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Le Japon et les États-Unis invoquent les tirs de missile pour coincer la Corée du Nord

Par Peter Symonds
8 juillet 2006

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Mercredi, dans un acte qui fait directement l’affaire de l’administration Bush, le régime de la Corée du Nord a fait des tirs d’essai de sept missiles, dont six à courte portée et un missile balistique longue portée, le Taepodong-2. Washington et Tokyo ont immédiatement condamné les essais et demandé une réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU, afin d’imposer des sanctions diplomatiques et économiques sur Pyongyang.

Sans attendre le résultat du débat à l’ONU, le gouvernement japonais a imposé des sanctions à la Corée du Nord, interdisant les services de traversier et les charters entre les deux pays ainsi que les visites des représentants nord-coréens. Les États-Unis et le Japon utiliseront sans aucun doute la séance du Conseil de sécurité pour faire pression sur les voisins de la Corée du Nord, en particulier la Chine, afin qu’ils agissent contre Pyongyang. Pour l’administration Bush, cela fournit un prétexte de plus pour mettre de l’avant des mesures plus sévères contre l’Iran, ainsi que la Corée du Nord, à la réunion du G8 la semaine prochaine à Saint-Pétersbourg.

Les États-Unis avaient déjà profité des préparatifs d’essais pour rendre «opérationnel» leur controversé bouclier anti-missiles (BAM). Insistant sur le potentiel qu’a le Taepodong-2 d’atteindre les États-Unis, des représentants de la Maison-Blanche avaient fait allusion au fait que le Pentagone pourrait essayer de détruire le missile nord-coréen. Lors des essais, le prestigieux missile de Pyongyang vola 40 secondes avant de connaître des ratées et de s’abîmer dans la Mer du Japon, ce qui n’empêchera pas les États-Unis de vouloir accélérer leur programme de BAM. Les États-Unis et le Japon ont juré d’accentuer leurs efforts communs pour construire un système de défense contre les missiles.

L’administration Bush a réagit aux essais de missiles en demandant hypocritement à la Corée du Nord de reprendre les pourparlers à six qui sont au point mort. Pékin a parrainé ces pourparlers, qui impliquent les États-Unis, la Corée du Nord, la Russie, la Corée du Sud, le Japon et la Chine, afin de désamorcer le conflit qui s’intensifie au sujet des programmes nucléaires de Pyongyang. Les négociations ont débuté en 2003 et la dernière ronde a pris place en septembre 2005.

Toutefois, bien qu’elle parle de «solution diplomatique», l’administration Bush est la principale responsable des tensions croissantes en Asie du Nord-Est. Elle a rejoint les pourparlers, non pas pour atteindre un compromis, mais plutôt pour faire pression sur les autres pays afin qu’ils prennent des mesures économiques et diplomatiques plus sévères contre Pyongyang. Washington a à peine masqué le fait que son objectif demeure le «changement de régime» en Corée du Nord, comme il l’était en Irak et comme il l’est en Iran. Alors que des représentants de la Maison-Blanche ont cyniquement critiqué le refus de Pyongyang de se présenter aux négociations, l’administration Bush a continuellement cherché à miner les pourparlers.

La ronde de négociations de septembre dernier avait été largement applaudie par les médias internationaux, ces derniers l’ayant qualifiée «d’étape décisive». La Corée du Nord «s’engagea à abandonner toute arme nucléaire et tout programme nucléaire existant» et à rejoindre «bientôt» le Traité de non-prolifération nucléaire. En retour, Washington offrit très peu: une promesse en l’air de «ne pas attaquer ou envahir la RPDC [Corée du Nord]», de vagues engagements de coopération, ainsi qu’une discussion sur le financement d’un réacteur à eau légère, «en temps opportun».

Mais, comme le dit le vieil adage, les actes sont plus éloquents que les paroles. L’administration Bush diminua l’importance de la déclaration commune aussitôt qu’elle fut signée. Dans le même mois, Washington pris l’initiative d’une campagne agressive pour couper l’accès de la Corée du Nord au système financier international. Insinuant que Pyongyang était impliqué dans des actes illégaux de façon généralisée, le Trésor américain désigna Banco Delta Asia, une banque basée à Macao, comme étant sa principale préoccupation au sujet du blanchiment d’argent, l’accusant de faciliter «les activités criminelles des agences du gouvernement nord-coréen et des compagnies servant de façades».

Les États-Unis ont toujours imposé de dures sanctions économiques contre la Corée du Nord depuis la fin de la guerre de Corée en 1953, mais les dernières mesures ont pour but de financièrement paralyser le pays en le privant de ses quelques sources d’échange avec l’étranger. Confrontée à la menace de se trouver sur une liste noire des États-Unis, Banco Delta Asia est rentrée dans les rangs et a gelé en février 24 millions d’actifs nord-coréens. Avec cette méthode, Washington a réussi à forcer bon nombre de banques et institutions financières en Europe et en Asie à abandonner leurs relations avec les institutions de la Corée du Nord. En avril, l’administration Bush a accusé huit sociétés d’État nord-coréennes de disséminer des armes de destruction massive et a gelé leurs actifs aux États-Unis.

Un article paru dans Knight Ridder en mai n’a laissé aucun doute sur le fait que pour les États-Unis, la légitimité ou non des activités financières qu’ils avaient condamnées n’était pas un sujet de préoccupation. «L’approche était de viser large, pas de cibler avec précision et parmi les victimes collatérales, on trouve un groupe de banquiers anglais qui avaient monté une petite banque privée il y a onze ans en Corée du Nord pour une clientèle de commerçants et d’importateurs», peut-on lire dans l’article. Le directeur de la banque, Nigel Cowie, a dit au journaliste: «Ils ont peint tout le monde de la même couleur, légal ou non». Il a ajouté que les agences humanitaires et de l’ONU opérant en Corée du Nord ont aussi été frappées par les sanctions financières américaines.

Le directeur de l’International Crisis Group pour la région du nord de l’Asie, Peter Beck, a expliqué: «L’administration Bush a été agréablement surprise de l’effet de ses sanctions économiques… Elles vont demeurer aussi longtemps que l’administration Bush sera au pouvoir.» Selon Beck, le gouvernement de la Corée du Sud a compris que les États-Unis n’avaient plus «d’appétit pour d’autres négociations». La Corée du Sud et la Chine ont tenté de relancer les pourparlers des six qui auraient dû reprendre peu après septembre 2005.

Sans surprise, la Corée du Nord a dénoncé les sanctions financières de Washington comme étant un geste de mauvaise foi et a refusé de retourner à la table des négociations jusqu’à ce qu’elles soient levées. Dans une rare rencontre entre des responsables américains et nord-coréens en mars, le principal délégué de la Corée du Nord, Li Gun, a appelé ses vis-à-vis à mettre un terme aux sanctions et a offert d’entreprendre des mesures conjointes pour répondre aux inquiétudes de Washington sur la contrefaçon et d’autres activités illicites. «Nous ne pouvons pas entreprendre de négociations dans le groupe des six avec cette épée au-dessus de nos têtes», a-t-il déclaré. Les États-Unis ont rejeté cette offre.

L’administration Bush n’est pas intéressée à une résolution pacifique de la question des programmes de développement de missile et de développement nucléaire de la Corée du Nord. Son objectif est que l’économie nord-coréenne s’effondre, peu importe l’impact que cela aura sur la population de ce pays. Elle espère ainsi précipiter une crise politique qui pourra être exploitée pour arriver à un «changement de régime». Même si la Corée du Nord devait finalement se conformer à toutes les demandes des États-Unis sur ses programmes nucléaires, Washington trouverait un nouveau prétexte pour continuer sa campagne incessante. De plus en plus dans les câbles, Pyongyang comme il fallait s’y attendre a répondu avec les tests de missile de mercredi.

Alors que les États-Unis sont les principaux responsables de la crise actuelle, les gestes de Pyongyang sont de la témérité pure et une invitation à une réponse militaire agressive de Washington. Le régime autarcique dirigé par Kim Jong-il n’est pas «socialiste» ou «communiste» mais est plutôt basé sur un mélange de nationalisme extrême, de stalinisme et de maoïsme qui a été un désastre économique et social complet pour le peuple nord-coréen.

La réponse de Kim à l’attitude belliqueuse de Washington prend invariablement la forme de menaces à glacer le sang et de bravade. Suite à une mobilisation américaine de navires de guerre dans des eaux proches de la Corée du Nord, assortie d’appels des médias américains à réagir contre les tests imminents de missiles, l’agence centrale de presse nord-coréenne, contrôlée par l’État, a déclaré lundi: «L’armée et le peuple de la RPDC sont fins prêts à répondre à une attaque préventive par une frappe dévastatrice et une guerre nucléaire au moyen d’une puissante force de dissuasion nucléaire».

Il est tout simplement absurde de suggérer que la Corée du Nord, dotée d’une poignée d’armes nucléaires, qui n’ont jamais été testées et peuvent ne pas même exister, et d’un missile balistique de longue portée, puisse faire le poids militairement face aux États-Unis. En fait, loin de défendre la Corée du Nord, un essai réussi d’un tir de missile à tête nucléaire ne ferait qu’accroître le danger d’une frappe militaire dévastatrice par les États-Unis, éventualité contre laquelle Pyongyang ne pourrait rien faire. Dans un article paru dans le Washington Post du 22 juin, William Perry et Ashton Carter, anciens secrétaire et sous-secrétaire à la Défense sous la présidence de Bill Clinton, ont ouvertement préconisé des frappes aériennes préventives pour détruire le missile balistique Taepodong-2 sur sa rampe de lancement.

Les fanfaronnades de Pyongyang ne font que démontrer la faillite politique du régime. Organiquement incapable de faire appel à la classe ouvrière internationale, sa rhétorique augmente  la peur et l’incertitude, divise les travailleurs et apporte de l’eau au moulin des politiciens les plus à droite et nationalistes du Japon, de la Corée du Sud ainsi que des États-Unis. Personne ne devrait avoir d’illusion que les gesticulations de la Corée du Nord ont le moindre rapport avec une véritable lutte contre l’impérialisme. Comme l’administration Bush le sait parfaitement, les tirs de missiles se réduisent à une tentative plutôt désespérée de Pyongyang pour normaliser ses relations avec les États-Unis – autrement dit, pour développer une relation plus avantageuse avec l’impérialisme.

Pour l’administration américaine, les gestes posés par la Corée du Nord représentent un véritable cadeau politique, lui permettant d’attiser un climat de peur et de détourner l’attention publique du bourbier grandissant en Irak et de sa politique intérieure qui suscite une grande opposition. Tout en insistant pour que des mesures punitives soient prises contre la Corée du Nord, l’administration Bush va sans aucun doute saisir cette occasion pour faire monter la pression diplomatique sur la Chine. Les objectifs de Washington en Corée du Nord ne sont pas tant économiques que stratégiques, à savoir: ajouter un nouveau maillon dans les plans américains d’encerclement de la Chine rivale, en établissant des bases et en forgeant des alliances avec les voisins de celle-ci. Ce faisant, il jette les bases d’un conflit beaucoup plus large. 

 

 

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