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Sommet de Shanghai: la Chine et la Russie renforcent leur bloc pour contrecarrer les Etats-Unis en Asie

Par John Chan
10 juillet 2006

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Le cinquième sommet de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS), qui s’est tenu le 15 juin, montra une fois de plus une aggravation des tensions internationales. La Russie et la Chine qui sont confrontées à l’attitude de plus en plus agressive des États-Unis, cherchent à renforcer l’OCS et à en faire un contrepoids à Washington et un véhicule pour affirmer leurs intérêts économiques et stratégiques.

Ce sommet eut lieu suite à la visite peu chaleureuse effectuée par le président chinois Hu Jintao en avril à Washington et à la brouille publique entre le vice-président américain Dick Cheney et le président russe Vladimir Poutine. Le mois dernier, Cheney profita d’une visite dans les anciennes républiques soviétiques pour accuser la Russie d’utiliser ses ressources énergétiques comme instrument d’« intimidation et de chantage », provoquant une attaque à peine voilée de la part de Poutine qui fit référence au caractère prédateur de la politique américaine et annonça une augmentation des dépenses militaires de la Russie.

Les responsables chinois décrivirent le sommet comme étant le plus important événement diplomatique de l’année. On accorda un congé spécial de trois jours aux habitants de Shanghai. Une opération de sécurité sans précédent mobilisant 60.000 policiers ferma en grande partie le district très animé de Pudong, proche du centre de conférences. Les autorités firent arrêter des dissidents connus.

Les dirigeants chinois et russes accueillirent le président iranien Mahmoud Ahmadinejad avec ostentation, alors même que l’administration Bush insistait pour que des mesures sévères soient prises contre Téhéran quant à ses prétendus plans de production d’armes nucléaires. L’Iran, l’Inde, le Pakistan et la Mongolie assistaient à la conférence en tant qu’observateurs. L’Afghanistan était invité comme « visiteur ». A part la Chine et la Russie, sont aussi membres de l’OCS le Kazakhstan, le Kirgistan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan.

L’OCS fut fondée en 2001 afin de combattre le « terrorisme » avant les attentats du 11 septembre aux États-Unis. Comme l’administration Bush, la Russie et la Chine se servent de la « guerre contre le terrorisme » pour leurs propres objectifs géopolitiques.

Washington s’est servi de sa « guerre contre le terrorisme » pour occuper l’Afghanistan, établir des bases militaires en Asie centrale, opprimer l’Irak et menacer l’Iran. Moscou et Pékin ont constitué le SCO pour contrecarrer l’influence des États-Unis dans une Asie centrale riche en ressources énergétiques, une région sensible du point de vue stratégique, et pour justifier la répression des mouvements séparatistes en Tchéchénie et dans la province chinoise de Xinjiang.

Lors de son sommet de l’an dernier, l’OCS exigea des États-Unis de fermer à terme leurs bases militaires en Ouzbékistan et au Kirgistan, arguant qu’elles n’étaient plus nécessaires aux opérations américaines en Afghanistan. Le président ouzbek, Islam Karimov, mécontent des tentatives américaines de soutien à l’opposition de son gouvernement, donna à Washington un certain délai pour quitter le pays. Il déclara sans détour cette année que les « forces étrangères » stationnées en Asie centrale essayaient de « boucler » la région dans leur propre intérêt.

Le récent sommet de l’OCS montra clairement que la Russie et la Chine ont des plans ambitieux et qu’ils entendent agrandir leur influence régionale en se servant de la puissance économique de la Chine et des vastes réserves de pétrole et de gaz naturel de la Russie et de l’Asie centrale comme leviers. L’Iran, qui possède les secondes réserves de gaz naturel les plus importantes et les quatrième réserves de pétrole les plus importantes dans le monde, ajouterait encore à la force énergétique de l’OCS.

A la veille du sommet de Shanghai, le ministre américain de la défense, Donald Rumsfeld, exprima son mécontentement vis-à-vis de cette situation, déclarant que l’OCS n’aurait pas dû inviter « une des principales nations terroristes du monde » à un sommet dédié à la lutte contre le terrorisme. La campagne américaine contre l’Iran n’a rien à voir avec le prétendu « terrorisme » mais a bien pour objectif de faire avancer les plans de domination de l’Iran et de ses ressources énergétiques par Washington.

La Russie et la Chine ont à plusieurs reprises refusé de soutenir les exigences américaines de sanctions économiques contre l’Iran et se sont opposées à tout usage de la force dans le but d’effectuer un « changement de régime » à Téhéran. Les deux pays ont des intérêts économiques considérables en Iran. La Russie a des contrats valant des milliards de dollars pour la construction de centrales nucléaires. La Chine a des contrats à long terme d’une valeur de 100 milliards de dollars pour la livraison de gaz naturel et de pétrole.

Un club énergétique

A ce sommet, le président russe Poutine a proposé la formation d’un « club énergétique de l’OCS » allant directement contre les plans américains de domination du Moyen-Orient et de l’Asie centrale. Il fit remarquer que les membres de l’OCS et les observateurs possédaient ensemble un cinquième des réserves énergétiques de la planète et la moitié de son gaz naturel. D’autre part, la Chine qui est actuellement le second importateur de pétrole dans le monde a une demande d’énergie énorme et en hausse.

Ahmadinejad était évidemment pressé de faire jouer les réserves énergétiques iraniennes pour avoir accès au SCO et pour contrecarrer la campagne belligérante de Washington à l’égard de l’Iran. L’Iran a posé sa candidature pour être membre à part entière de l’OCS et Ahmadinejad a appelé à la tenue d’une conférence régionale de l’énergie à Téhéran. « Le groupe de l’OCS comporte des nations productrices aussi bien que des nations consommatrices d’énergie. L’énergie joue un rôle de plus en plus important dans le développement national et le progrès » a-t-il remarqué.

Selon l’agence de presse russe RIA Novosti, Ahmadinejad a rencontré Poutine et il a suggéré que les deux pays obtiendront plus de poids s’ils collaborent au niveau des ventes de gaz naturel. « Nous pouvons coopérer étroitement pour ce qui est de fixer les prix du gaz naturel… dans l’intérêt de la stabilité dans le monde » a-t-il dit selon cette agence. La Russie s’était déjà servie des prix du gaz naturel pour faire pression sur son voisin ukrainien et l’Iran avait, en réponse aux menaces militaires américaines, averti qu’il réduirait éventuellement ses ventes de gaz naturel et de pétrole.

Ahmadinejad lança un appel au soutien politique et militaire réciproque. Il insista pour que l’OCS devienne une institution forte capable de « bloquer les menaces et les ingérences musclées de la part de divers pays ». La Russie et la Chine essaient cependant d’éviter une confrontation ouverte avec les États-Unis à propos de l’Iran. Les responsables chinois et russes ont explicitement exclu que Téhéran deviennent membre de l’OSC ainsi que tout élargissement de l’OCS dans un avenir proche.

A la veille du sommet, le secrétaire général de l’OCS, Zhang Deguang, dit que l’OCS ne deviendrait pas une alliance militaire. Il dit à RIA Novosti que l’organisation « n’était pas un équivalent oriental de l’OTAN. Elle ne serait jamais un groupement militaire parce que sa charte de fondation ne prévoyait pas de tel statut ». Poutine dit aussi à des journalistes qu’on ne pouvait pas comparer l’OCS et l’ancien pacte de Varsovie dirigé par l’Union soviétique pendant la guerre froide.

La Russie et la Chine sont néanmoins pour une coopération militaire politique et économique renforcée. Un texte écrit par Poutine et intitulé « L’OCS comme nouveau modèle de coopération internationale réussie » fut publié à l’occasion du sommet. Il fait appel à « l’esprit de Shanghai » afin d’« éviter les dédoublements et les actions parallèles inutiles, agissant pour nos intérêts communs sans clubs ‘exclusifs’ et sans lignes de démarcation ».

Le président chinois proposa des négociations conduisant à un pacte de non agression entre les États membres de l’OCS qui les empêcherait de s’engager dans des activités qui sapent la sécurité, la souveraineté et l’intégrité territoriale des autres. Un tel pacte pourrait servir à bloquer les activités de Washington visant à fomenter des « révolutions roses » et à installer des régimes pro-américains en Asie centrale.

Il est significatif que la Russie et la Chine aient tenu leurs premières manoeuvres militaires communes baptisées « Mission de Paix 2005 » l’an dernier. Loin d’avoir pour objectif la « lutte contre le terrorisme » l’exercice militaire qui eut lieu le long de la côte chinoise et comportait des débarquements amphibies était une menace à peine voilée contre Taiwan. La prochaine manœuvre commune a elle aussi un message politique : la Russie propose qu’elle ait lieu dans le Caucase, dans la région qui borde la Tchétchénie.

Armes économiques

Ce sont toutefois les armes économiques de l’OCS qui inquiètent Washington dans l’immédiat. Une partie des plans de l’administration Bush pour contenir la Chine consiste à essayer de forger une relation stratégique et économique étroite avec l’Inde. La perspective d’obtenir des livraisons énergétiques garanties en provenance de l’OCS est également attrayante pour la Nouvelle-Delhi, qui a assisté en tant qu’observatrice à plusieurs sommets consécutifs.

Le dirigeant de la délégation indienne était le ministre du Pétrole et du Gaz naturel, Shri Murli Deora. L’Inde a décidé de se joindre à la Chine dans les appels d’offre pour des contrats pétroliers au Kasakhstan d’une valeur de deux milliards de dollars, ce qui fait partie de la stratégie suivie par la Nouvelle-Delhi pour diversifier la provenance de son approvisionnement énergétique et ne pas dépendre exclusivement d’un Moyen-Orient de plus en plus instable. L’Inde et le Pakistan prévoient la construction d’un oléoduc en provenance d’Iran qui coûtera des milliards de dollars.

Le Pakistan est aussi reconnu par les États-Unis comme un allié important hors de l’OTAN. Le président Pakistanais Pervez Musharraf qui assistait au sommet de Shanghai lança toutefois un appel pour que son pays devienne membre à part entière de l’OCS. « Le Pakistan est un lien naturel entre les États de l’OCS pour unir le continent Eurasien au Golfe Persique et à l’Asie du Sud ». Pékin a financé la construction d’un port dans le Sud-Ouest du Pakistan, près du Golfe Persique et prévoit la construction d’une route reliant ce port à l’Ouest de la Chine.

Même le président afghan, Hamid Karzai, qui dépend entièrement du soutien financier et militaire de Washington était présent au sommet et recherche des liens plus étroits avec le groupe de Shanghai. Avant de partir pour la Chine il déclara que l’Afghanistan « appart[enait] à la région où l’OCS est établie. L’Afghanistan n’a pas d’autre moyen et ne peut pas être hors de la région ». Après le sommet, il alla à Pékin et signa un accord d’« amitié » et de coopération dans la « lutte contre le terrorisme » avec la Chine.

Tandis que la Russie offre du gaz naturel et du pétrole, la Chine se sert de son poids économique croissant pour renforcer l’OCS. Au sommet, Pékin offrit 900 millions de dollars de prêts à faible intérêt aux autres membres de l’OCS. De plus, la Chine a promis de construire une autoroute et de financer deux lignes à haute tension au Tadjikistan et de fournir au Kazakhstan des emprunts pour construire une centrale électrique. Elle offre aussi d’acheter de l’électricité, du pétrole et du gaz naturel aux autres membres de l’OCS.

Il n’est donc pas surprenant que l’OCS ait éveillé l’inquiétude de Washington. Dans un commentaire du 15 juin le Wall Street Journal déclarait que la « tendance anti-américaine agressive et le poids politique croissant » du groupe était une « cause d’inquiétude ». L’article se concentrait non pas sur l’OCS en tant que menace militaire potentielle. Il remarquait qu’une version orientale de l’OTAN tout en étant une possibilité, prendrait du temps.

« C’est le poids politique de plus en plus important de l’OCS qui nous préoccupe pour le moment. Le groupement a de fortes ambitions évidentes. Le président russe Vladimir Poutine l’appela une ‘organisation régionale influente’ dans un article cette semaine. Les Nations unies ont inauguré un secrétariat de l’OCS en 2004 et les représentants de l’OCS ont tendu la main à l’OSCE [Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe] et à l’Association des nations du Sud-Est asiatique [ASEAN]», dit le journal.

L’article poursuivait en se demandant pourquoi des pays « démocratiques » rejoindraient ce club « autoritaire ». « Derrière les intérêts énergétiques, qui sont, nous le concédons, importants, on comprend mal pourquoi la Nouvelle-Delhi ou Kaboul s’empresseraient d’avoir des rapports politiques plus étroits avec l’OCS, un groupement que le dictateur biélorusse, Alexander Loukachenko, par exemple est pressé de rejoindre. » Dans un avertissement à la Nouvelle-Delhi donné en guise de conclusion, l’article ajoute : « Une chose de plus à examiner pour le Congrès américain alors qu’il considère l’accord nucléaire récemment signé entre l’Inde et les États-Unis. »

Cette tirade plutôt amère contre une OCS « autocratique » n’a rien à voir avec une préoccupation quelconque pour la démocratie ou les droits démocratiques dans les pays membres de cette organisation. Le porte-parole du capital américain s’inquiète plutôt de ce que l’OCS sape les plans élaborés depuis longtemps par Washington pour résoudre la question de l’énergie qui est « [comme ils le concèdent] importante » en instaurant son hégémonie en Asie Centrale et au Moyen-Orient. Le ton menaçant de ce commentaire montre que la classe dirigeante américaine ne regardera pas la croissance du bloc sino-russe sur le continent eurasien sans rien faire, mais réagira en le cassant de façon agressive.

 

 

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