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Ilan Halimi torturé et tué pour de l'argent

Par Antoine Lerougetel
Le 6 mars 2006

Les détails de l'enlèvement d'Ilan Halimi, sa torture et sa mort après trois semaines de séquestration ont profondément choqué et suscité le dégoût dans la France entière. Retrouvé, agonisant à proximité de la station de métro Sainte-Geneviève-des-Bois, au sud de Paris, dans les premières heures du 13 février, le jeune homme juif de 23 ans dont le corps nu présentait deux coups de couteau à la gorge et était couvert à 80 pour cent de brûlures, devait décéder dans l'ambulance durant son transfert à l'hôpital.

Quelque 80.000 personnes défilèrent dans Paris le 26 février pour exprimer leur horreur face à ce crime et pour s'opposer à l'antisémitisme et au racisme. Toutes les croyances religieuses et tous les groupes ethniques étaient représentés, y compris les organisations musulmanes. Il y eut également des manifestations dans d'autres villes françaises.

Ilan fut enlevé dans la nuit du 21 janvier après avoir été attiré dans un faux rendez-vous où ses ravisseurs l'attendaient. Une séduisante jeune fille avait servi d'appât. Elle avait fait semblant de flirter avec lui dans le magasin où il travaillait dans le 11ème arrondissement de Paris après avoir fait toutes les autres boutiques de téléphones portables du coin.

Le chef présumé de la bande issue de la cité de la Pierre-Plate, à Bagneux, dans la banlieue sud de Paris, est Youssouf Fofana (26 ans) qui se fait appeler en anglais « barbarians brain » (cerveau des barbares). En attendant son extradition vers la France, il est placé en détention provisoire par la police de Côte d'Ivoire, d'où sont originaires ses parents.

L'enquête révèle que depuis 2004 et peut-être même avant, la bande criminelle qui a enlevé le jeune vendeur, avait déjà fait d'autres tentatives, sans succès, d'extorsion de fonds accompagnées de menaces de violence sur 20 personnes. Parmi ces personnes, on trouve des personnalités du sud de Paris, comme Jérôme Clément, président d'Arte, la chaîne de télévision franco-allemande.

La bande est également suspectée d'avoir fait des tentatives de racket sur sept médecins pour leur extorquer des fonds et de six tentatives d'enlèvement avant celle d'Ilan. Un quart des personnes ciblées par la bande sont juives. Il semblerait qu'à un moment la bande se serait fait passer pour des terroristes palestiniens, puis corses ainsi que des gangsters rappeurs.

Fofana, ressortissant français, fut arrêté le 21 février à Abidjan, capitale de la Côte d'Ivoire. Bien que Fofana soit musulman, les 21 personnes arrêtées jusqu'à présent par la police française, en majorité des gens qui ont grandi avec Fofana dans la cité de la Pierre-Plate, sont de confessions religieuses et d'origines ethniques diverses. Quatre filles auraient joué le rôle d'appât auprès des victimes potentielles et une douzaine de garçons auraient à tour de rôle, pour la promesse de quelques euros, été les geôliers d'Ilan durant trois semaines dans un appartement et une cave de la cité dont le gardien leur aurait donné la clé.

La Plate-Pierre est une cité comprenant à la fois des logements sociaux et de logements privés dans la banlieue ouvrière de Bagneux qui, par rapport à d'autres banlieues ouvrières, enregistre un taux de chômage relativement bas de 12,5 pour cent. La cité semble bien entretenue bien que les locataires des blocs privés se plaignent de négligence. Peu de voitures furent brûlées lors des émeutes des jeunes de l'automne dernier.

Les travailleurs sociaux, reconnaissent cependant avoir perdu contact avec les jeunes de 15 à 19 ans dont sont issus la plupart des jeunes suspects arrêtés. Les parents n'avaient pas la moindre idée de ce qui se passait et furent horrifiés et choqués en apprenant ce qui était arrivé à Ilan. Fofana et trois ou quatre meneurs sembleraient être les fortes têtes et le reste les suiveurs.

Les meneurs de l'enlèvement sont encore en fuite, seul un suspect a été mis en examen par la police : Christophe Martin-Valet (22 ans) que l'on dit être le chauffeur de la bande. Il aurait emmené des filles dans des discothèques pour y chercher des victimes.

Une jeune fille blonde d'origine iranienne dont le portrait-robot fut largement diffusé par les médias et qui pourrait avoir joué le rôle d'appât dans l'enlèvement d'Ilan s'est rendue elle-même à la police le 16 janvier. Les informations de la jeune fille ainsi que celles données à la police par un garçon d'origine portugaise qui avait gardé Ilan et qui fut écoeuré par la situation, permirent l'arrestation immédiate de treize suspects.

La police a écarté tout lien entre la bande et des organisations islamistes fondamentalistes. Le parquet de Paris informa la presse le 16 février qu'il semblait que la bande n'avait pas agi pour des motifs antisémites. Il fit remarquer que certaines des victimes de la bande n'étaient pas juives et qu'aucune insulte ou message antisémite n'avait été envoyé à la famille d'Ilan.

Fofana a continuellement nié tout mobile antisémite et a maintenu que l'enlèvement d'Ilan était uniquement « à des fins financières ». Teddy Cohen, l'avocat représentant l'un des suspects gardés à vue, déclara que son client n'avait pas agi pour des mobiles antisémites.

L'accent mis, au début de l'affaire, sur le caractère purement criminel de l'horreur subie par Ilan suscita la question suivante : Comment se peut-il que la société française puisse produire une conduite aussi bestiale ? Il ne fait pas de doute que c'est là le produit d'une désagrégation sociale touchant les sections les plus pauvres de la société française, en grande partie concentrées dans des cités délabrées en marge des centres urbains.

Des décennies de négligence remontant à la fin du boom économique d'après-guerre ainsi que l'application de mesures d'austérité entre 1982-1983 par le gouvernement du Parti socialiste (PS) du président François Mitterrand et du premier ministre Pierre Maurois, et que poursuivirent les gouvernements successifs, ont conduit à des niveaux de chômage chroniquement élevés, tout particulièrement chez les jeunes, et à un climat de désespoir.

L'échec du Parti communiste (PC), principalement au pouvoir dans des gouvernements de coalition avec le Parti socialiste depuis 1981, et des syndicats, notamment la CGT, étroitement lié au PC, à offrir une alternative a signifié l'abandon de fait de ces couches de la société. Le rôle de ces organisations se limite uniquement à fournir des palliatifs et à maintenir la paix en cherchant à contenir la menace permanente d'explosions sociales, comme celles des jeunes dans les banlieues ouvrières en octobre et novembre derniers.

L'aliénation des jeunes de la classe ouvrière et des jeunes immigrés est exacerbée par la politique de répression policière au niveau local et national qu'on leur impose au lieu de progrès social. La discrimination raciale et l'offensive idéologique contre les musulmans au nom de la « guerre contre le terrorisme » y sont pour quelque chose.

En France, cela s'est traduit par la loi contre les jeunes filles portant le foulard islamique à l'école, et le ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy, a cherché à attiser le sentiment antimusulman et anti-immigré. Il se rendit dans des cités, flanqué de policiers lourdement armés, en déclarant vouloir nettoyer le voisinage et les débarrasser de la « gangrène » et de la « racaille ».

Parallèlement à ceci, on assista à une intensification de l'offensive juridique pour restreindre l'immigration.

Ces conditions ont permis le développement d'une culture de bande dans de nombreuses communautés où des jeunes au chômage et des jeunes mal payés participent à une économie souterraine et s'engagent dans la petite criminalité. Ces conditions ont également contribué à les rendre perméables aux idéologies réactionnaires et communautaristes, y compris à l'antisémitisme. Le lycée de Sainte-Geneviève-des-Bois rapporte avoir découvert des cas de tags antisémites.

Le caractère endémique de la désagrégation sociale se trouve confirmé par des articles relatant le cas d'un homme de 54 ans, non juif, enlevé dans l'est de la France et qui fut trouvé nu et agonisant dans une forêt le 25 février. Ses ravisseurs l'avaient forcé à leur livrer le code de sa carte bancaire. N'étant pas satisfait du millier d'euros qu'ils extorquèrent, le groupe, qui serait connu comme délinquants dans leur quartier, battirent sauvagement la victime durant deux jours dans le but de lui extorquer davantage d'argent.

La réponse du gouvernement à la révolte des jeunes de l'année dernière fut d'intensifier les pouvoir répressifs de l'Etat, spécialement à l'encontre des immigrés, et de mettre en place la loi pour l'Egalité des chances adoptée par le parlement, qui abaisse l'âge de la scolarité obligatoire à 14 ans pour des jeunes en échec scolaire, criminalise les parents d'élèves absentéistes et crée, comme fer de lance d'une attaque généralisée contre les droits des travailleurs, le Contrat de première embauche (CPE) qui donne aux employeurs le droit de licencier sans justification des jeunes travailleurs durant les deux premières années d'embauche. Un vaste mouvement contre le CPE se développe en ce moment.

Il n'y a pas de doute que la politique sociale de Sarkozy et du gouvernement gaulliste, à l'image de celle des gouvernements de par le monde, crée une couche d'individus démoralisés et déshumanisés. L'utilisation de la torture par l'impérialisme britannique et américain à Abu Ghraib et à Guantánamo et la rendition (transferts secrets de prisonniers vers des pays pratiquant la torture) de prisonniers en vue de les liquider ou de les torturer, pratiquée avec la complicité de la France et d'autres gouvernements européens a pour effet de désensibiliser au même titre que les atrocités perpétrées par Al Quaïda. Le cynisme et la brutalité d'une grande partie des programmes de divertissement ont aussi leur part de responsabilité.