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Le Canada compte augmenter considérablement sa présence militaire dans l'Arctique

Par Lee Parsons
Traduction d'un article paru le 23 février 2006

Le nouveau gouvernement conservateur du Canada entreprend de développer et réarmer de façon importante les Forces armées canadiennes (FAC) en augmentant le nombre des membres des forces régulières de 13.000 et celui des réservistes de 10 000 réservistes, en augmentant les dépenses militaires de 5,3 milliards de dollars au cours des cinq prochaines années et en augmentant sa capacité de se déployer rapidement, ce qui permettrait une plus grande participation canadienne dans les interventions militaires à l'étranger.

Une autre priorité des conservateurs est d'équiper les FAC pour qu'elles puissent avoir une présence beaucoup plus importante dans l'Arctique et ainsi soutenir et faire respecter les revendications du Canada dans le Grand Nord à un vaste territoire, aux voies maritimes stratégiques et aux ressources sous-marines.

Dans les derniers jours de la campagne électorale qui le porta au poste de premier ministre, le chef conservateur Stephen Harper déclara: «Je n'ai jamais caché notre désir de rebâtir l'armée canadienne pour avoir les moyens d'une nation souveraine Pour prendre les décisions de politique étrangère qui ne seront pas seulement indépendantes mais dont les autres puissances du monde devront tenir compte.»

La déclaration de Harper selon laquelle il veut que « les autres puissances du monde» tiennent compte du Canada est remarquable dans le contexte actuel. Le précédent gouvernement libéral a beaucoup augmenté les dépenses militaires depuis que le président américain George W. Bush a proclamé que les attaques terroristes de septembre 2001 marquaient le début de la première guerre du 21e siècle. Les Forces armées canadiennes (FAC) ont été déjà déployées à plusieurs reprises à l'étranger: l'armée canadienne a joué un rôle majeur dans les bombardements de l'OTAN contre la Yougoslavie en 1998; elle a participé depuis l'automne 2001 à la conquête et l'occupation américaines de l'Afghanistan et a occupé l'aéroport de Port-au-Prince en février et mars 2004 dans sa participation au coup d'État qui destitua le président élu d'Haïti, Jean-Bertrand Aristide.

Dans un déploiement planifié sous le gouvernement libéral de Paul Martin, les FAC ont augmenté leurs effectifs en Afghanistan à plus de 2000 ce mois-ci et ont pris le contrôle des forces de l'OTAN basées à Kandahar dont la mission est de monter des opérations de contre-insurrection contre les Taliban.

Les conservateurs, avec l'appui de pratiquement toute la grande entreprise canadienne, appuient une plus grande participation canadienne dans les campagnes militaires des États-Unis et une plus grande intégration des armées canadienne et américaine.

Toutefois, la classe dirigeante canadienne, qui possède des différends marqués avec les États-Unis sur un grand nombre de questions de commerce, de territoire et de juridiction, ne voit cela nullement comme une voie à sens unique. Bien que l'élite canadienne soit prête à déployer des troupes des FAC en Afghanistan, libérant ainsi des soldats américains pouvant servir en Irak, et à accommoder Washington sur d'autres questions telles que le programme de défense antimissile, elle fait pression pour des concessions réciproques sur d'autres questions comme la revendication du Canada à sa souveraineté en Arctique.

À la grande surprise des médias, Harper décida de terminer sa première conférence de presse en tant que premier ministre en réaffirmant, sans qu'aucune question ne lui soit posée, les revendications territoriales du Canada à l'Arctique et à ses voies maritimes.

La valeur stratégique croissante de l'Arctique

L'été dernier, le gouvernement libéral s'était engagé dans une guerre de mots avec le Danemark au sujet de l'île Hans, un minuscule et désolé affleurement de roches et de glace près de la côte du Groenland. Il est maintenant évident qu'avec cet incident, le Capital canadien annonçait à ses rivaux qu'il établirait son autorité dans le Grand Nord avec plus de force.

Alors que les libéraux de Martin avaient exprimé le besoin d'une présence canadienne accrue dans l'Arctique afin de renforcer les droits du Canada, les conservateurs firent de la souveraineté canadienne en Arctique un enjeu majeur dans la campagne électorale. Les demandes pour une capacité militaire accrue des FAC en Arctique constituaient un volet important de la politique étrangère, de défense et de développement du Nord des conservateurs.

Pour tenir leur promesse d'un plus grand contrôle canadien de l'Arctique et de ses eaux, les conservateurs ont annoncé qu'ils planifiaient poster trois brise-glaces armés dans la région, construire une base sous-marine en eau profonde, déployer des avions téléguidés et établir un réseau de postes d'écoute sous-marins pour la surveillance de navires étrangers.

L'armée canadienne appuie fortement le rôle accru qu'on lui propose dans le Nord. Ce mois-ci, les FAC lanceront une «mission de souveraineté» dans l'Arctique canadien. Cinq patrouilles armées sur motoneige seront mobilisées avec la très manifeste intention de faire respecter l'autorité canadienne dans la région. Quoique relativement petite en nombre, la mobilisation a une signification symbolique et n'est considérée que comme un premier pas dans l'accroissement de la présence militaire dans la région. Avec des innovations en terme de coordination des communications et du transport militaire dans le Nord, les équipes commenceront par rendre fonctionnels les équipements et les installations qui ont été négligés, dans certains cas, des années durant.

Sous la ruée de la revendication de la souveraineté canadienne en Arctique se cachent des changements écologiques et géopolitiques : la combinaison du réchauffement de la planète et des frictions accrues entre les pays qui rivalisent pour les ressources et les avantages géopolitiques dans une économie capitaliste mondiale de plus en plus en concurrence.

Il y a de plus en plus de preuves que le processus du réchauffement de la planète a entraîné une fonte significative des calottes polaires. Bien que ce processus augmente la possibilité d'une catastrophe écologique, il est perçu par l'entreprise et le gouvernement comme une source de nouvelles occasions pour l'exploitation capitaliste.

En plus de la perspective d'un accès accru à de nouvelles sources d'approvisionnement en poisson et en ressources, particulièrement le pétrole et le gaz, le réchauffement des eaux de l'Arctique signifie la très concrète possibilité dans un avenir proche d'une voie navigable en Arctique, un passage nord-ouest, au moins pour la période d'été. Cela représenterait d'énormes économies pour les compagnies maritimes internationales qui pourraient ainsi raccourcir leurs trajets actuels de 6500 à 8000 kilomètres. Dans le cas des pétroliers géants de plus en plus massif et qui, ne pouvant pas emprunter le Canal de Panama, doivent passer au sud de l'Amérique du Sud, un passage au nord-ouest offrirait un avantage encore plus grand.

Pour ces raisons, ainsi que pour parer à toute allusion de Washington que le Canada ne fait pas de son mieux pour sécuriser les frontières de l'Amérique du Nord, la classe dirigeante canadienne voit le contrôle de l'Arctique comme le point central de ses ambitions économiques et géopolitiques. Le contrôle de l'Arctique nord-américain est perçu comme une avantage stratégique dont l'importance ne fera que croître pour le Canada dans ses relations avec ses principaux rivaux commerciaux et en particulier avec les États-Unis, qui est un joueur dans l'Arctique non seulement en vertu de son influence globale mais en raison de l'Alaska.

Le curieux défi de Harper

Tel que mentionné plus haut, Harper a surpris la presse lorsqu'il souleva, sans que rien dans l'actualité ne l'annonce, le conflit entre le Canada et les États-Unis sur l'Arctique lors de sa première conférence de presse en tant que premier ministre.

Le jour précédent, lors d'un forum universitaire à London, en Ontario, l'ambassadeur américain au Canada, David Wilkins, avait affirmé en réponse à une question, que Washington ne reconnaissait pas la prétention du Canada que le passage du Nord-Ouest était une voie maritime canadienne intérieure. La réponse de Wilkins était une réaffirmation classique de la position de longue date des États-Unis: «Il n'y a pas de raison de créer un problème qui n'existe pas. Nous ne reconnaissons pas les revendications canadiennes sur ces eaux.»

La déclaration de Harper sur cette question, bien qu'elle n'était que la position canadienne traditionnelle, était néanmoins extraordinaire à cause du moment et de sa rudesse. Rejetant l'affirmation de Wilkins, Harper a soutenu: «Nous avons des plans significatifs pour la défense nationale et pour la défense de notre souveraineté, y compris l'Arctique» et, insistant davantage, «Nous recevons notre mandat du peuple canadien, pas de l'ambassadeur des États-Unis.»

La presse a beaucoup commenté ce que signifiait la déclaration sensationnelle de Harper. Certains experts ont suggéré qu'il s'agissait là d'une tentative de Harper pour répliquer à la critique des libéraux et des sociaux-démocrates du Nouveau parti démocratique (NPD) selon laquelle son gouvernement était trop accommodant avec l'administration Bush. En tenant clairement tête à Washington sur cette question, il serait plus facile pour les conservateurs de se rapprocher des États-Unis dans d'autres domaines, du moins selon le raisonnement.

Il y a probablement une certaine vérité à ceci, tout comme pour l'affirmation que les États-Unis ne verraient pas nécessairement d'un mauvais oeil une présence militaire canadienne accrue en Arctique car, depuis longtemps, Washington se plaint que le Canada ne partage pas suffisamment les coûts du contrôle militaire du Nord.

Néanmoins, le conflit entre le Canada et les États-Unis au sujet de la juridiction de l'Arctique est réel et les enjeux en termes géopolitiques et monétaires sont substantiels. Et ceci n'est qu'un seul élément parmi un nombre grandissant de conflits entre le Canada et les États-Unis.

En tant qu'idéologue néo-conservateur et admirateur auto-proclamé du mouvement néo-conservateur américain, Harper est un ami politique de Georges W. Bush. Harper et son parti ont considéré que le précédent gouvernement libéral commettait une grande erreur en n'engageant pas la participation du Canada dans l'invasion de l'Irak, expliquant qu'aux yeux de l'administration Bush, le Canada perdait du crédit qui aurait pu être utile à l'élite canadienne pour résoudre des conflits commerciaux tels que celui du bois d'oeuvre et parce qu'ils croient que l'élite canadienne doit avoir une «place à table» dans la réorganisation du monde afin de protéger ses intérêts.

Harper a choisi l'un des plus énergiques partisans de la participation du Canada à la guerre en Irak, l'ancien investisseur de Bay Street et ministre des finances progressiste-conservateur, Michael Wilson, en tant que nouvel ambassadeur du Canada aux États-Unis. C'est incontestablement un signal à l'administration Bush que le nouveau gouvernement conservateur sera d'un plus grand soutien à la stratégie étrangère et géopolitique des États-Unis que son prédécesseur libéral.

Mais l'attitude de plus en plus agressive, militairement et économiquement, préconisée par les États-Unis pour compenser pour leur déclin économique et les propres intérêts prédateurs de la classe dirigeante canadienne écartent toute possibilité de solution facile aux frictions entre le Canada et les États-Unis.

En ce qui a trait à la résolution des questions de juridiction, il est évident que la question ne sera pas seulement décidée par les lois, si même elles interviennent dans le processus. Les deux pays se sont officiellement entendus pour ne pas s'entendre sur cette question dans un pacte signé en 1988. Officiellement, les États-Unis ne reconnaissent que la limite territoriale internationale de 12 miles marins, tandis que le Canada revendique la souveraineté sur toute la région arctique au nord de son territoire. En 1994, les deux pays ont ratifié la Convention sur la loi internationale des mers qui codifiait aussi l'existence d'une zone économique de 200 miles. Et bien que les Américains aient par le passé accepté de demander l'accord du Canada pour utiliser le passage, des rapports firent surface durant les élections canadiennes selon lesquels un sous-marin américain aurait été déployé en Arctique sans avertissement aux autorités canadiennes. Il semble alors inévitable que la tension au sujet du contrôle de l'Arctique se prolonge et elle jouera probablement un rôle croissant dans les manoeuvres politiques et les frictions entre les deux pays.




 

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