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France: Des travailleurs aéroportuaires licenciés dans une campagne anti-musulmane

Par Pierre Mabut et Antoine Lerougetel
15 novembre 2006

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Depuis la fin des vacances d’été, au moins 70 travailleurs de l’aéroport parisien de Roissy ont perdu leur badge d’habilitation à la zone sécurisée, et donc leur travail, du fait qu’ils sont musulmans. Ce chiffre est donné par la CFDT (Confédération française démocratique du travail), proche du Parti socialiste, qui avec d’autres syndicats a porté plainte auprès du procureur pour discrimination. Certains de ces travailleurs sont des délégués syndicaux élus.

Le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy a justifié le retrait des badges de 43 bagagistes, tous musulmans, par Jacques Lebrot, sous-préfet chargé de zone aéroportuaire de Roissy, dans un discours fait à la Sorbonne le 21 octobre. Il a dit, « Je ne peux pas accepter que des gens qui ont une pratique radicale travaillent sur une plateforme aéroportuaire. Je préfère qu’on ait le risque d’un contentieux parce qu’on a été trop sévère, plutôt qu’on se retrouve dans un drame parce qu’on n’a pas été assez sévère. »

Il a ajouté qu’il était de son « devoir de veiller à ce qu’ils n’aient ni de près ni de loin de liens avec des organisations radicales …. Peut-être qu’on s’est trompé », mais dans ce cas, « qu’ils fassent valoir leurs droits devant les tribunaux ». Cette attitude indique l’intention de l’Etat français de procéder à des victimisations à volonté au nom de la « guerre contre le terrorisme ».

La nature arbitraire du retrait des badges de ces travailleurs a été mise en avant le 7 novembre par les référés des huit employés de Roissy, examinés par le juge des référés de Bobigny. Georges Holleaux, l’avocat du préfet de Seine-Saint-Denis, a indiqué que pour deux des huit employés « il a été décidé de revenir sur leur retrait de badge ».

Le juge doit aussi examiner les demandes de sept salariés d’avoir accès à leur dossier et une deuxième demande de « violation de la présomption d’innocence » y a été ajoutée.

Me Moutet, l’avocat de quelques-uns des salariés, a fait remarquer qu’aucune procédure n’avait été lancée contre les travailleurs auxquels on avait retiré le badge. Il a de plus confirmé que « sept lieux de culte islamiques clandestins et illégaux » avaient été fermés dans les aéroports de Roissy et d’Orly.

Sarkozy prétend avoir des « des éléments précis » pour étayer ses déclarations de « liens avec le terrorisme », mais ne fournit pas de preuves. Pour lui dans sa « guerre contre le terrorisme », les accusés sont coupables jusqu’à ce que leur innocence ait été prouvée. Son responsable local de la police en charge de la sécurité aéroportuaire, Jacques Lebrot, a défendu la chasse aux sorcières contre les musulmans, en mettant en avant le « risque terroriste ». La lettre envoyée aux victimes est kafkaïenne : « Considérant que les observations de Monsieur [suivi du nom du bagagiste] n’ont pas été de nature à apporter la preuve d’un comportement insusceptible de porter atteinte à la sûreté aéroportuaire » [italiques ajoutés] cela s’est avéré suffisant pour licencier le travailleur. Il est demandé à la victime de prouver la non-existence de quelque chose.

L’avocat Moutet a clairement fait savoir que les interrogatoires de la police avaient été centrés sur les croyances religieuses de ces personnes : « Etes-vous de confession musulmane ? » — « Pratiquez-vous assidûment votre religion ? » — « Connaissez-vous tel ou tel imam ? » — « Fréquentez-vous telle ou telle mosquée ? » — « Pourquoi portez-vous une barbe ? » D’autres questions portaient sur les voyages à l’étranger, notamment au Pakistan. Jacques Lebrot a déclaré que « quelqu’un qui va passer des vacances plusieurs fois au Pakistan, cela nous pose des questions ».

Depuis janvier 2002, suite aux attaques du 11 septembre aux Etats-Unis, la sécurité aéroportuaire a été renforcée. Les badges d’habilitation aux zones sécurisées sont délivrés par le préfet qui rejette les personnes dont « la moralité et le comportement ne présentent pas les garanties nécessaires en matière de sécurité publique ». Le tri ne prend pas seulement en compte le casier judiciaire du travailleur, mais repose aussi sur les fichiers de la police dont l’exactitude n’a jamais été prouvée.

Dès février 2002, une grande campagne de contrôle des travailleurs habilités à pénétrer dans la zone sécurisée (bagagistes, personnel de sécurité) avait été effectuée et avait eu pour conséquence le licenciement de centaines de travailleurs du fait du retrait des badges.

Une représentante de la CGT (Confédération générale du travail) a dit : « Après des années de travail sur l’aéroport, ces personnes se retrouvaient avec des enquêtes sur le dos. Beaucoup avaient un passé de jeune de cité, fait de “conneries” plus ou moins graves, mais justement ce travail leur avait permis de rompre avec ce passé, de se stabiliser. » Elle a ajouté que la CGT avait découvert que les fichiers de la police faisaient mention de poursuites qui avaient été réfutées et même d’arrestations pour lesquelles il n’y avait aucun chef d’accusation.

Didier Frassin, représentant la section locale de la CGT a dit à la presse que pour les 80 000 travailleurs de l’aéroport, source la plus importante d’emplois de la région parisienne, « L’habilitation peut à tout moment être enlevée. Les badges se transforment ainsi en instrument de contrôle. » Il a dit que c’était comme « une épée de Damoclès suspendue au-dessus de leur tête ». Le moindre accrochage avec la police, même hors de l’aéroport, peut entraîner la perte du badge. « Après une grève avec occupation du parking avions, le préfet a puni les délégués syndicaux de 8 jours de retrait d’agrément, sans salaire… C’est une sorte de droit disciplinaire aux mains du préfet », a-t-il ajouté.

Dans une déclaration, la section des travailleurs aéroportuaires de la confédération syndicale Sud a dit, « le risque terroriste est utilisé pour stigmatiser et discriminer de façon insupportable des salariés d’origine maghrébine, pratiquants religieux ou non, en leur refusant l’accès aéroportuaire en zone réservée ».

Plusieurs travailleurs se sont tournés vers le MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples) qui a rapporté que depuis août 2006, près de 100 personnes avaient été touchées, et qu’après avoir examiné attentivement les motifs du préfet et les informations concernant cette affaire, « le MRAP craint que l’arbitraire et la discrimination n’aient prévalu dans cette prise de décision ».

La publication en avril 2006 du livre de Philippe de Villiers Les Mosquées de Roissy a donné le ton au programme raciste du gouvernement français. De Villiers est le dirigeant du MPF (Mouvement pour la France) d’extrême-droite qui concurrence le Front national de Jean-Marie Le Pen et l’UMP au pouvoir (Union pour un mouvement populaire) de Nicolas Sarkozy pour conquérir le vote anti-immigrés. Dans son livre, Philippe de Villiers déclare que le premier ministre Dominique de Villepin avait reçu un nouveau rapport selon lequel des gens qui présentent des risques terroristes pouvaient circuler librement à proximité des avions.

Dans un entretien télévisé le 16 juillet dernier, de Villiers a déclaré que l’islam était la pépinière du terrorisme. Le titre du livre a attiré l’attention sur l’existence alléguée de dizaines de mosquées clandestines à l’aéroport de Roissy qui n’étaient en fait rien de plus que des tapis de prière ici et là entre deux vestiaires. De Villiers, aristocrate catholique, exige que la foi catholique soit inscrite dans la Constitution européenne et a déclaré que « L’islam n’était pas compatible avec la République [française]. »

Philippe de Villiers est allé plus loin dans ses attaques contre les musulmans dans un entretien au Figaro le 2 novembre dans lequel il a déclaré la nécessité de « d’interdire le voile islamique dans tous les lieux publics ». Cette déclaration cherche à étendre la loi déjà existante interdisant le voile dans les établissements scolaires et qui avait été promulguée par le gouvernement de Chirac en 2004. Cette loi avait reçu le soutien du Parti socialiste et des partis « d’extrême-gauche » comme Lutte ouvrière et avait encouragé l’attitude visant à faire des immigrés les boucs émissaires de la crise sociale dans les cités.

Le site Internet du Parti socialiste ne fait aucune mention des injustices flagrantes de Roissy et aucun membre en vue du parti n’a fait de déclaration sur ce problème qui affecte les chances de trouver du travail des ouvriers de la région de Seine-Saint-Denis, une des plus pauvres et à très large population immigrée, située au nord de Paris.

Les syndicats CGT et CFDT ont porté l’affaire devant les tribunaux et promirent une « action plus large » après la réunion de tous les syndicats aéroportuaires de Roissy le 7 novembre. Les syndicats font traîner les choses au tribunal et remettent à plus tard tout mouvement de grève et confrontation avec le gouvernement. Il faudrait mobiliser la puissance des 80 000 travailleurs de Roissy et de ceux de la région parisienne contre ces tentatives de représailles et d’intimidation qui ne s’exercent pas seulement à l’encontre des travailleurs immigrés, mais aussi de larges couches de la classe ouvrière. Les syndicats ont une longue histoire de collaboration avec le gouvernement, dans le but d’empêcher que ne se développe une opposition politique de masse contre les attaques gouvernementales sur les droits démocratiques et sociaux et on ne peut donc pas compter sur eux pour mener une telle lutte.

Le gouvernement et l’UMP jouent de plus en plus la carte du racisme dans cette période précédent les élections présidentielles d’avril prochain, en mettant dans le même sac « guerre contre le terrorisme », « menace islamique » et immigration comme éléments représentant une menace pour les « valeurs françaises ».

La laïcité qui est la reconnaissance du droit des citoyens à avoir leurs croyances religieuses, et par là même que le gouvernement n’exerce aucun pouvoir religieux et les églises aucun pouvoir politique, a été dénaturée par l’establishment politique français, de gauche comme de droite, qui fait appel au nationalisme et au racisme pour justifier l’intervention de l’Etat contre les minorités religieuses et plus particulièrement contre les musulmans.

(Article original anglais paru le 11 novembre 2006)

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