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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

L’Europe envoie 7000 soldats au Liban

Par Peter Schwarz
1er septembre 2006

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L’Europe fournira la colonne vertébrale de la force actuellement mise sur pied par les Nations unies pour superviser le cessez-le-feu au Liban. Cette décision a été prise vendredi dernier à Bruxelles, lors d’une rencontre des 25 ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne. 3500 soldats devraient arriver au Liban cette semaine. Au total, les pays de l’Union européenne ont accepté de fournir 7000 soldats pour un déploiement terrestre, et 2000 de plus pour un support maritime et aérien. C’est le plus grand déploiement militaire réalisé dans l’histoire de l’Union européenne.

Le plus gros contingent (3000 soldats) provient de l’Italie, qui assumera le commandement de la force de l’ONU en février prochain. La France, qui commande l’actuelle mission d’observation de l’ONU dans la région, envoie 2000 soldats et conservera le commandement jusque-là. L’Espagne a accepté d’envoyer 1200 soldats ; la Pologne, 500 ; la Belgique, 400 et la Finlande, 250.

L’Allemagne, la Grande-Bretagne, le Danemark et la Grèce participeront eux aussi, mais ils n’enverront pas de troupes terrestres. L’Allemagne a proposé d’envoyer des unités navales (entre 1200 et 1500 hommes) pour garder la côte libanaise et empêcher que le Hezbollah reçoive des armes. La Grande-Bretagne compte envoyer six avions Jaguar et deux avions de reconnaissance AWACS, et elle rendra disponible pour la mission sa base militaire de Chypre.

Lundi, le gouvernement turc a aussi annoncé son intention de participer à la force de l’ONU sans donner de chiffres exacts, mais des reportages des médias ont indiqué que sa contribution allait être environ de 1000 soldats. Toutefois, une telle intervention est hautement controversée en Turquie et le parlement à Ankara doit d’abord l’approuver. Il avait déjà rejeté la proposition du premier ministre Recep Tayyip Erdogan de permettre à l’armée américaine d’utiliser le territoire turc pour sa guerre contre l’Irak.

La résolution 1701 de l’ONU, qui a été acceptée au milieu du mois d’août, prévoyait une force de 15 000 hommes au Liban, mais il n’est pas certain que ce nombre soit réellement atteint. Plusieurs pays non européens ont signalé leur appui, mais il est probable que leurs contributions soient plus symboliques que matérielles. De toute façon, l’Europe fournira le soutien principal de la force.

La force de l’ONU interviendra dans un pays qui a été dévasté par 34 jours de bombardements par les forces israéliennes. Le siège israélien a tué environ 1200 Libanais, des civils pour la plupart. Des villages ont été rasés ; des routes, des ponts, des centrales énergétiques, des usines de filtration, des aéroports et des stations-service ont été détruits. Des milliers de bombes à fragmentation qui n’ont pas explosé sont toujours une menace pour la population, et une marée noire a dévasté la côte. Tout ceci s’est produit à l’intérieur d’une zone géographiquement minuscule, qui abritait une population d’un peu moins de 4 millions.

Le Liban avait à peine commencé à se remettre de la guerre civile, qui a duré 15 ans et qui s’est terminée en 1990, et de l’occupation israélienne du sud du pays. Maintenant, selon les données du Conseil libanais pour le développement et la reconstruction, 80 pour cent des infrastructures au sud et à l’est du pays ont été détruits. Le total des dommages a été évalué à 6 milliards de dollars. La seule réparation des 7100 logements qui ont été détruits coûterait 1,4 milliard $. L’industrie touristique, qui s’était améliorée durant les dernières années et qui constitue la source de revenus venant de l’étranger la plus importante du pays, est complètement paralysée.

Les capitales européennes n’ont jamais critiqué cette agression barbare, qui viole de façon flagrante le droit international et qui a été préparée depuis longtemps par Israël avec l’appui des Etats-Unis. Au lieu de cela, la ministre israélienne des Affaires étrangères, Tzipi Livni, a été chaleureusement accueillie durant sa visite des capitales européennes qui visait à discuter des détails de la force de déploiement.

Israël et les Etats-Unis n’ont accepté le cessez-le-feu que lorsqu’il était devenu évident que l’armée israélienne n’avait pas atteint son objectif de détruire le mouvement Hezbollah, qui a de profondes racines dans la population libanaise, avec les moyens militaires. Les deux pays s’attendent maintenant à ce que les forces de l’ONU entreprennent la tâche de désarmer la milice du Hezbollah.  

En Europe, la crainte que la guerre reprenne, plaçant les forces européennes entre les forces belligérantes, a mené à une période d’hésitation temporaire en ce qui concerne l’application de la résolution de l’ONU. La France, qui avait joué un rôle dirigeant dans l’élaboration de la résolution et de qui devait fournir « l’ossature » de la force militaire de l’ONU, n’offrit qu’un contingent de 400 soldats, menaçant ainsi tout le déploiement.

Paris demandait un mandat plus précis sur la tâche à accomplir par la force. En particulier, il voulait s’assurer que les troupes de l’ONU n’allaient pas avoir la responsabilité du désarmement par la force du Hezbollah. Pendant ce temps, le secrétaire général de l’ONU Kofi Annan, donna cette assurance : le désarmement du Hezbollah planifié dans la résolution de l’ONU sera effectué par les forces gouvernementales libanaises et par les moyens politiques.

Israël n’insiste plus sur le désarmement immédiat du Hezbollah. A Berlin, le ministre des Affaires étrangères, Livni, a dit que le succès de la force internationale au stade initial dépendra du travail conjoint avec les forces armées libanaises afin d’empêcher l’expédition d’armes au Hezbollah. Le désarmement du mouvement va constituer, la seconde et plus difficile étape. .

Cependant, ceci n’écarte pas le danger que la guerre reprenne. Jusqu’à maintenant, le Hezbollah refuse de rendre volontairement les armes. Même si un accord politique avec le gouvernement libanais était possible (le ton conciliateur d’une récente entrevue télévisée du dirigeant du Hezbollah, Hassan Nasrallah indique qu’une telle entente serait possible), il pourrait prendre la forme d’une intégration de la milice du Hezbollah au sein de l’armée régulière libanaise. Israël et les Etats-Unis cherchant à obtenir la subordination complète du Liban pour satisfaire leurs propres intérêts, il est très peu probable qu’ils acceptent une telle solution.

Le risque de nouveaux affrontements demeure pour cette raison. Néanmoins, l’Europe a finalement accepté l’intervention parce qu’elle fournit l’occasion aux puissances européennes de faire sentir leur présence militaire au Moyen-Orient dans un contexte où les Etats-Unis ont dominé la région depuis la guerre en Irak et l’occupation du pays. Étant donné les problèmes pour Israël et les Etats-Unis suite aux résultats de la campagne au Liban, les puissances européennes ont maintenant la chance de jouer un rôle plus important dans la région. Ceci a été en particulier rendu très explicite par le gouvernement italien au moment où il cherchait à justifier son engagement au Liban.

En réponse à la question: « qu'est-ce qui est en jeu au Liban ? » le ministre italien des Affaires étrangères, Massimo D’Alema, a dit au Frankfurt Rundsahau : « C’est une grande occasion pour l’Europe, qui n’a jamais eu une forte présence au Moyen-Orient et a surtout payé pour tout, mais qui n’a jamais été reconnue comme un joueur de premier plan. »

D’Alema est un membre dirigeant de Gauche démocratique, un parti issu du Parti communiste italien. Durant la récente campagne électorale en Italie, Gauche démocratique avait critiqué le précédent gouvernement de Sylvio Berlusconi parce qu’il soutenait la guerre américaine en Irak. Le nouveau gouvernement de Romano Prodi a depuis retiré les soldats italiens de l’Irak.

Il est maintenant clair, cependant, que pour Gauche socialiste le problème de l’Italie n’était pas le déploiement de soldats au Moyen-Orient, mais plutôt la subordination des intérêts politiques de l’Italie à ceux des Etats-Unis. Trois mois seulement après avoir pris le pouvoir, le nouveau gouvernement a organisé le plus important déploiement militaire depuis la Seconde Guerre mondiale afin de sécuriser les intérêts impérialistes de l’Italie et de l’Europe.

Sur cette question, D’Alema est absolument clair. Lorsqu’il lui fut demandé par le journal F.A.Z. comment « devrait être le nouveau scénario de la politique internationale », il a répondu « Cela est une contribution à la paix dans un environnement où ni les Nations unies, ni l’Europe n’ont beaucoup d’influence. Il n’y a pas non plus de rôle pour les Nations unies ou pour l’Union européenne dans le scénario irakien. Maintenant, nous ne pouvons nous permettre de rater cette nouvelle occasion. »

D’Alema espère aussi qu’avec le déploiement au Liban, la politique étrangère européenne jouera un plus grand rôle dans la région méditerranéenne et augmentera le poids de l’Italie. Il a dit au F.A.Z. qu’il croyait « que l’Europe doit porter une attention beaucoup plus grande à la région de la Méditerranée. Au cours de ces dernières années, l’Europe s’est beaucoup intéressée à la question de son expansion à l’Est et cela est compréhensible. Mais pendant qu’elle faisait cela, elle a négligé ses obligations envers la région méditerranéenne. »

Après l’initiative italienne et après une activité diplomatique frénétique entre Paris, Rome, Berlin, Washington, Tel-Aviv, Beyrouth et le quartier général des Nations unies à New York, le président français Jacques Chirac s’est finalement décidé lui aussi pour augmenter le contingent français. Cette mesure a aussi été justifiée à Paris comme étant dans l’intérêt de la France et de l’Europe dans la région.

Dans un discours devant des diplomates, Chirac a exprimé son espoir qu’à l’avenir l’Europe joue un rôle plus important au niveau international. Il regrette, a-t-il dit, que l’Europe ait été « trop absente de la crise libanaise ». Le ministre français des Affaires étrangères, Philippe Douste Blazy, a expliqué au journal Le Figaro : « Ce qui est en jeu au Liban c'est la défense de nos valeurs et le maintien de notre propre capacité de réflexion et d'action. »

Déjà, il peut être dit avec une certaine certitude, étant donné l’appui très unilatéral d’Israël, que l’intervention européenne ne ramènera pas la paix dans un Liban démoli.

L’Allemagne en particulier a ouvertement reconnu son parti-pris pour Israël. Selon Berlin, toute situation dans laquelle les Allemands auraient à affronter les soldats israéliens doit être évitée pour des raisons historiques. Au même moment, Berlin adopte une terminologie de plus en plus agressive. Le ministre allemand de la Défense, Franz Josef Jung, a insisté pour décrire le blocus envisagé des côtes libanaises par la marine allemande comme une « mission de combat ». Le terme, très clairement, visait à provoquer. Il avait été soigneusement évité lors des précédents déploiements militaires allemands, qui ont toujours été décrits comme des engagements défensifs.

La notion que l’Europe pourrait se libérer de la suprématie américaine au moyen de son intervention au Moyen-Orient pourrait bien se révéler elle aussi être une erreur.

Choqués par le chaos que les Etats-Unis ont provoqué en Irak ainsi que par la popularité croissante dont jouit le Hezbollah à cause de sa résistance à Israël, les Européens ont à maintes reprises insisté sur leur intention de « stabiliser » le Moyen-Orient. Toutefois comme D’Alema lui-même l’a noté alors qu’il se demandait à voix haute comment « restreindre les radicaux et les extrémistes » et « promouvoir les forces modérées » en Irak, « L’idée qu’on puisse arrêter le terrorisme par la guerre et qu’ensuite vienne la paix et la démocratie, n’est évidemment pas un succès. »

Les guerres ont leur propre dynamique. Aussitôt que la force onusienne sera stationnée au Liban et qu’elle sera impliquée dans un conflit — et il sera facile d’en provoquer un — alors, la situation pourrait rapidement devenir hors contrôle. Les forces européennes connaîtraient alors le même sort que celui que connaissent les forces américaines en Irak — l’engrenage de la violence et de la vengeance — et finiront encore une fois à la remorque des Etats-Unis.

(article original anglais paru le 31 août 2006)

 

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