novembre était la date limite pour une décision des ouvriers de Ford en Amérique du Nord d’accepter ou non les incitations au départ. Afin de faire monter la pression, la firme avait annoncé le même jour qu’elle avait hypothéqué pratiquement tous ses actifs aux Etats-Unis (usines, machines, brevets et même son logo ovale bleu) afin de s’assurer 18 milliards de crédits et de prêts de la part de Wall Street.

Dû à sa sévère situation financière, la firme fut obligée pour la première fois de ses 103 ans d’histoire de se servir de ses actifs comme d’une sécurité pour obtenir des prêts. Elle avait annoncé une perte de 5,2 milliards de dollars au troisième trimestre, ce qui porte ses pertes totales cette année à 7 milliards de dollars. Sa part du marché américain, qui était de 25 pour cent en 1995 est tombée à 16,5 pour cent le mois dernier. Elle s’est résignée à une baisse supplémentaire de cette part à 14-15 pour cent.

Même avec une baisse massive des emplois le groupe ne prévoit pas de revenir à une situation de profitabilité avant 2009 et il révéla cette semaine qu’il engloutira 17 milliards de réserves liquides dans les deux années à venir.

Tous plans de départ (GM, Ford et Delphi et autres programmes semblables chez d’autres fournisseurs) confondus, c’est un total de 100 000 ouvriers syndiqués qui aura quitté l’industrie automobile de Détroit entre le début de cette année et l’automne de 2007. Des milliers d’employés quitteront également leur emploi. C’est le plus vaste exode de l’histoire de l’industrie automobile.

Il s’agit toutefois ici de l’accélération d’un processus déjà bien avancé. Le cabinet de conseil Challenger, Gray & Christmas estime que les entreprises du secteur automobile ont, dans les deux dernières années, annoncé la suppression de 231 000 emplois.

L’exode massif de travailleurs de l’automobile aura un impact économique et social particulièrement destructif dans l’Etat du Michigan, qui a déjà le taux de chômage le plus important du pays, soit 6,9 pour cent. Près de 40 pour cent des 38 000 ouvriers de Ford syndiqués à l’UAW qui prennent les offres au départ, habitent dans le sud-est de cet Etat.

Au mois d’octobre 2006, il y avait 211 800 ouvriers de l’automobile dans le Michigan, une baisse de 26 000 par rapport à l’année précédente. En l’an 2000, il y avait 343 000 ouvriers de l’automobile dans cet Etat. Quand tous les départs actuels seront entrés en vigueur, il ne restera plus que 197 300 ouvriers, une baisse de 43 pour cent en sept ans.

La décision d’un grand nombre de travailleurs de l’automobile d’accepter des incitations au départ et des préretraites est le résultat de décennies de trahisons de la part de la bureaucratie de l’UAW. Le rôle du syndicat, qui fut de réprimer la résistance des ouvriers et de collaborer aux attaques des firmes se voit dans le quasi effondrement du nombre des adhérents de l’UAW. L’exode de masse des travailleurs acceptant des offres au départ réduira encore plus le nombre des syndiqués (déjà à son niveau le plus bas depuis la Seconde Guerre mondiale) à moins de 500 000 comparé au million et demi d’il y a deux décennies, son chiffre le plus élevé.

L’UAW n’est pas une organisation ouvrière. Elle est plutôt l’instrument d’une bureaucratie faisant partie de la petite bourgeoisie élevée et pour laquelle le syndicat est une affaire dont le but est de maintenir le style de vie privilégié de ses milliers de fonctionnaires au niveau national, régional et local.

Cette bureaucratie existe en tant que parasite vivant aux dépens d’ouvriers qui sont obligés d’adhérer au syndicat et de payer des cotisations déduites automatiquement de leur paye. Ils ne disposent d’aucune véritable représentation dans les décisions concernant la politique de cette organisation. Gettelfinger et ses cohortes les considèrent comme une « masse négociable » dans les manœuvres de la bureaucratie avec les directions des groupes automobiles. Le but de ces marchandages est le maintien du rôle de la bureaucratie en tant qu’intermédiaire entre les patrons et les ouvriers et où le syndicat a pour fonction de garder le contrôle sur les ouvriers et d’imposer les exigences du patronat.

L’UAW illustre l’effondrement du mouvement ouvrier américain dans son ensemble et prononce un jugement historique irréfutable quant à la tentative de construire un mouvement ouvrier sur des bases nationalistes, anti communistes et défendant le système bipartite capitaliste.

Il faut tirer les conclusions les plus étendues de l’impasse dans laquelle les ouvriers ont été conduits par les organisations banqueroutières de la bureaucratie ouvrière. Un nouveau mouvement doit être construit sur la base d’une perspective totalement opposée, une perspective partant des besoins de la population travailleuse, non pas l’accumulation de richesse personnelle par l’élite économique. La défense de l’emploi, des conditions de travail et du niveau de vie ne peut aller de l’avant que par la construction d’un mouvement politique indépendant de la classe ouvrière, basé sur la lutte pour l’unité des travailleurs internationalement, et une réorganisation de la vie économique sur des principes démocratiques et égalitaires, c’est-à-dire socialistes.

(Article original anglais paru le 2 décembre 2006)

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