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Importantes manifestations des étudiants en France: les syndicats à la rescousse de Villepin

Antoine Lerougetel
24 mars 2006

Les chefs des cinq grands syndicats français se sont rencontrés jeudi après-midi et ont publié une déclaration disant qu'ils acceptaient l'invitation du premier ministre Dominique de Villepin de discuter du CPE selon les conditions du gouvernement. Ils ont laissé tomber leur demande que de Villepin retire le contrat première embauche, une nouvelle loi qui attaque les conditions de travail des jeunes travailleurs.

La décision a été prise par les chefs des cinq groupes syndicaux (Confédération Générale du Travail (CGT), Confédération française démocratique du travail (CFDT), Force ouvrière (FO), ainsi que la CFTC et la CFE-CGC) alors que de 200 000 à 300 000 étudiants manifestaient à Paris et dans toutes les grandes villes, exigeant le retrait du CPE.

On croit que de larges sections de l'industrie répondront aux appels de grève pour mardi prochain, jour de mobilisation contre la loi, et l'opinion publique soutient à fond la lutte des jeunes. Un sondage publié jeudi montrait que 66 pour cent étaient en faveur du retrait du CPE.

Dans sa lettre envoyée jeudi matin aux organisations syndicales et étudiantes, de Villepin n'a pas déclaré qu'il retirerait le CPE. Il a tout simplement affirmé qu'il proposait de discuter «sans a priori» «les mesures propres à lever les inquiétudes et les interrogations qui se sont exprimés ces dernières semaines au sujet du contrat première embauche». Ce texte ne vaut pas le papier sur lequel il est écrit: le premier ministre a été catégorique. Il ne changera pas les principales dispositions du CPE, le contrat de travail qui s'appliquera désormais aux travailleurs de moins de 26 ans. Le CPE stipule que les employeurs peuvent congédier un employé sans justification pour une durée de deux ans. Il a, à ce sujet, déclaré trois jours plus tôt que ces éléments ne pouvaient être retirés, suspendus ou dénaturés.

Le CPE vient à la suite d'un contrat similaire, le CNE (contrat nouvelle embauche), qui concerne les travailleurs de tous âges d'entreprises de moins de 20 travailleurs, et qui n'a été contesté d'aucune façon par les syndicats. Ces deux contrats sont des pas de plus vers la destruction de toute sécurité d'emploi pour tous les travailleurs et ils annulent la législation du travail qui garantissait quelques conditions minimales pour les travailleurs français depuis la Seconde Guerre mondiale.

La détermination des chefs syndicaux à isoler les étudiants était déjà mise en évidence par leur refus, lundi, d'accéder à leurs demandes, suite aux immenses manifestations de 1,5 million de personnes du 18 mars, de se joindre à eux dans une grève nationale jeudi. Les chefs syndicaux ont reporté la journée d'action au 28 mars, espérant que le mouvement s'épuiserait et serait enterré par les vacances débutant neuf jours plus tard dans la région de Paris.

Bruno Jullard, chef de la principale organisation étudiante universitaire, a déclaré : «Nous continuons d'affirmer qu'il y a un préalable pour se réunir, c'est le retrait du CPE.» Toutefois, Bernard Thibault, chef de la plus grande confédération syndicale dominée par les staliniens, la CGT, a dit aux médias : «L'essentiel est que le gouvernement dialogue avec toutes les organisations impliquées dans le mouvement: nous avons insisté pour qu'il y ait des procédures qui permettent à chacun d'être entendu.»

François Chérèque, secrétaire du CFDT qui est près du Parti socialiste, a déclaré : «On va rencontrer le premier ministre et lui expliquer pour la première fois de vive voix pourquoi on est contre le CPE et pourquoi on lui demande de le retirer.»

Il n'a pas expliqué par contre pourquoi un groupe de bureaucrates syndicaux serait plus persuasif que 1,5 million de personnes dans la rue et 66 pour cent du public. Les syndicats suivent la ligne du Parti socialiste et du Parti communiste, qui ont imploré de Villepin d'agir de façon responsable. L'ex-premier ministre du Parti socialiste et chef de la campagne de gauche contre le référendum européen, Laurence Fabius, a fait appel jeudi au président Jacques Chirac et au chef du parti de droite UMP et ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy, pour faire entendre raison à Villepin.

Au lieu de chercher à renforcer le mouvement des jeunes et des travailleurs contre le CPE et de le transformer en une campagne visant à forcer la démission du gouvernement en entier, les chefs syndicaux offrent leurs services à de Villepin afin d'appuyer ce gouvernement réactionnaire gaulliste, comme ils l'ont fait lors de précédentes périodes de crise alors que la masse de la classe ouvrière et de la jeunesse était descendue dans la rue pour se défendre contre les attaques sur ses droits et ses besoins fondamentaux.

Des dizaines de milliers d'universitaires et de collégiens se sont mobilisés à travers la France contre le CPE au cours des manifestations de jeudi.

Les syndicats étudiants appelèrent à une convergence des étudiants à Paris pour une manifestation centralisée. Des trains remplis d'étudiants en provenance de toutes les provinces entrèrent à flots dans Paris, se donnant comme point de ralliement la Place d'Italie, qui se remplit au cours de la matinée jusqu'à ce que la marche quitte pour les Invalides à 14:30 et atteigne 23 000 participants. Une importante délégation arriva de Lyon où la SNCF (Société Nationale des Chemins de Fer) avait offert des billets aller-retour à Paris à prix réduit de 50 euros tout en avertissant qu'elle n'accepterait pas l'envahissement des trains pour obtenir le passage gratuit.

3000 policiers ont été déployés dans Paris et ont participé à des luttes impliquant de 200 à 300 jeunes à l'Esplanade des Invalides à la fin de la manifestation. Des voitures ont été brûlées et un commerce incendié. Selon les rapports de la presse, la police avait reçu des «ordres clairs et fermes» afin d'arrêter les gens soupçonnés d'actes de violence et d'autres incidents.

Les journalistes du WSWS à Paris ont remarqué la quasi absence de travailleurs adultes: une petite délégation d'enseignants marchait derrière une banderole de la Fédération syndicale unitaire (FSU), la plus importante organisation syndicale dans le secteur de l'éducation, et quelques autres drapeaux syndicaux. Mais comme à Amiens, où environ 3000 jeunes ont marché, les étudiants ont à toutes fins pratiques été abandonnés par les syndicats. Vers la tête de la manifestation à Amiens, un étudiant brandissait, isolé, un drapeau du CGT et un peu plus bas, on pouvait voir un drapeau de FO. En tête de la marche, on trouvait une longue bannière sur laquelle il était inscrit : «Retirez le CPE ­ Contre l'insécurité de l'emploi ­ Pour de véritables emplois».

La très grande majorité des jeunes ne s'identifiait pas avec une affiliation syndicale ou politique et, clairement, était venu spontanément en groupe de leur lycée et de leur université ou encore avec des amis. Il n'y avait pas de slogans politiques, seulement la demande insistante de retirer le CPE.

Il est significatif qu'aucun parti de l'extrême gauche, que ce soit la LCR (Ligue communiste révolutionnaire), LO (Lutte ouvrière) ou le PT (Parti des travailleurs) n'a appelé à la démission du gouvernement. Ils se sont restreints à appeler au retrait du CPE, donnant ainsi tout l'espace nécessaire au gouvernement et aux bureaucraties syndicales pour manoeuvrer face au mouvement anti-CPE.

Les jeunes et les travailleurs ne peuvent avoir aucune confiance dans ces organisations qui défendent les intérêts du capitalisme français cherchant à maintenir sa compétitivité face à ses rivaux dans une économie mondialisée. Ils doivent adopter une perspective qui unira la classe ouvrière mondiale contre le système de profit.

Le WSWS lutte pour la construction d'un nouveau parti en France et internationalement basé sur une perspective et un programme internationalistes et socialistes, indépendants de tous les partis capitalistes et des soi-disant organisations de la gauche, pour que la richesse et les ressources du monde deviennent propriété publique et soient utilisées pour la satisfaction des besoins humains et non pour remplir les poches d'une infime minorité.