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Affaire Harkat-Charkaoui: les autorités canadiennes cachent la preuve et violent le droit à un procès équitable

Par François Tremblay
29 mai 2006

Mohamed Harkat a été libéré de la prison où il était détenu depuis décembre 2002 sous prétexte qu'il constituait une menace à la sécurité nationale. Il est l'une des cinq personnes menacées d'expulsion en vertu d'un certificat de sécurité, mesure draconienne et antidémocratique, émis en vertu de la loi sur l'immigration.

Harkak, comme les quatre autres personnes, est accusé par le gouvernement canadien d'entretenir des liens avec des organisations terroristes, particulièrement Al Qaida. Accepté comme réfugié au Canada en 1997, il est la deuxième personne menacée d'expulsion, en raison des ses affiliations terroristes présumées, que la Cour fédérale remet en liberté, quoique sous des conditions extrêmement sévères.

Selon divers comptes-rendus publiés dans la presse, Harkat devra réunir et offrir en garantie une somme allant de 35.000$ à 50.000$, un montant exorbitant pour un homme détenu depuis quatre ans et qui auparavant travaillait comme livreur dans une pizzeria. Il ne pourra pas quitter son appartement sans l'autorisation des agents fédéraux et seulement en compagnie de sa femme ou de sa belle-mère, il devra porter un bracelet électronique (GPS), et accepter que sa ligne téléphonique soit sous écoute et toutes communications écrites passées au crible. Il ne pourra utiliser Internet et devra remettre tous ses documents de voyage. Il lui sera également interdit de parler arabe.

Adile Charkaoui, arrêté par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) en 2003 et accusé d'être un agent dormant d'Al Qaida, a été libéré en février 2005 sous des conditions similaires à celles qui viennent d'être imposées à Harkat. D'origine marocaine et vivant à Montréal depuis 1995, Charkaoui attend son éventuelle expulsion vers le Maroc où, selon tous les intervenants, il risque la torture et la mort.

Le 4 avril dernier, la Cour fédérale a légèrement allégé les conditions de vie de Charkaoui. Il pourra se rendre dans la cour arrière de son appartement sans être accompagné d'un membre de sa famille, contrairement à tous ses autres déplacements lorsqu'il franchit le seuil de sa porte. Son couvre-feu est légèrement modifié et la Cour a eu la bonté de lui permettre d'assister à l'audience de sa cause devant la Cour suprême en juin prochain concernant la constitutionalité du certificat de sécurité émis contre lui.

Pourtant en 2005 lorsque le juge Noël décidait de sortir Charkaoui de sa cellule de la prison montréalaise de Rivière des Prairies, il mentionnait: « Le danger à la sécurité nationale et à la sécurité des personnes a diminué avec le temps je dirais même que le danger a été neutralisé au moment de cette évaluation».

Le moindre faux pas de sa part et sa liberté conditionnelle lui sera retirée, il sera jeté dans une des cellules de la nouvelle prison spéciale récemment ouverte à Kingston en Ontario pour recevoir les «présumés terroristes» détenus sans procès ni accusation.

Les cas de Harkat et de Charkaoui démontrent le caractère pernicieux et réactionnaire de la preuve cachée par les autorités gouvernementales au grand public, à l'accusé et à ses avocats, et obtenue dans certains cas sous la torture.

La combinaison de ces deux éléments a permis pendant plusieurs années aux procureurs du gouvernement canadien de présenter en preuve secrète des déclarations de deux témoins clés qui confirmaient, selon le gouvernement, son accusation que les deux hommes étaient des agents d'Al Qaida et des terroristes potentiels.

L'un de ces deux témoins, Abu Zubaydah, un lieutenant de Ben Laden, a affirmé dans une déclaration lors de sa détention par les autorités américaines en sol étranger qu'il a identifié Charkaoui et Harkat pour les avoir déjà vus dans un camp d'entraînement d'Al Qaida au début des années 1990.

Le second témoin, celui-là visant uniquement Charkaoui, est un dénommé Nafia'a. Ce dernier, selon ce qui était initialement présenté par le gouvernement canadien, s'incriminait dans diverses activités terroristes et impliquait également Charkaoui.

Ces déclarations ont été acceptées par les tribunaux comme lettres à la poste, jusqu'à ce que la vérité éclate sur l'origine réelle des déclarations. Comme la loi permet de produire ces déclarations sans qu'il ne soit permis aux avocats des accusés de procéder à un contre-interrogatoire, comme c'est la règle, il a été possible de les utiliser pendant des années.

Ce n'est que suite à une enquête indépendante qu'il a été possible d'apprendre que la déclaration de Zubaydah incriminant Charkaoui et Harkat a été donnée alors qu'il était torturé et détenu par les autorités américaines en sol étranger. Zubaydah a transmis une note écrite à cet effet. Il est encore détenu.

Pour ce qui est de la «confession» de Nafia'a, elle est également sujette à la plus grande prudence. En effet, Nafia'a a entrepris de se rétracter en bloc et pour se faire entendre, il a entamé une grève de la faim. Ayant ainsi réussi à attirer l'attention des médias marocains du fond de sa cellule, il affirme qu'il a été forcé de signer un document les yeux bandés et que sa confession, dans laquelle il implique Charkaoui, a été obtenue sous la torture.

L'utilisation de la torture n'est pas une première au Canada. De fait, depuis les attentats du 11 septembre, la loi autorise implicitement l'utilisation d'une telle preuve dans la soi-disant lutte contre le terrorisme.

«Le SCRC [Service canadien du renseignement de sécurité] va utiliser toutes les informations disponibles». C'est ce qu'a déclaré l'avocat du gouvernement dans ses représentations finales dans l'enquête publique sur l'affaire Arar, ce Canadien d'origine syrienne, arrêté aux États-Unis avec la complicité des autorités canadiennes et ensuite déporté, détenu et torturé en Syrie.

Le procureur a ajouté: «Si une information a été obtenue par la torture mais qu'elle peut être confirmée par une source indépendante, et que l'information est importante dans le cadre d'une enquête sur une menace contre le Canada, nous allons l'utiliser.»

C'est loin d'être l'exception, comme le démontrent les cas Charkaoui et Harkat, dans lesquels le juge a essentiellement adopté la même position en déclarant que pour le moment il allait «suspendre» toutes références à ces témoignages.

La loi permet également l'utilisation de cette preuve au nom de la sécurité nationale et prévoit qu'elle peut être gardée secrète si sa divulgation risquait d'affecter les relations internationales du Canada.

Le mois dernier, la Cour fédérale a jugé que Mahmoud Jaballah, un des cinq détenus de Kingston, n'avait pas droit à la protection constitutionnelle contre la torture et a autorisé Immigration Canada à procéder à sa déportation vers l'Égypte où il risque d'être torturé et peut-être exécuté.

La détention indéterminée en isolement, avec pour perspective le renvoi vers ses bourreaux et une mort atroce, est une autre forme de torture. C'est ce à quoi font face les détenus de la prison de Kingston, surnommé le «Guantanamo du nord». Les prisonniers y seront gardés en tout temps à l'écart des autres détenus. Les autorités ont refusé d'indiquer la grandeur des cellules et de permettre aux médias de visiter les nouvelles installations ou d'obtenir la moindre information sur les conditions de détention.

Avant d'être transféré dans la prison de Kingston, plusieurs détenus ont fait une longue grève de la faim pour que soient respectés leurs droits les plus élémentaires, comme celui de voir leurs enfants, leur femme ou leur avocat.

La remise en liberté d'Harkat n'est pas étrangère au caractère arbitraire et indéfini de la détention. La juge Eleanor Dawson mentionne les «délais inexplicables» que prend le gouvernement pour déterminer le risque encouru par Harkat s'il était renvoyé, processus administratif qui précède le renvoi comme tel.

La détention indéterminée en isolement, sans qu'une accusation soit portée et sans pouvoir répondre à ses accusateurs, le musellement par une preuve secrète obtenue par la torture d'autres détenus, voilà comment l'élite dirigeante canadienne traite les personnes qu'elle arrête sur son territoire dans sa «lutte au terrorisme».




 

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