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La France exporte des déchets toxiques en dépit des lois internationales

Par Pierre Mabut
Le 1er février 2006

Le 22 janvier, après dix jours de quarantaine à l'entrée de Port-Saïd en Egypte, le porte-avions français Clemenceau désarmé se prépare à entrer dans le Canal de Suez pour rejoindre le chantier d'Alang, sur la côte orientale de l'Inde, où il doit être démantelé et désamianté.

La raison principale de cette épopée de dix jours est le non respect des lois internationales par le gouvernement français et l'indifférence de ce dernier à l'égard des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs.

Des obstacles diplomatiques et juridiques n'ont cessé de barrer la route au Clemenceau depuis qu'il a quitté le port de Toulon le 30 décembre dernier. En effet, la France tente d'exporter illégalement un énorme danger sanitaire et qui coûtera, comme cela a déjà été le cas en France, aussi la vie à des ouvriers indiens appauvris. D'énormes quantités d'amiante sont encore présentes à bord du porte-avions qui devrait être désamianté sur le site de démantèlement Shree Ram Scrap Vessel, à Alang.

L'amiante fut interdite en France en 1996 après des décennies de luttes ouvrières et après que des études scientifiques aient obligé un président Jacques Chirac réticent à reconnaître la toxicité de cet agent cancérogène et qui fut employé pendant une centaine d'années comme matériau d'isolation. Non seulement le gouvernement Villepin-Sarkozy enfreint ses propres lois sur l'exportation de l'amiante, mais il refuse également de respecter la Convention internationale de Bâle sur l'exportation des déchets toxiques.

Dès le 6 janvier, la Cour suprême indienne interdisait au navire de pénétrer dans les eaux territoriales de l'Inde, en attendant le résultat d'une enquête sur le véritable statut du navire, une décision finale devant être prise le 13 février. Suite à ce premier refus, les autorités égyptiennes suivirent l'exemple de l'Inde, empêchant l'entrée du porte-avions dans le Canal du Suez. Le ministère de la Défense français apaisa le gouvernement égyptien, affirmant que le Clemenceau était un navire de guerre - bien que sa coque ait été désarmée en 1997- et non un navire marchand. Car, selon les autorités françaises, en tant que navire de guerre le Clemenceau n'est pas soumis à la Convention de Bâle. La réaction du gouvernement égyptien fut de donner son feu vert au passage du navire dans le Canal du Suez.

Le navire fut construit à l'arsenal de Brest en 1960. Les ouvriers brestois craignent le pire pour les ouvriers indiens qui seront exposés à ces fibres cancérogènes. Etienne Le Guilcher, président de l'Association des victimes de l'amiante à Brest, était mécanicien à bord du Clemenceau de 1961 et 1963 et souffre actuellement d'asbestose due à l'amiante. Il affirme qu'« il est inconcevable qu'on laisse à la nation indienne la responsabilité du désamiantage de ce navire qui contient non pas seulement 200 tonnes d'amiante, comme nous l'affirment les autorités maritimes, mais au moins un millier de tonnes, ce qui n'est pas rien. »

Pendant des mois, Greenpeace France, Ban Asbestos et d'autres groupes de pression se sont battus pour empêcher le départ du Clemenceau, sachant que son démantèlement en Inde représente « un risque sérieux pour les ouvriers indiens. » Ceci étant dû à « l'absence des règlements spécifiques dans ce pays pour les chantiers de ce genre. »

Le ministre de la Défense français a donné des informations contradictoires concernant les quantités d'amiante restant à extraire du navire. Greenpeace avait obtenu une décision de justice permettant une évaluation indépendante de la quantité exacte de matériau à traiter, mais le gouvernement l'a tout simplement ignorée. Une telle étude aurait confirmé qu'on avait cherché à étouffer l'affaire. Quant aux quantités d'amiante restant à bord, le dernier chiffre avancé par le gouvernement est de 45 tonnes ; il fut cependant démenti par l'entreprise française Technopure qui avait procédé à la première tranche de désamiantage du navire. Dans une déclaration faite le 6 janvier, son PDG affirma que seules 30 tonnes d'amiante avaient été extraites et qu'il en restait encore entre 500 et 1000 tonnes dans la carcasse du bâtiment.

Pour obtenir, le 13 février, l'accord de la Cour suprême indienne permettant au navire d'accéder aux chantiers d'Alang, le porte-parole du ministère de la Défense du gouvernement français a, dernière insulte, proposé à l'Inde de rapatrier les déchets amiantés du Clemenceau. L'Etat français qui est déjà responsable de la mort de dizaine de milliers d'ouvriers victimes de l'industrie de l'amiante se soucie fort peu du sort qui attend les ouvriers indiens effectuant les travaux de désamiantage.