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Campagne anti-islam en France : l’affaire Redeker dans son contexte

Par Stefan Steinberg
20 octobre 2006

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La campagne politique visant à attiser les sentiments anti-islamiques en France a atteint un nouveau pic avec le débat féroce autour de l’article écrit par un professeur de philosophie, Robert Redeker.

La majorité des médias français et bon nombre d’hommes politiques en vue ont eu tôt fait de décrire la polémique faisant suite aux attaques au vitriol de Redeker sur l’islam comme une querelle sur la liberté d’expression, la liberté de la presse, la défense des principes démocratiques de la République française et des droits de l’Homme. En réalité, l’article de Redeker était une provocation délibérée visant à mobiliser les forces les plus droitières en France comme à l’étranger.

Le 19 septembre, quelques jours avant le début du ramadan, Redeker publiait un article dans le Figaro intitulé « Face aux intimidations islamistes, que doit faire le monde libre ? »

Dans cet article, il qualifiait le prophète Mahomet de « chef de guerre impitoyable, pillard, massacreur de juifs et polygame ». Il disait du Coran que c’est « un livre d’inouïe violence » et l’islam une religion  d’« exaltation de la violence ». Comparant islam et christianisme, Redeker a écrit « Jésus est un maître d’amour, Mahomet un maître de haine. »

Redeker a ensuite déclaré que l’islam essayait « d’imposer à l’Europe ses règles », en demandant par exemple que les piscines aménagent des horaires spéciaux pour les femmes et en interdisant les caricatures de Mahomet.

« L’islam tente d’obliger l’Europe à se plier à sa vision de l’homme. Comme jadis avec le communisme, l’Occident se retrouve sous surveillance idéologique », écrit-il.

Suite à la publication de cet article, Redeker a reçu des menaces de mort sur sa personne et sa famille, sous forme de courriels et de publications sur des sites Internet islamistes, ce qui l’a contraint à quitter son domicile et à vivre caché.

De telles menaces de la part d’intégristes islamiques doivent être clairement condamnées, car elles représentent une atteinte à la liberté d’expression.

Redeker a le droit de publier ses idées, aussi néfastes soient-elles. Et ceux qui cherchent à les supprimer par des menaces de violence le font pour servir une idéologie réactionnaire qui est irréconciliablement hostile aux droits démocratiques essentiels. L’intégrisme islamique ne représente pas les intérêts des ouvriers et paysans opprimés, mais bien plutôt ceux d’une couche de capitalistes et de petits bourgeois qui cherchent à exploiter les illusions religieuses et à promouvoir le communautarisme afin de gagner le soutien populaire à leurs efforts pour garder le pouvoir, et ses privilèges attenants, dans divers pays d’Asie, du Moyen-Orient et d’Afrique.

La grande majorité des musulmans sont contre de telles menaces à l’encontre de Redeker et Dalil Boubakeur, président du Conseil français du culte musulman, a dénoncé ces menaces de mort déclarant « nul n'a la faculté de se faire justice lui-même ». Elles ne font que le jeu de Redeker et de ceux qui pensent comme lui et désirent attiser un sentiment anti-islam.

La diatribe de Redeker contre la foi islamique fait suite à des tentatives délibérées par des politiciens de divers pays européens d’attiser des sentiments anti-islamiques tout en proclamant la supériorité de la culture chrétienne occidentale. Cette campagne est utilisée pour justifier les déclarations suivant lesquelles les actions militaires au Moyen-Orient et ailleurs visant à des changements de régime — et en même temps au contrôle par l’occident des réserves de pétrole et de gaz — est une lutte pour la démocratie contre le cléricalisme réactionnaire. Cette diatribe représente aussi une justification des attaques sur les droits démocratiques, associées à la « guerre contre le terrorisme » qui cible en particulier les musulmans, mais qui peut ensuite être utilisée contre la classe ouvrière toute entière.

Redeker contribue au magazine de droite Les Temps modernes (fondé à l’origine par le philosophe Jean-Paul Sartre) et a dénoncé précédemment l’opposition française à la guerre en Irak.

Son article dans le Figaro, principal journal conservateur français, était présenté comme une défense de la récente conférence donnée en Allemagne par le pape Benoît XVI et qui cherchait aussi à décrire l’islam comme violent et irrationnel contrairement au christianisme.

Le discours de Ratzinger à Regensburg en Allemagne fait partie de toute une série d’actions délibérément provocatrices, discours et articles dirigés contre les musulmans, qui avait débuté par les caricatures publiées dans le journal danois Jyllands-Posten l’année dernière et qui représentaient Mahomet comme un terroriste. Plus récemment, l’ancien ministre de l’Intérieur britannique Jack Straw a lancé une nouvelle provocation dans sa circonscription de Blackburn (ayant une grande communauté musulmane) en déclarant que le voile islamique « rendait plus difficiles les relations entre les deux communautés ». En Allemagne, des hommes politiques de droite ont cherché à créer un climat d’hystérie autour de la récente annulation d’un opéra de Mozart à Berlin, le mois dernier, basée sur des déclarations selon lesquelles le spectacle offenserait les Turcs et provoquerait des violences de la part de groupes islamiques.

Un certain nombre de politiciens et intellectuels français en vue ont pris la défense de Redeker. Certains l’auront fait sur la base de leur engagement à préserver la liberté d’expression mais d’autres voient la situation critique de Redeker comme une cause célèbre utile par laquelle attiser le sentiment anti-musulman et raciste.

Philippe de Villiers, dirigeant français de l’extrême-droite à la tête du Mouvement pour la France (MPF) anti-européen et anti-immigrés, a demandé que le président français donne immédiatement asile à Redeker dans le palais présidentiel de l’Elysée. Bon nombre d’insultes exprimées par Redeker dans son article avaient été dites par celui qui déjà en 2004 appelait à ce que l’on cesse la construction de mosquées à Paris et déclarait, « Je suis le seul homme politique à dire aux Français la vérité sur l’islamisation de la France. »

De Villiers avait repris ce thème au début de l’année dans ses préparatifs à la course à la présidentielle de 2007, réitérant sa demande que l’on mette fin à la construction de mosquées. A la radio Europe 1 il avait décrié ce qu’il appelle « l’islamisation progressive de la société française » et déclaré « ce n’est pas à la France de s’adapter à l’islam mais à l’islam de s’adapter à la France ». Les 5 millions de musulmans de France constituent la plus importante minorité islamique d’Europe.

En des termes quasiment identiques à ceux utilisés par Redeker, de Villiers avait poursuivi, « nous devons imposer notre conception de la liberté, et non celle des autres » et rejeté des concessions telles que servir de la viande halal dans les cantines pour les musulmans, ou aménager des horaires spéciaux pour les femmes dans les piscines publiques ou réécrire les livres d’histoire.

Le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy n’a pas non plus tardé à voler au secours de Redeker. Il a déclaré que les critiques et les menaces proférées contre Redeker étaient « absolument scandaleuses » et que « ceux qui menaçaient ce professeur de philosophie le font au mépris des règles de la démocratie et de la République…Ils seront poursuivis. »

Sarkozy a été l’un des premiers politiciens français à provoquer une discussion publique ouverte sur l’islamisme et le rôle du voile islamique. En avril 2003, il avait été fortement sifflé lors d’un meeting au Bourget, près de Paris, lorsqu’il avait exigé que les femmes musulmanes retirent leur voile islamique sur leurs photos d’identité. L’initiative de Sarkozy avait ensuite été poussée plus loin dans une offensive politique, émanant des partis de droite, soutenue par le Parti socialiste et diverses organisations de gauche et qui a eu pour conséquence la loi discriminatoire votée par l’Assemblée nationale en mars 2004 et qui interdit le voile islamique dans les établissements scolaires de France.

Le site Internet du Parti socialiste condamne les menaces faites à Redeker comme une atteinte à la liberté d’expression mais ne mentionne nulle part le contenu de son article et ne cherche en aucune manière à prendre ses distances avec ses idées. Le principal syndicat enseignant, la FSU (Fédération syndicale unitaire) a adopté la même position.

La campagne de défense de Redeker est conduite par les copenseurs de Redeker aux Temps modernes qui ont publié une lettre ouverte dans Le Monde déclarant leur soutien.

Tandis que certains signataires de la lettre ouverte ont apporté leur soutien sur la base de la défense de la liberté d’expression et ont peut-être des différends avec Redeker, ses principaux défenseurs — « Les nouveaux philosophes » André Glucksmann, Bernard-Henry Lévy et Alain Finkielkraut — poursuivent, eux, le même programme de droite que leur collègue.

Glucksmann et Bernard-Henry Lévy sont devenus des partisans ouverts de la guerre impérialiste et les figures de proue d’une campagne de mise en garde contre les dangers d’un prétendu « islamo-fascisme » ou « fascislamisme » selon Lévy. Glucksmann a récemment écrit un article dans le Figaro condamnant « le djihad universel », le « désir de pouvoir » iranien et la stratégie de « subversion verte » de l’islam radical. En mars 2006 Lévy avait cosigné un manifeste, « Ensemble contre le nouveau totalitarisme », par solidarité avec le Jyllands-Posten.

Finkielkraut avait provoqué une controverse quand il avait nié avec véhémence l’argument que les émeutes des jeunes Français et immigrés des cités et villes de France à l’automne dernier avaient pour cause des facteurs sociaux. « En France, on voudrait bien réduire les émeutes à leur niveau social. Voir en elles une révolte de jeunes de banlieues contre leur situation, la discrimination dont ils souffrent et contre le chômage. Le problème est que la plupart de ces jeunes sont noirs ou arabes et s’identifient à l’islam… il s’agit d’une révolte à caractère ethnico-religieux. »

Alors que beaucoup pensaient que la réponse au racisme était une société multiraciale, avait-il ajouté, une société multiraciale pouvait aussi devenir une société « multiraciste ».

Il n’existe pas d’élite dirigeante ayant un plus grand intérêt à attiser le sentiment anti-musulman que l’élite dirigeante française. La riposte politique en France au discours de Redeker doit être vue en relation aux récents efforts du gouvernement de Paris d’accroître son influence politique au Moyen-Orient suite à la perte de l’influence américaine dans la région due à la désastreuse guerre en Irak. Après une certaine hésitation au début, la France a accepté de jouer un rôle prédominant dans la force d’intervention des Nations unies au Liban sur laquelle il y a eu récemment un accord.

De façon tout aussi importante l’affaire Redeker est utilisée pour poursuivre un programme très bien défini à l’intérieur du pays.

Cela fait exactement un an que les émeutes et protestations dans les cités françaises secouaient la République et aucune des questions sociales persistantes qui avaient provoqué ces émeutes n’ont été traitées. La réponse de Sarkozy et du ministère de l’Intérieur a consisté à intensifier les interventions policières autoritaires dans les cités ouvrières.

La police française monte quotidiennement des opérations dans les cités à forte population immigrée, utilisant les tactiques les plus brutales pour « récupérer » ce qu’ils appellent les zones de « non-droit ». Pour ce faire, on utilise les brigades anti-criminalité (BAC) lourdement armées.

On peut avoir la mesure de l’ampleur de l’action de la police en regardant les statistiques : tandis que le nombre d’incidents enregistrés par la police a doublé entre 1974 et 2004, le nombre d’arrestations pour délits liés à la drogue est 39 fois plus important et les condamnations pour immigration irrégulière ont augmenté de huit fois et demi. Le rapport entre le nombre d’arrestations et le nombre de dépôts de plainte est passé de 43,3 pour cent à 31,8 pour cent durant la même période.

Cette offensive se poursuit avec la même virulence depuis la mort de deux adolescents qui essayaient d’échapper à la police en octobre dernier, provoquant des batailles rangées entre police et jeunes des quartiers. Le dirigeant du syndicat sécuritaire Action Police, Michel Thoomis a récemment écrit à Sarkozy déclarant, « Il n'est plus question de violences urbaines. C'est une intifada, avec des pierres et des cocktails Molotov. » 

La tentative actuelle d’hommes politiques et d’idéologues en vue de créer un climat d’hystérie autour des « dangers de l’islamo-fascisme » en France – mis en avant par le récent article de Redeker – fournit la couverture idéale à une telle intensification de l’action de la police contre la classe ouvrière immigrée et française dans son ensemble.

 

(Article original paru le 18 octobre 2006)

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