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Le gouvernement canadien veut élargir son intervention militaire en Afghanistan

Par Richard Dufour
15 mai 2006

Lors d'une visite surprise effectuée en Afghanistan la semaine dernière, le ministre canadien des Affaires étrangères Peter MacKay a laissé entendre que le déploiement militaire du Canada dans ce pays serait prolongé au-delà de son échéance initiale de février, tout en ouvrant la porte à l'envoi de troupes additionnelles pour renforcer les 2.300 soldats de la mission actuelle.

Le contingent canadien est déployé dans le cadre d'une opération militaire menée par l'OTAN dans le sud du pays qui vise à étouffer le profond ressentiment de la population afghane envers ce qu'elle considère, avec raison, comme une nouvelle tentative de subjugation coloniale de ce pays stratégique d'Asie centrale par les grandes puissances capitalistes.

Les forces talibanes -- expulsées du pouvoir après les attentats du 11 septembre 2001 par une intervention militaire des États-Unis qui a mis en place un gouvernement fantoche à Kaboul -- ont réussi à se regrouper dans le sud du pays, autour de Kandahar, d'où ils lancent des assauts meurtriers contre les convois militaires de l'OTAN.

L'augmentation envisagée du contingent canadien fait partie des plans de l'OTAN pour faire passer au cours des prochains mois de 10.000 à 17.000 le nombre de soldats déployés sur le dangereux terrain du sud de l'Afghanistan, afin de permettre aux États-Unis de réduire leur propre présence militaire dans le pays de 23,000 à 16,500 combattants pour concentrer leurs troupes dans leur guerre de pillage contre l'Irak.

Le voyage du ministre MacKay s'inscrit dans le cadre des efforts commencés par le gouvernement libéral précédent, et intensifiés par le gouvernement minoritaire conservateur de Stephen Harper, pour changer l'opinion publique afin qu'elle soutienne une recrudescence du militarisme canadien. Un nouveau sondage effectué la semaine dernière a révélé que 54 pour cent des Canadiens sont opposés au déploiement en Afghanistan, une hausse significative par rapport aux 41 pour cent du mois précédent.

Ce résultat ne reflète pas simplement l'indignation populaire face aux récents efforts d'Ottawa pour minimiser les pertes canadiennes -- sept soldats tués et vingt-cinq blessés depuis le début de l'année -- en bannissant, suivant l'exemple de l'administration Bush, la présence des médias lors du rapatriement des corps.

Il indique plus fondamentalement l'échec non seulement du gouvernement Harper, mais de toute l'élite dirigeante, à développer une base populaire pour la politique de démolition sociale au pays et d'agression militaire outre-mer exigée par la grande entreprise canadienne.

Harper lui-même avait fait de l'Afghanistan en mars dernier son premier voyage à l'étranger en tant que nouveau premier ministre du Canada. Il y avait invoqué le prétexte conventionnel de la «lutte contre le terrorisme international» afin de justifier l'envoi des troupes canadiennes, pour ensuite ajouter que leur mission était aussi de «faire la démonstration du rôle de leadership international de notre pays».

Pour l'élite dirigeante, l'image du Canada en tant que nation pacifique et de ses forces armées en tant que gardiens de la paix doit être mise au rancart. Intégrée au nationalisme canadien remodelé des années 70, cette image est devenue un obstacle à la défense et à l'affirmation des intérêts globaux du capital canadien dans un monde de plus en plus instable et face à une concurrence accrue pour les marchés et l'accès aux ressources naturelles.

Devant l'horreur des crimes perpétrés par l'administration Bush en Irak et l'impact dévastateur de sa politique sociale aux États-Unis mêmes, l'opinion publique canadienne s'est montrée jusqu'ici peu réceptive aux efforts de la classe dirigeante canadienne pour faire renaître ses propres traditions militaristes et plus généralement suivre les traces de Washington. Il en va tout autrement de l'establishment politique et médiatique.

Lors d'un débat parlementaire «consultatif» sur le déploiement militaire en Afghanistan, exigé à haut cris par les partis d'opposition mais que Harper avait initialement rejeté par crainte d'y retrouver un écho des sentiments anti-guerre des Canadiens ordinaires, pas une seule voix ne s'est élevée contre l'opération militaire de type néo-colonial engagée par le Canada.

«Nous appuyons nos troupes», a déclaré le chef libéral par intérim et chef de l'opposition, Bill Graham. «Le travail des soldats est tout à fait exemplaire», a poursuivi le député du Bloc Québécois, Claude Bachand, ajoutant que «Si les Canadiens et les Québécois connaissaient exactement la nature du travail qu'ils accomplissent, ces derniers recevraient un immense appui». Quant au chef du NPD social-démocrate, Jack Layton, qui avait mené la charge pour la tenue de ce débat, tout ce qu'il a trouvé à dire est: «Nous sommes ici pour appuyer nos hommes et femmes en uniforme, par le débat démocratique qu'ils méritent».

Les médias de masse sont partie prenante de la tentative en cours pour corrompre l'opinion publique canadienne avec le poison du militarisme impérialiste. Un épisode particulièrement révélateur a été la controverse suscitée par la décision du gouvernement conservateur de rompre, après la mort le mois dernier de quatre soldats canadiens sur le théâtre d'opérations près de Kandahar, avec la tradition récente voulant que le drapeau du parlement à Ottawa soit mis en berne lorsqu'un soldat canadien se fait tuer.

Tous les grands quotidiens du pays ont immédiatement dénoncé ceux qui argumentaient pour que le drapeau du parlement soit descendu à mi-mât, même si c'était d'un point de vue patriotique visant à maintenir une aura héroïque autour de l'institution militaire.

Dans un éditorial intitulé «Laissez flotter les drapeaux», le National Post, quotidien de droite proche du courant néo-conservateur américain, a lancé l'avertissement suivant: «Dès que le parlement -- et la nation par extension -- commence à traiter la mort sur le terrain comme une chose extraordinaire et imprévue, nous aurons tacitement embrassé le mythe que notre mission en Afghanistan sera pacifique et ne fera pas couler le sang.»

Le journal de l'élite financière, le Globe and Mail, a adopté une position éditoriale similaire. «C'est une dure réalité», selon le Globe, «que les morts canadiennes deviennent presque routine en Afghanistan, la plus dangereuse mission de nos troupes depuis la guerre de Corée. Les Canadiens doivent se préparer fermement au fait que beaucoup d'autres hommes et d'autres femmes peuvent perdre la vie [en Afghanistan] Avoir un spectacle de deuil national chaque fois qu'un soldat meurt, en abaissant le drapeau du parlement, suggère presque que le pays a été secoué jusqu'à ses racines. Ce n'est pas le message qu'Ottawa veut envoyer.»

Même le Toronto Star, qui se targue d'avoir une vue libérale des choses, a pris la défense du gouvernement conservateur. «Le gouvernement du premier ministre Stephen Harper», a proclamé le Star, «a raison de décréter que le drapeau canadien flotte au haut de son mât à la tour du parlement durant toute la mission au lieu d'être abaissé chaque fois qu'un soldat est tué. Ce n'est pas un signe d'irrespect, mais de fierté, de gratitude et de résolution.»

Malgré une presse aussi servile, prête à plier l'échine devant un corps officier impatient de transformer de jeunes Canadiens en chair à canon pour aider la grande entreprise canadienne à faire valoir ses intérêts sur la scène mondiale, le gouvernement Harper cherche à maintenir un contrôle étroit, frisant la censure, sur toute information reliée aux opérations du Canada en Afghanistan.

Tel que mentionné plus haut, Ottawa veut bloquer l'accès des médias aux camps militaires qui reçoivent les dépouilles de soldats canadiens morts en Afghanistan et interdire toute publication des photos de ces cercueils.

La semaine dernière, un photographe de l'Agence France-Presse «intégré» aux forces armées canadiennes en Afghanistan s'est vu interdire de publier les photos qu'il avait prises d'un groupe de présumés talibans, faits prisonniers après un raid canadien près de Gumbad, un petit village à environ 70 kilomètres au nord de Kandahar. Selon des reportages écrits, les photos montrent les détenus ligotés, les yeux bandés. Ni leurs visages, ni leurs identités ne sont dévoilés. Le porte-parole de l'armée, le major Marc Thériault, a quand même cherché à justifier la censure des photos sous le prétexte que l'on pourrait reconnaître les prisonniers par leurs vêtements ou leurs cheveux -- ce qui irait à l'encontre de la convention de Genève qui protège les prisonniers de guerre contre la curiosité publique.

Mais l'armée canadienne a déjà transféré des prisonniers au gouvernement afghan, connu pour pratiquer la torture, ce qui constitue une violation beaucoup plus grave, et réelle, de cette convention De plus, le prétexte mis de l'avant par le major Thériault répète mot pour mot les arguments avancés par le Pentagone américain l'an dernier dans une tentative non réussie de bloquer la publication de photos montrant les sévices subis par des prisonniers à la tristement célèbre prison de Abou Graïb.

L'armée canadienne a déjà été mise sur la sellette par la publication de photos, comme celle montrant des soldats canadiens en train de torturer un jeune Somalien en 1993. Aurait-elle quelque chose à cacher en Afghanistan aujourd'hui?





 

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