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La directive Bolkestein

40.000 manifestants à Berlin

Par Marius Heuser
Le 13 février 2006

Près de 40.000 personnes protestèrent samedi dernier à Berlin contre la directive Bolkestein. En plus de la Confédération des Syndicats Allemands (DGB) et de diverses organisations écologiques et de protection de la nature, le Parti social-démocrate, les Verts, le Parti de la gauche et les Commissions sociales du Parti chrétien-démocrate (CDU) avaient aussi appelé à manifester sous le slogan « Europe Oui - dumping social, Non ! ».

Participèrent à cette manifestation non seulement le président du DGB, Michael Sommer et des représentants d'autres syndicats, mais aussi de nombreux politiciens, comme l'actuelle ministre de la Coopération économique et du Développement et le vice-président du parlement allemand, Wolfgang Thierse (tous deux SPD) ainsi que le président des Verts, Reinhold Bütikofer et la présidente du groupe parlementaire des Verts, Renate Künast.

La semaine passée, le groupe social-démocrate au parlement européen avait déjà annoncé que sous réserve de certaines conditions, il accepterait la directive. Ces conditions furent négociées par les représentants de ce groupe lors d'une réunion de travail commune en collaboration avec des membres du groupe du Parti populaire européen conservateur (EVP). Selon toute vraisemblance, le parlement adoptera ce compromis mardi prochain avec les votes des deux groupes.

En fait, ce compromis ne diffère que très légèrement de la version originale du projet. Les changements se rapportent en premier lieu à des formulations qui furent en partie édulcorées. C'est ainsi que le député conservateur autrichien Othmar Karas expliqua au quotidien autrichien Standard que l'un des points les plus controversés, à savoir « le principe du pays d'origine, n'était plus employé mais que le principe de base restait ».

Ce « compromis » n'est pas seulement soutenu par les sociaux-démocrates européens et le gouvernement fédéral, mais aussi par les syndicats. Lors de la manifestation, Sommer exprima sa « profonde gratitude» pour les progrès réalisés. Le projet tient compte, dit-il, d'un grand nombre de ses demandes et devrait être adopté. Il jugea que la manifestation était nécessaire pour être sûr que le compromis soit vraiment voté mardi et que ni le EVP ni la commission ne l'ajourne ou n'en empêche le vote.

Les organisateurs s'efforçaient continuellement de limiter l'objectif de la manifestation au rejet de la directive Bolkestein voire au vote d'une version légèrement amendée en tenant à l'écart toutes les questions qui lui sont liées. L'Union européenne et ses institutions qui, durant des années, furent responsables des attaques contre les acquis sociaux et les baisses de salaires, sont représentées comme les garants du progrès. Martin Rocholl, s'exprimant au nom de la Fédération de protection de la nature (Bund) et d'Attac, expliqua dans son discours de clôture qu'en ce qui le concernait, « l'Union européenne était liée à un espoir pour la paix, à plus de tolérance, plus de démocratie, plus de sécurité sociale, plus de protection des consommateurs et de l'environnement et plus de constitutionnalisme. »

La plus importante grève du secteur public de ces quatorze dernières années et la grève qui a lieu actuellement à l'usine AEG de Nuremberg n'eurent droit qu'à une mention succincte de la part du chef du DGB. Il ne perdit pas un mot sur la destruction annoncée de 20.000 emplois chez Volkswagen.

Dans une situation où la grande coalition prépare des attaques virulentes contre la population, où de nombreuses entreprises importantes annoncent des licenciements de masse et où on prépare la République fédérale à de nouvelles guerres, les syndicats organisent une protestation impuissante contre une directive de l'Union européenne qu'ils ont en fait approuvée depuis longtemps. On fit de cette manifestation, comme déjà par le passé, un vaste concert de sifflets par lequel on espèrait capter la résistance de la population et la placer sous le contrôle des syndicats.

Cette résistance contre la politique d'austérité s'est maintes fois exprimée ces dernières années indépendamment des vieilles organisations ouvrières. Il y a un an et demi des manifestations de masse se déroulèrent en Allemagne du jour au lendemain contre les lois Hartz IV et l'Agenda 2010, en France et aux Pays-Bas une majorité d'électeurs votèrent contre la constitution européenne, malgré une campagne massive de la part de l'establishment politique en faveur de celle-ci. Dans le même temps, on assista partout en Europe à de véhéments conflits industriels. Il ne fait pas de doute que la manifestation contre la directive Bolkestein aurait pu devenir un point de ralliement de cette opposition.

Au lieu de quoi, le DGB a organisé une protestation pour la forme. Plus de 30.000 manifestants sur les 40.000 que comptait la manifestation avaient été amenés par 600 cars affrétés par les syndicats de tous les coins d'Allemagne. Ces manifestants étaient arrivés équipés de casquettes, de drapeaux et de sifflets au point de ralliement près du ministère de l'Economie, où on leur offrit de la musique pop et de la soupe aux pois gratuite. Ils allèrent ensuite jsuqu'au Palais de la République où eut lieu le meeting de clôture. Là aussi la musique forte était omniprésente et les stands de saucisses frites dépassaient de loin le nombre des stands d'information politique.

Avec de telles pratiques, les syndicats ne sont en mesure de mobiliser que des gens se trouvant dans le cercle immédiat de leur influence. A l'opposé des manifestations contre la démolition sociale des dernières années, on n'a rencontré ici que très peu de membres d'associations d'aide aux chômeurs, de simples travailleurs ou de jeunes.

Thomas, 25 ans, étudiant en politique de Potsdam était, lui, une exception. Il avait appris dans le journal qu'une manifestation aurait lieu. Il était venu pour lutter contre le néo-libéralisme et aussi pour donner courage à d'autres. Il ne pensait pas que la perspective des syndicats soit capable d'empêcher la directive Bolkestein. « On ne poussera pas le gouvernement à agir contre la logique globale capitaliste par des manifestations. Pour briser la logique capitaliste il faut une perspective internationale », dit-il.

Peu de temps après le début de la manifestation qui se tenait sur le Schloßplatz, les manifestants se dispersèrent rapidement. Seuls quelque 3.000 d'entre eux restèrent pour écouter les discours prononcés à la tribune.