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WSWS : Nouvelles et analyses : Asie

Le ministère de la Défense sri lankais impose une censure officieuse

Par Nanda Wickremasinghe
16 octobre 2006

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En pleine intensification de la guerre civile, le ministère de la Défense du Sri Lanka a entrepris d’appliquer de nouvelles et sévères directives visant les médias et revenant en fait à une censure des reportages couvrant les activités de l’armée. Dans une lettre adressée le 28 septembre à l’ensemble des nouvelles organisations médiatiques, le secrétaire à la Défense, Gotabhaya Rajapakse exigea que tous les reportages soient soumis au Centre médiatique pour la Sécurité nationale (MCNS) pour vérification.

La directive stipule que « Toute information obtenue par votre organisation et par ses propres sources en matière de sécurité nationale et de défense devrait faire l’objet d’un examen et être confirmée par le MCNS afin de garantir qu’une information correcte soit publiée, télévisée ou radiodiffusée. » Le secrétaire à la Défense est le frère du président Mahinda Rajapakse qui est le ministre de la Défense et le commandant en chef.

La lettre met l’accent sur le fait que la mesure était destinée à « garantir que toutes les informations ayant trait à la sécurité et à la défense nationale soient diffusées rapidement et exactement à la presse régionale et internationale et sans avoir subi la censure ». Affirmer que l’armée n’essaye pas de censurer les médias est absurde. Le secrétaire à la Défense s’inquiète de ce que même la couverture restreinte de la guerre par la presse de Colombo ait donné un aperçu de la nature brutale de la guerre initiée par le gouvernement.

Dans le passé, les présidents sri lankais avaient eu recours aux mesures d’urgence draconiennes déjà existantes et ayant été appliquées pendant une bonne partie de ces trois dernières décennies pour imposer une censure contre la presse. Toutefois, suite à l’accord de cessez-le-feu de 2002, l’état d’urgence avait été levé. L’ancien président, Chandrika Kumaratunga profita de la catastrophe causée en décembre 2004 par le tsunami pour réinstaurer l’état d’urgence, mais sans prévoir les dispositions relatives à la censure.

Bien que l’état d’urgence soit instauré et qu’il ait été volontiers approuvé tous les mois par le parlement, le président Rajapakse était peu disposé à user de son pouvoir pour imposer la censure. Confronté à une vaste hostilité populaire contre la reprise de la guerre, il s’est efforcé de se présenter comme s’engageant pour la paix et la démocratie. En conséquence, Rajapakse et son frère cherchent à employer des méthodes moins directes.

L’armée a réagi avec beaucoup de nervosité aux reportages concernant ses atrocités. Les organisations internationales de défense des droits de l’homme ont exprimé leurs inquiétudes à la vue du nombre croissant d’enlèvements et d’assassinats de civils auxquels l’armée et ses alliés paramilitaires ont été mêlés. Les bombardements aveugles des territoires sous contrôle du LTTE (Tigres de libération de l’Eelam tamoul) ont entraîné un nombre croissant de victimes civiles y compris, en août dernier, la mort d’un grand nombre d’étudiants à Mullaittivu. A cette occasion, l’armée a dénoncé à cor et à cri les médias les accusant d’avoir propagé « les mensonges du LTTE » en insistant pour dire que les étudiants étaient des « enfants soldats ».

Le porte-parole du gouvernement en matière de défense, Keheliya Rambukwella, qui est à la tête du MCNS, a rencontré le 28 septembre les directeurs de la presse pour leur expliquer la nouvelle directive. Il demanda aux médias « de se procurer des informations de presse liées à la sécurité nationale et à la défense par le biais du MCNS ou de fonctionnaires autorisés ». Une intervention était devenue nécessaire, a-t-il dit, « après la publication dernièrement de comptes-rendus de presse contradictoires ».

Le lendemain, c’étaient les porte-parole gouvernementaux qui étaient pris dans des informations contradictoires. La police avait interpellé un jeune Tamoul, P. Kantharajah, alors qu’il était sur le point de recevoir une rançon du fils d’un homme d’affaires, S. Kuamaraswamy, qui avait été enlevé la veille par une bande armée. Le directeur du MCNS, Lakshman Hullugalle, annonça que l’homme interpellé était un membre du LTTE. Il se trouva que Kantharajah était un membre du groupe Karuna, une fraction dissidente du LTTE qui collabore à présent étroitement avec l’armée. L’homme arrêté a admis faire partie du groupe Karuna qui l’a d’ailleurs aussi reconnu comme étant un de ses membres. Loin d’être une source de vérité, le MCNS fabrique la propagande dans le but de renforcer le soutien à la guerre.

Aucun des organes de presse n’a élevé d’objection à ces nouvelles mesures. La seule critique formulée par le Sunday Times était qu’il existait un contrôle pour la presse régionale et un autre pour la presse internationale. Il est à supposer que si l’armée censurait tous les organes de presse de la même manière, ce journal renoncerait à sa critique. Aucun des principaux partis politiques, qui tous soutiennent l’action de l’armée contre le LTTE, n’a critiqué la directive ou défendu la liberté de la presse.

La récente directive représente une mesure supplémentaire dans la campagne gouvernementale pour restreindre et intimider la presse. Le 16 août, en s’adressant aux patrons de presse, le président Rajapakse a exigé « des articles responsables » sur les questions ayant trait à la sécurité nationale et au soutien à la guerre. La réunion avait été réclamée après que les chefs de l’armée se soient plaints de ce que les médias avaient « aidé les terroristes du LTTE » en négligeant de suivre à la lettre la ligne avancée par les porte-parole du ministère de la Défense.

Une violente campagne a été organisée par des voyous armés associés à l’armée ou à des groupes paramilitaires. Un nombre de journalistes et d’employés de la presse ont été assassinés et plusieurs attaques ont été perpétrées à l’encontre d’organisations médiatiques tamoules. Le 29 août, N. Kuruparan, directeur de l’information de la radio « Sooriyan FM » et bien connu pour ses reportages sur les violations des droits de l’homme, fut enlevé. Il fut relâché le lendemain après que des protestations aient eu lieu au plan national et international.

La tentative de museler les médias fait partie d’une campagne plus vaste en vue de supprimer les droits démocratiques. Le 6 octobre, le parlement a une nouvelle fois ratifié une ordonnance essentielle qui avait déjà été imposée en août, et visant à interdire la grève dans toute industrie « essentielle ». L’interdiction s’applique également à quiconque « incite » et « encourage » les travailleurs à faire grève. Des individus ou des syndicats ne respectant pas cette ordonnance seront lourdement réprimés, y compris par la prison.

Le gouvernement Rajapakse craint le profond mécontentement qui règne au sein de la population laborieuse en raison de la guerre et de la détérioration des conditions de vie. Face à cet état de fait sa seule réponse est : encore plus de mesures répressives.

(Article original anglais paru le 11 octobre 2006)

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