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Canada: le nouveau gouvernement conservateur intensifiera l'assaut sur les travailleurs et les droits démocratiques

par Keith Jones
(Article original paru le 25 janvier 2006)

Sous la direction de l'idéologue néo-conservateur Stephen Harper, les conservateurs ont obtenu la pluralité des sièges de la Chambre des communes lors de l'élection du lundi 23 janvier, forçant le premier ministre Paul Martin à annoncer que les libéraux laisseraient bientôt les rênes du pouvoir à un gouvernement minoritaire conservateur. Dans son discours de concession, Martin, qui est à la tête du gouvernement depuis décembre 2003 a annoncé qu'il démissionnerait bientôt en tant que chef du Parti libéral, le parti qui forme le gouvernement depuis 12 ans.

Lors de l'élection fédérale de 2006, les sections les plus puissantes de l'élite du monde des affaires canadien ont donné leur appui au Parti conservateur avec l'idée de nettement pousser les politiques gouvernementales à droite. Ce changement a été reflété dans l'appui éditorial que les principaux quotidiens du pays ont donné aux conservateurs. Mais, plus important que cela, la presse a claironné les accusations des conservateurs que les libéraux étaient si corrompus qu'ils ne pouvaient moralement pas gouverner. Elle a aussi caché les racines, les objectifs et les liens de droite des nouveaux conservateurs de Harper. (Né de la fusion de l'Alliance canadienne/Parti réformateur avec le Parti progressiste-conservateur, le nouveau Parti conservateur prend comme modèle le Parti républicain de George W. Bush.)

Avec le gouvernement conservateur sous la direction de Harper, le monde des affaires canadien vise à raser ce qu'il reste de l'État-providence et, en développant et réarmant les Forces armées canadiennes et en resserrant ses liens avec l'administration Bush, à imposer ses intérêts prédateurs plus agressivement au niveau mondial.

Le premier ministre désigné Stephen Harper a souligné ces deux objectifs dans son discours de victoire. Harper, souriant, a promis «des budgets équilibrés, une inflation faible et le paiement de la dette», a louangé la tradition militariste du Canada comme étant le principal outil de défense de la démocratie canadienne et s'est fait le défenseur de l'actuelle mission des Forces armées canadiennes (FAC) qui a pour objectif de soutenir le gouvernement afghan mis en place par les États-unis.

Harper a déclaré : «Nous allons continuer de travailler à défendre nos valeurs et nos idéaux démocratiques à travers le monde, comme cela est si courageusement démontré par ces jeunes soldats canadiens qui servent et qui ont sacrifié leur vie en Afghanistan».

«Tandis que nous tracerons toujours un chemin pour l'intérêt du Canada, a-t-il continué, nous chercherons à travailler en coopération avec nos amis et nos alliés »

Le National Post, le principal quotidien de l'empire des médias Canwest, a accueilli l'élection de Harper en l'appelant en ne pas donner de laisse à la grande fraction fondamentaliste chrétienne de son parti pour mieux se concentrer sur la mise en place des politiques de la grande entreprise de coupes des services sociaux et publics, de privatisations, de déréglementation et de réductions d'impôts pour les compagnies et les couches les plus privilégiées de la société. «Les conservateurs, a déclaré le Post, doivent gouverné avec fermeté dans les secteurs qui sont clairement de responsabilité gouvernementale, comme la défense nationale, mais dans les autres secteurs, ils doivent gouverner peu et même pas du tout. C'était le génie particulier de la campagne gagnante des conservateurs: des politiques, comme le crédit d'impôts pour la garde des enfants, qui donne le pouvoir de décision à ceux à qui il revient, les citoyens privés.

«Sous les libéraux, le rêve pour un petit gouvernement devenait de plus en plus lointain chaque année. Grâce à monsieur Harper, le rêve peut renaître.»

Même s'ils étaient heureux que la victoire des conservateurs offraient la chance de pousser la politique plus à droite, les grands médias ont aussi concédé qu'avec seulement 124 députés (il en manque 31 pour la majorité) et 36,3 pour cent du vote exprimé, les conservateurs ont récolté bien moins que ce que les sondages laissaient espérer. Plusieurs électeurs, en colère contre les libéraux, n'étaient pas prêts à donner aux conservateurs le pouvoir sans réserve qui vient avec une majorité parlementaire.

En fait, les résultats de l'élection soulignent combien est étroite la base sociale et politique sur laquelle s'appuie le gouvernement.

Malgré le fort appui des médias pour la campagne incessante qu'a menée Harper sur la corruption des libéraux et le repositionnement du chef conservateur comme un «politicien modéré et loin de la marge», les conservateurs n'ont pas obtenu l'appui électoral du quart des Canadiens, de 23,5 pour cent d'entre eux si l'on prend en considération que 36 pour cent des électeurs inscrits se sont abstenus de voter.

L'appui pour les conservateurs est réparti de façon disproportionnée dans les régions rurales et dans une moindre mesure dans les banlieues et dans les quatre provinces de l'Ouest, particulièrement en Alberta, une province riche en pétrole, dont les 28 sièges sont tous allés aux conservateurs.

Les conservateurs ne détiennent que 50 des 181 sièges du Québec et de l'Ontario, les provinces de la Vallée du St-Laurent et des Grands Lacs, qui comptent pour près des deux tiers de la population canadienne.

Il est spécialement significatif que les conservateurs aient été exclus des trois principaux centres urbains du pays. Les conservateurs n'ont pas gagné un seul siège sur l'île de Montréal, ou dans la région métropolitaine de Toronto ou Vancouver. Et alors que les conservateurs prédisaient balayer les banlieues entourant la région métropolitaine de Toronto, la plupart des sièges de la région 905, nom qui vient du code régional téléphonique qui y est assigné, sont demeurés libéraux.

Une ecchymose politique

À divers degrés, les trois autres partis politiques ont subit des blessures politiques.

Les libéraux sont passé d'un total de 135 sièges gagnés aux élections de 2004 à 103 et recueilli seulement 30,2 pour cent du vote, une chute de 6,5 pour cent par rapport à 2004.

Les libéraux ont perdu 21 sièges en Ontario, mais, pour leur plus grand malheur, leur plus grande perte a été au Québec, leur bastion pour la grande majorité du 20ième siècle. Les libéraux, qui ont été discrédité au Québec à cause de leur implication dans le soi-disant scandale des commandites en plus d'être associé aux impopulaires mesures de droite du gouvernement provincial, ont essentiellement été réduits aux quartiers à prédominance anglophones et immigrantes de la ville de Montréal. Avec à peine 20 pour cent du vote et seulement 13 sièges au Québec, les libéraux ont obtenu leur pire résultats électoraux à jamais au Québec.

Le Bloc québécois pro indépendantiste a joué un rôle clé dans la campagne d'accusation de corruption des libéraux et précipité les élections en anticipant faire des gains électoraux significatifs au Québec. Le Bloc a fait des gains au dépends des libéraux, leur rivaux historiques, mais le Bloc a été doublé par une soudaine remonté de l'aile québécoise moribonde du Parti conservateur.

En promettant une plus grande autonomie au Québec et un nouveau rôle sur l'arène internationale, les conservateurs ont été capable de se rallier l'appui de l'aile nationaliste de droite et de sections clés de l'establishment politique et du monde des affaires. Alors que les conservateurs n'ont été capable de gagner que dix sièges au Québec, leur monté soudaine est le résultat d'une perte inattendue de cinq sièges et d'une chute de 5 pour cent du vote populaire pour le BQ. Ce revers devrait favoriser les tensions au sein du mouvement indépendantiste entre ceux qui favorisent la sécession et ceux favorables à une redistribution des pouvoirs en faveur du Québec sous la pression d'un appui populaire pour l'indépendance.

Les sociaux démocrates du Nouveau Parti démocratique (NPD) ont fait des gains modestes en termes de sièges et d'appui populaire. Le NPD a gagné onze sièges de plus, principalement en Ontario et en Colombie britannique, se qui lui donne une représentation de 29 sièges à la Chambre des communes. Il a aussi augmenté son appui populaire de 1,8 pour cent, passant à 17,5 pour cent du vote populaire.

Mais le NPD a échoué dans l'atteinte de son objectif de campagne: gagner suffisamment de siège pour détenir la balance du pouvoir dans un gouvernement minoritaire. Cela lui aurait permis de poursuivre sur la voie empruntée dans le précédent Parlement, qui a consisté premièrement à donner son appui au gouvernement libéral et ensuite à aider les conservateurs pour que l'élection soit limité à un référendum sur la corruption.

Dans sa quête pour un peu de pouvoir après l'élection du 23 janvier, le NPD fédéral a mené sa campagne la plus à droite de son histoire, renonçant même à faire un appel pour une modeste hausse d'impôt pour les riches ou sur leurs propriétés comme lors des élections précédentes. Le NPD a endossé la Loi sur la clarté et ajouté sa voix à celles des libéraux et des conservateurs pour exiger une augmentation des dépenses militaires et de nouvelles mesures pour la loi et l'ordre.

Le résultat des manoeuvres parlementaires réactionnaires du NPD fut d'aider à porter au pouvoir un gouvernement conservateur encore plus à droite, un gouvernement qui éliminera rapidement la très petite augmentation des dépenses aux services sociaux que les sociaux-démocrates ont pu obtenir en échange de leur aide pour éviter la défaite des libéraux au parlement le printemps dernier.

Une intensification de la lutte des classes

Avec pour objectif d'endormir la classe ouvrière, une bonne partie des médias et plusieurs sociaux-démocrates et chefs syndicaux se sont empressés de défendre le fait que l'arithmétique parlementaire empêcherait les conservateurs de progresser dans la réalisation de leur programme de droite et que peu de choses ont changé.

Les commentaires du président de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec, Henri Massé en sont un exemple typique: «Je suis content de voir que les conservateurs vont être minoritaires. Ça va permettre au chef (Harper) de mieux contrôler son aile radicale de droite. Je ne suis pas trop inquiet pour les travailleurs. M. Harper n'a fait aucune promesse de démantibuler l'État, de couper des services. Il fera juste du ménage dans la haute fonction publique.»

Balivernes. Les élections doivent servir d'avertissement à la classe ouvrière que la prochaine période verra une intensification rapide de la lutte des classes.

Le gouvernement libéral de Jean Chrétien et de Paul Martin des douze dernières années a été le plus à droite des gouvernements fédéraux depuis la Grande Dépression. Il a réalisé les plus grandes coupures aux services sociaux dans l'histoire du Canada, a redistribué massivement la richesse en faveur des entreprises et des riches par d'importantes baisses d'impôt, a cherché à renforcer les pouvoirs de l'État fédéral pour une future confrontation avec le mouvement souverainiste du Québec en adoptant une loi qui menacerait de partition un Québec qui ferait sécession, a entrepris, après 2001, un important accroissement de l'armée canadienne et a déployé les Forces armées canadiennes pour aux côtés des forces américaines dans les guerres contre la Yougoslavie et l'Afghanistan.

Malgré tout, la classe dirigeante devint de plus en plus frustrée envers le gouvernement libéral pour avoir échoué dans la poursuite d'une trajectoire encore plus radicalement à droite, pour avoir échoué dans la réduction supplémentaire des mesures sociales de «redistribution», pour s'être accroché à la rhétorique du Canada comme gardien de la paix qui empêche l'expansion des FAC et qu'elle devienne un outil plus efficace pour faire respecter la puissance géopolitique du Canada dans les guerres du 21e siècle et, finalement, pour avoir «mal géré» les relations entre le Canada et les États-Unis.

Incapable d'instaurer le changement de politique qu'elle désire par des moyens traditionnels, l'élite corporative canadienne s'est tournée vers d'autres méthodes. D'abord, elle a poussé Martin au pouvoir par son putsch réussi contre Jean Chrétien. Ensuite, lorsque Martin a «tergiversé» au lieu d'imposer des politiques impopulaires, elle s'est rallié derrière les nouveaux conservateurs, un parti qui, même le Globe and Mail le concède, est mené par «le plus conservateur des premiers ministres de mémoire d'homme, un animal très différent des Brian Mulroney et des Joe Clark (anciens premiers ministres progressistes-conservateurs)» et a supporté leur montée au pouvoir en trompant l'électorat sur la base du scandale.

Parallèlement à cela, la classe dirigeante a trouvé dans la décision de la Cour suprême dans la cause Chaouilli en juin dernier, un mécanisme pour permettre la privatisation des soins de santé, au même moment où les plans des politiciens de démanteler le régime d'assurance maladie étaient contrecarrés par une vaste opposition populaire.

Durant la campagne électorale, pendant que Harper donnait un appui du bout des lèvres au système public universel d'assurance maladie du Canada, deux des proches alliés du chef conservateur, le premier ministre du Québec Jean Charest (un ancien chef des progressistes-conservateurs) et le premier ministre conservateur de l'Alberta Ralph Klein, attendaient tranquillement la fin des élections afin d'annoncer leurs plans de privatisation des soins de santé, pour ne pas «perturber» les élections.

Après s'être engagé si profondément à droite, l'élite économique canadienne ne reculera pas devant le fait que le nouveau gouvernement n'a pas de majorité parlementaire stable. À ce point-ci, elle n'a pas opté pour la solution que la classe dirigeante allemande a adopté dans la même situation, elle qui a forcé ses deux partis principaux, les sociaux-démocrates et les chrétiens-démocrates, à former une grande coalition dans le but d'imposer des politiques sociales régressives.

Déjà, les grands médias argumentent que l'élection de Harper et des conservateurs montrent que l'électorat canadien s'est déplacé vers la droite et encouragent fortement tous les partis à ajuster leurs programmes en conséquence et à travailler ensemble afin d'empêcher une troisième élection «dont personne ne veut» en deux ans.

En démissionnant de la chefferie du parti libéral, Martin a signalé qu'il a compris qu'il a perdu la confiance de l'élite dirigeante canadienne et que les libéraux n'organiseront pas d'opposition sérieuse aux conservateurs au moins pour la prochaine année.

Quant au NPD, il a déjà annoncé qu'il est prêt à travailler avec le nouveau gouvernement. «Nous travaillerons fort afin de trouver des façons de collaborer avec le nouveau gouvernement et avec tous les partis du Parlement afin de faire avancer le Canada», a déclaré le chef du NDP Jack Layton dans son discours de la nuit de l'élection.

Pour leur part, Harper et les conservateurs essaieront d'établir des «coalitions des volontaires» ad hoc pour trouver le soutien nécessaire pour mettre leur programme de droite en oeuvre. Ils s'allieront probablement avec les libéraux pour passer des baisses d'impôts pour les entreprises et augmenter les dépenses militaires, avec le BQ pour couper dans les dépenses fédérales et avec le NPD pour aller de l'avant avec leur programme sur l'éthique gouvernementale et peut-être aussi pour passer de nouvelles mesures pour défendre la loi et l'ordre.

De façon significative, dans le discours le soir de sa victoire, Harper a explicitement fait mention de ses plans pour «reconstruire le fédéralisme». Ceci est un euphémisme pour le programme des conservateurs de démolir ce qui reste de l'État-providence par la décentralisation et en faisant des changements fondamentaux au système de transferts entre le gouvernement fédéral et les provinces, vu qu'Ottawa aide à financer l'éducation administrée par les provinces, les soins de santé et les programmes sociaux et trouve de l'argent dans les provinces les plus riches pour aider à financer les provinces les plus pauvres.

L'élite du Québec trouve un terrain d'entente avec Harper sur cette question, parce qu'elle croit que ça lui donnera plus d'autonomie. Conséquemment, dans son discours le soir de l'élection, le chef du Bloc québécois Gilles Duceppe a déclaré qu'il était prêt à travailler avec les conservateurs pour résoudre le «déséquilibre fiscal» entre Ottawa et les provinces.

Il n'y aucun doute que les tentatives des conservateurs et de leurs maîtres de la classe dirigeante pour intensifier les attaques sur la classe ouvrière déclenchera une opposition de masse.

Mais, pour que cette opposition ne reste pas politiquement faible, la classe ouvrière doit rompre consciemment avec les politiques nationalistes et pro-capitalistes des sociaux-démocrates et de la bureaucratie syndicale.

Pendant que les leaders syndicaux du Québec, par leur appui au BQ et au nom de la défense des «intérêts du Québec» se préparent déjà à collaborer avec le programme réactionnaire de décentralisation des conservateurs, le NPD et les chefs syndicaux dans le Canada anglais répondront en appelant à une plus grande coopération avec les libéraux et avec l'aile de la classe dirigeante canadienne qui craint que les tentatives d'Harper pour «reconstruire le fédéralisme» pourraient affaiblir l'État fédéral, l'instrument par lequel le capital canadien défend ses intérêts sur la scène mondiale.

La classe ouvrière requiert un type de politique entièrement différent et opposé : la constitution de la classe ouvrière en tant que force politique indépendante et armée d'un programme socialiste ; l'opposition à tous les camps de la classe dirigeante dans le conflit sur la structure constitutionnelle du Canada ; le rejet de la subordination des besoins sociaux à la quête incessante du capital pour le profit ; la lutte pour unifier les travailleurs du Canada, anglophones, francophones et immigrés, avec les travailleurs américains et du reste du monde dans une lutte commune contre le système capitaliste et le système des États-nations archaïque dans laquelle il est historiquement enraciné.




 

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