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Allemagne: protestations de masse contre les coupes sombres dans les acquis sociaux

Par nos reporters
27 octobre 2006

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L’on évalue à 200.000 le nombre de travailleurs, leurs familles et de jeunes gens à être descendus dans la rue samedi dans cinq grandes villes d’Allemagne (Berlin, Stuttgart, Frankfurt, Dortmund et Munich) pour protester contre les coupes imposées par le gouvernement social-démocrate SPD-Verts et l’actuelle coalition gouvernementale constituée par les partis conservateurs, Parti chrétien-démocrate (CDU) et Union chrétienne-sociale (CSU), et le SPD.

Les manifestations avaient été appelées par la Fédération des syndicats ouvriers allemands (DGB). Nombreux furent ceux qui participèrent aux manifestations pour exprimer leur colère et leur frustration à l’égard de la politique pratiquée par l’actuel gouvernement ainsi que son prédécesseur et qui a conduit à un niveau d’inégalité sociale sans précédent.

Les discours tenus par des bureaucrates syndicaux influents contrastaient violemment avec le bilan de leur collaboration au quotidien avec le gouvernement. De nombreux accords récents qui ont entraîné des fermetures d’usines, des pertes d’emplois, des réductions de salaires et des attaques contre les conditions de travail portent les signatures de ces mêmes dirigeants syndicaux qui dénoncent à présent les coupes sociales, le chômage et la population grandissante de « pauvres qui ont un emploi » qui a participé aux manifestations de samedi.

Le cynisme des bureaucrates syndicaux avait été souligné par leur défaillance à organiser la moindre protestation dans les villes de l’Allemagne de l’Est où le niveau du chômage et de la pauvreté atteint près du double de celui observé dans l’ancienne Allemagne de l’Ouest. Ignorés par les bureaucrates syndicaux, de nombreux travailleurs de l’Est sont néanmoins venus à Berlin pour exprimer leur dégout et leur colère contre la politique gouvernementale ainsi que contre le rôle pernicieux joué par les représentants syndicaux eux-mêmes.

Quelque 60.000 personnes s’étaient rassemblées dans la capitale allemande arborant des pancartes et des banderoles pour protester contre la politique gouvernementale qui a résulté dans la détérioration des conditions de vie de millions de citoyens allemands. De nombreuses pancartes reprenaient des questions spécifiques en dénonçant les attaques gouvernementales contre un large éventail de questions sociales, telles l’éducation (classes surchargées et manque de personnel enseignant), la baisse du nombre de places d’apprentissage pour les jeunes, la réduction de la retraite (y compris les projets avancés par le SPD pour relever l’âge de départ à la retraite à 67 ans). Pour attirer l’attention sur l’augmentation de la pauvreté en Allemagne et la hausse du nombre de travailleurs pauvres, de nombreux manifestants avaient revêtu des t-shirts portant le slogan « employé mais pauvre. »

Le contexte de la manifestation avait été le débat sur la soi-disant sous-classe en Allemagne. Les chiffres publiés dans un rapport officiel ont révélé un taux de pauvreté élevé dans le pays, allant jusqu’à 25 pour cent des citoyens vivant dans l’ex Allemagne de l’Est. D’autres statistiques signalent une insécurité économique croissante et un désillusionnement grandissant face aux partis politiques officiels.

La seule mesure à avoir contribué le plus à la détérioration du niveau de vie est la loi antisociale Hartz IV mise en place par l’ancien gouvernement SPD-Verts. Alors que les dirigeants syndicaux ont, lors des manifestations, attiré l’attention sur la division sociale croissante en Allemagne dont les conséquences constituent une menace pour la démocratie, ils ont évité toute référence au rôle qu’ils ont eux-mêmes joué dans le développement et l’application de la loi Hartz IV.

Le principal orateur du rassemblement qui s’est tenu à Dortmund a été Jürgen Peters, le patron du syndicat IG Metall, le plus important syndicat d’Allemagne et l’un des plus grands syndicats du monde. Dans le discours qu’il a prononcé dans l’ancien centre minier et sidérurgique de la Ruhr, Peters a critiqué la politique de l’actuelle grande coalition sans pour autant mentionner son propre rôle dans la mise en oeuvre de cette politique. En tant que président de l’IG Metall et membre influent du SPD, Peters avait chargé des hauts fonctionnaires de son syndicat de participer aux négociations au sein de la Commission Hartz IV. Sous la direction de son collègue du SPD et membre d’IG Metall, Peter Hartz, les mesures antisociales les plus draconiennes de l’Allemagne d’après-guerre furent élaborées pour le compte du gouvernement SPD-Verts.

Le principal orateur à Berlin, Frank Bsirske, président du syndicat unifié des services, Ver.di, et membre dirigeant du parti des Verts, a souligné la position hypocrite de la bureaucratie syndicale. Bsirske a dénoncé l’accroissement des inégalités sociales dans la société allemande qui se traduit par des bénéfices vertigineux et une hausse constante de la rémunération des grands patrons et des banquiers d’un côté et par une misère sociale de l’autre.

Les inégalités sociales, dit-il, « ne sont pas un problème démographique, mais une bombe à retardement sociale », qui doit être « désamorcée ». Il a attaqué les projets du gouvernement d’augmenter la taxe à la valeur ajoutée (TVA) qui, dit-il, mettrait en danger la croissance économique en Allemagne, il a exigé l’introduction d’un salaire minimum et appelé à une répartition plus juste du fardeau fiscal. En donnant un vilain coup xénophobe à l’adresse des travailleurs d’Europe de l’Est, Bsirske a dénoncé les travailleurs polonais qui, dit-il, mettent en danger les possibilités d’emploi des travailleurs allemands en étant prêts à travailler pour un euro de l’heure dans la région du Rhin.

Tout en critiquant l’augmentation de la pauvreté et les bataillons de « pauvres qui ont un emploi » existant en Allemagne, Bsirske a omis de mentionner le rôle qu’il a lui-même joué en contribuant à cet état de fait. C’était Bsirske qui avait collaboré avec Harald Wolf, le sénateur de Berlin chargé des questions économiques pour imposer une baisse de salaire de 10 pour cent pour les salariés des transports berlinois ; et, rien que cette année, son syndicat Ver.di a fait fonction de briseur de grève dans une série de grèves de médecins et du personnel hospitalier. De plus, tout au long des sept années du gouvernement SPD-Verts, le syndicat Ver.di a joué un rôle primordial dans la suppression de toute opposition à l’encontre de la législation antisociale de ce gouvernement.

Le discours de Bsirske a été interrompu à maintes reprises par des cris et des appels émanant d’une délégation de travailleurs qui sont en grève en ce moment même à Berlin et qui se tenaient au premier rang de la foule tout près de la tribune avec leurs pancartes. Des travailleurs de l’usine Bosch de Berlin scandaient « Nous voulons la grève ! » Les deux tiers de l’effectif de l’usine avaient récemment voté la poursuite de la grève pour défendre leur emploi, et ce, en dépit du fait que leurs dirigeants syndicaux leur avaient conseillé de reprendre le travail.

A Stuttgart, le président du DGB, Michael Sommer, a mis en garde contre les conséquences qu’auraient à long terme l’accroissement des inégalités sociales pour la démocratie en Allemagne, en déclarant, « Les victoires électorales des néonazis, la déception politique, le fait que les gens délaissent les partis de masse, le fait que de moins en moins de monde participe aux élections devraient être un avertissement et pas seulement pour nous. »

Lorsque Sommer (qui est membre du SPD depuis 1981) parle d’« avertissement et pas seulement pour nous, » il conseille aux cercles dirigeants et au monde des affaires qu’ils ne peuvent pas se permettre d’exclure les syndicats de l’élaboration de la future politique. Sommer a poursuivi en critiquant les projets du vice-chancelier, Franz Müntefering (SPD), de retarder l’âge de la retraite et a appelé à mettre fin à une politique consistant à lancer des ultimatums et qui avait déjà caractérisé les dernières étapes du gouvernement SPD-Verts de Gerhard Schröder.

Il y a deux ans, les importantes manifestations contre Hartz IV et contre d’autres coupes sociales avaient joué un rôle décisif dans la décision du chancelier de l’époque, Schröder, d’annoncer des élections anticipées dans le but de dégager la voie à un gouvernement mieux apte à imposer le programme du patronat. Il est significatif de noter que les vagues de protestations et de manifestations contre Hartz IV de 2003 et de 2004 étaient organisées indépendamment des syndicats.

Cette fois-ci, les dirigeants syndicaux ont envoyé un signal clair au gouvernement de grande coalition. Lors des manifestations de samedi, ils se sont exprimés par-dessus les têtes des manifestants pour viser les cercles économiques et politiques les plus influents de la bourgeoisie allemande. « Pour votre propre bien-être, embarquez-nous et nous ferons de notre mieux pour empêcher les perturbations sociales. » Tels étaient les sous-entendus des discours émanant de la tribune.

Et le message a été bien reçu. Parmi ceux qui applaudissaient chaleureusement les discours à Berlin, il y avait Harald Wolf, du Parti de la Gauche.PDS, parti du socialisme démocratique et sénateur de Berlin chargé des finances ainsi que le président du Parti de la Gauche.PDS, Lothar Bisky. Au premier rang du rassemblement de Francfort se trouvait l’ancien président d’IG Metall, Franz Steinkühler, qui avait été l’instigateur dans les années 1980 du virage à droite des syndicats. Accusé de délit d’initié il avait été obligé de quitter le syndicat en 1993. Il est aujourd’hui conseil en immobilier et en entreprise.

Des équipes de sympathisants et de membres du Parti de l’égalité sociale (PSG) ont participé aux nombreuses manifestations et distribué des milliers de tracts de la déclaration, « La lutte contre les coupes antisociales requiert une perspective socialiste internationale » qui a été chaleureusement accueillie par les manifestants. Des dizaines de signatures ont été rassemblées en soutien à l’appel lancé par le Parti de l’égalité socialiste (PES) du Sri Lanka en faveur d’une enquête sur le meurtre du sympathisant du PES, Sivapragasam Mariyadas.

(Article original paru le 24 octobre 2006)

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