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Le gouvernement canadien augmente ses pouvoirs répressifs au nom de la lutte contre le crime

Par François Tremblay
16 novembre 2006

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Tout comme le gouvernement Harper invoque la chasse aux « terroristes talibans » pour justifier une intervention militaire de type néo-colonial en Afghanistan, c’est sous le couvert de la lutte « contre le crime » qu’il cherche à augmenter les pouvoirs répressifs de l’État au pays.

Et de même que des droits démocratiques élémentaires (protection contre la détention arbitraire, obligation de divulguer la preuve) sont foulés aux pieds au nom de la « guerre au terrorisme », ce sont des principes légaux de longue date tels que la présomption d’innocence et l’indépendance du système judiciaire envers le pouvoir exécutif qui sont les premières victimes de la campagne des conservateurs contre les soi-disant « criminels violents ».

Grossissant la présence réelle du crime dans la société canadienne, les conservateurs de Harper ont annoncé une série de modifications au Code criminel qui vont accroître la sévérité et la durée des peines et dont le seul effet prévisible est d’augmenter la population carcérale.

Le plus récent des changements annoncés concerne un durcissement de la Loi sur les jeunes contrevenants afin d’y inclure des sentences plus sévères pour les mineurs. « Les jeunes doivent comprendre que lorsqu'ils commettent des crimes violents contre d'autres personnes, ils doivent entièrement être tenus responsables de leurs actes », a déclaré fin octobre le ministre de la Justice, Vic Toews.

Sans dévoiler tous les détails du projet gouvernemental, le ministre a évoqué la possibilité que des jeunes trouvés coupables de crimes aient à purger leurs peines en prison plutôt qu’en centre de réhabilitation. « Quand des jeunes commettent à répétition des actes criminels », a fait savoir Toews,  « nous ne devrions pas être gênés d’utiliser nos ressources carcérales ».  Ces nouvelles dispositions pourraient toucher les enfants âgés de 12 ans.

Quelques jours auparavant, c’est le premier ministre Stephen Harper lui-même qui annonçait devant un parterre de policiers à Toronto une autre modification au Code criminel : les gens coupables d’une troisième infraction avec violence seraient automatiquement qualifiés de « délinquants dangereux » et pourraient devoir passer le reste de leurs jours sous les verrous.

La loi prévoyait jusqu’ici la possibilité de faire déclarer un individu « délinquant dangereux » après toute infraction impliquant des « sévices graves contre la personne », telle que : agression sexuelle, menace à une tierce personne ou avoir infligé des lésions corporelles. 

Mais elle établissait une distinction nette entre délinquants à contrôler et délinquants dangereux, les premiers étant soumis au contrôle des services correctionnels durant une période maximale de dix ans après la fin de la sentence, tandis que les seconds étaient emprisonnés durant une période indéterminée – jusqu’à ce qu’ils ne soient plus considérés dangereux pour la société.

Des précédents existent pour la première catégorie : sur la base de rapports produits par des experts psychiatres, les juges n’hésitent pas à déclarer un individu délinquant à contrôler. Ce n’est pas la même chose pour les délinquants dangereux, les conséquences étant beaucoup plus lourdes (la prison à vie). Les demandes pour faire déclarer un individu délinquant dangereux ont été essentiellement limitées jusqu’ici aux cas d’agression sexuelle par un psychopathe.

Le changement proposé aurait pour effet de déclarer automatiquement délinquant dangereux un individu coupable de vol à main armée par exemple et qui en est à son troisième délit. Ce sera à lui et à son avocat de démontrer qu’il n’appartient pas à cette catégorie sous peine de risquer la prison à vie. Cela représente un renversement significatif du fardeau de la preuve : c’était auparavant à la Couronne de prouver qu’un accusé représentait une telle menace à la société qu’il devait être déclaré délinquant dangereux.

Le président de l’Association canadienne des policiers, Tony Cannavino, a chaudement accueilli cette mesure. « Nous pouvons vous montrer des douzaines de personnes à qui cela pourrait s’appliquer dans toutes les juridictions », a-t-il déclaré avec satisfaction. En effet, selon le projet de loi des conservateurs, seule la troisième infraction doit entrer dans la catégorie des crimes violents. Les deux premières peuvent avoir été comparativement mineures en autant qu’elles étaient passibles d’une sentence de dix ans de prison et que leur auteur ait écopé de deux ans.  

Un autre projet de loi du gouvernement conservateur minoritaire visait à éliminer la possibilité de peines d’emprisonnement avec sursis (détention à domicile) pour les infractions passibles d’une sentence maximale de dix ans.

La promotion de cette loi avait été faite avec un cynisme sans pareil, le ministre de la Justice affirmant qu’elle visait uniquement les crimes violents. Or, tant le vol d’un bien d’une valeur supérieure à 5000 $, que le harcèlement ou le simple fait de tenter d’embrasser une personne (une forme d’agression sexuelle) sont des infractions passibles de dix ans d’emprisonnement. Lorsque le code prévoit une sentence maximale de dix ans, cela signifie qu’il n’y a pas de minimum prévu. La personne visée peut recevoir une amende ou une simple réprimande, ce qui n’est pas si rare, la peine sévère de dix ans s’appliquant « au pire des criminels pour le pire des crimes ».

Même si les partis d’opposition ont largement embrassé les plans conservateurs visant à faire régner « l’ordre et la loi », ils ont dans ce cas-ci défait le projet de loi conservateur à cause de son caractère si grossièrement démagogique. 

Les peines minimales obligatoires pour crimes commis avec arme à feu constituent un autre volet des mesures annoncées par les conservateurs. Les modifications auront pour effet de quintupler la durée de l’emprisonnement pour une première infraction (de 1 à 5 ans), plus que doubler celle pour une seconde infraction (de 3 à 7 ans) et porter la peine pour toute autre récidive à un minimum de 10 ans. Ces années de prison s’ajoutent à la peine pour l’infraction principale, par exemple le vol ou la menace commise avec l’arme à feu, sans nécessairement qu’elle ait été utilisée ou même exhibée.

Ces nouvelles dispositions entraîneraient une augmentation de 300 à 400 détenus et coûteraient environ 250 millions de dollars par année au trésor fédéral, privant d’autant d’argent les programmes de prévention du crime. Pourtant, le ministère de la Justice a lui-même émis des doutes sur le caractère préventif des peines minimales accrues, écrivant dans un document d’analyse cité en août dernier par le quotidien La Presse que « ces peines n’ont pas d’effet dissuasif spécial ou de conséquences éducatives et elles ne sont pas plus efficaces que des peines plus légères pour contrer le crime. » 

Il est également question, pour les infractions impliquant une arme à feu, d’éliminer la possibilité pour le juge d’octroyer une liberté sous caution, ce qui signifie que l’accusé devra demeurer en prison jusqu’à son procès. Cela constituerait un renversement du principe : liberté d’abord, détention au besoin (c’était jusqu’ici à la couronne de démontrer que la détention était nécessaire).

Les conservateurs proposent aussi le rehaussement de l’âge du consentement sexuel. Prenant la parole lors d’un événement organisé en mémoire de Holly Jones, une jeune fille victime d’un prédateur sexuel et retrouvée morte en mai 2003 à l’âge de 10 ans, le ministre Toews a déclaré : « En augmentant de deux ans l'âge de protection, le gouvernement cible les prédateurs sexuels qui s'en prennent aux personnes les plus vulnérables de la société. » 

En fait, le gouvernement utilise le pire crime commis par un psychopathe pour introduire une modification au code criminel qui n’a rien à voir avec le type d’individu ni avec la situation qu’il dénonce, mais tout à voir avec les groupes religieux moralisateurs de droite qui forment une base importante du parti conservateur. Une personne accusée d’agression sexuelle peut dire pour sa défense que la victime alléguée était consentante, mais pas si celle-ci est une adolescente de moins de 14 ans. Le projet de loi va augmenter cet âge à 16 ans. Holly Jones avait 10 ans et son agresseur 35 : le consentement n’aurait pu être invoqué (la jeune fille a été assassinée) ni n’aurait été recevable vu l’âge de la jeune fille.

Quant à la supposée vague de criminalité invoquée sans cesse par Ottawa, elle est démentie par de nombreuses études qui indiquent une diminution constante du crime, particulièrement chez les jeunes.

Selon un rapport produit ce juillet par Statistiques Canada: « Le taux national de criminalité du Canada, qui est fondé sur les affaires déclarées à la police, a chuté de 5 pour cent l'année dernière… ». Le rapport conclut que depuis 1999, le taux global de crimes avec violence – le principal cheval de bataille des conservateurs – n'a pas changé, malgré une augmentation au cours de l’année 2005. Toujours selon les donnés du rapport, chez les jeunes, qui sont une cible répétée des conservateurs, le taux de criminalité a chuté de 6 pour cent en 2005, une deuxième année consécutive de diminution. Les vols qualifiés commis à l'aide d'une arme à feu – autre refrain des conservateurs – ont continué de régresser, affichant une baisse de 5 pour cent l'an dernier. Les statistiques indiquent une augmentation pour certains types de crime, mais pas une explosion du crime qui nécessiterait des mesures exceptionnelles. Au contraire, le taux de criminalité, même pour les cas violents, demeure en deçà des sommets historiques du début des années 90 et continue de diminuer.

Le gouvernement Harper prétend que l’ensemble des changements annoncés ont pour but de « maintenir la sécurité de nos rues et de nos collectivités ». Leur véritable but est de semer un climat de peur justifiant la mise en place de mesures policières et judiciaires répressives. Le ministre fédéral de la Sécurité publique, Stockwell Day, a annoncé par exemple l’embauche de mille nouveaux agents de la GRC (police fédérale) ainsi que la réfection de l’École nationale de la GRC pour qu’elle produise un plus grand nombre de policiers. Le gouvernement du Québec prévoit de son côté la construction de cinq nouveaux centres de détention rien que pour faire face à la surpopulation aiguë dans les prisons existantes.

Les conservateurs cherchent à bannir du discours politique la conception que le crime a des causes sociales, conception qui à une époque précédente avait nourri une approche basée sur la réhabilitation plutôt que la punition. Mais la classe dirigeante est engagée depuis la fin des années 70 dans une offensive sans précédent sur les emplois et le niveau de vie de la majorité travailleuse. Une telle politique  – baisses massives de taxes pour les riches et coupes à blanc dans les programmes sociaux au pays, militarisme et néo-colonialisme à l’étranger – alimente une colère grandissante parmi de larges couches de la population.

N’ayant aucune solution progressiste à la profonde crise générée par un système axé sur la recherche du profit individuel, le gouvernement Harper cherche à détourner le mécontentement populaire en présentant les problèmes sociaux chroniques comme le résultat du « mal » incarné par les criminels endurcis. Sans véritable appui populaire, ce gouvernement minoritaire de droite se cherche une base sociale parmi les couches les plus réactionnaires de la société en courtisant les forces de police et en faisant appel aux préjugés des éléments sociaux les plus arriérés.

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