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WSWS : Nouvelles et analyses : États-Unis

Un rapport du Pentagone sur l'Irak révèle une catastrophe allant en s'aggravant

Par James Cogan
8 septembre 2006

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Un rapport du Pentagone transmis au Congrès américain le 29 août a livré une franche évaluation des divisions sectaires et communautaristes qui ont été fomentées depuis l'invasion par les États-Unis en 2003. Le rapport a déclaré que le conflit fratricide entre les mouvements musulmans rivaux sunnites et chiites pour le contrôle de certaines régions du pays a « créé des conditions qui pourraient mener à la guerre civile ». Au même moment, il reconnaît que l'insurrection anti-occupation dans les zones à majorité sunnite « continuera probablement d'attaquer les forces de la coalition tant que celles-ci demeureront en Irak ».

Les précédentes assertions américaines selon lesquelles la création d'un nouveau conseil de ministres par le nouveau premier ministre, le chef chiite Nouri Al-Maliki, stabiliserait l'Irak, se sont avérées non fondées. Depuis le 20 mai, déclare le rapport, il y a eu « un nombre croissant d'exécutions, de kidnappings et d'attaques sur des civils, et davantage de personnes ont été déplacées. »

Les statistiques du Pentagone sont effrayantes. Au moins 2 000 Irakiens sont massacrés chaque mois dans des incidents qui sont classifiés par l'armée américaine sous « incidents sectaires ». À Bagdad, 90 pour cent des 1 800 corps qui ont été examinés par le coroner en juillet avaient été exécutés. Le rapport a fait mention de données fournies par l'ONU, qui estime que 137 000 personnes ont fui leurs maisons à cause de la violence sectaire. La majeure partie du déplacement s'est effectuée « aux frontières entre les secteurs de Bagdad dominées par des ethnies différentes et dans la province de Diyala au sud-ouest ». De plus, la violence s'est intensifiée dans les villes de Mossoul et Kirkouk où les tentatives kurdes de s'emparer de territoires et de ressources ont fait croître les tensions communales.

Le nombre d'attaques connues sur les troupes américaines et étrangères, les forces de sécurité irakiennes, les civils ou les infrastructures ont augmenté de 15 pour cent durant les trois derniers mois, atteignant 800 par semaine. Plus de 60 pour cent de ces attaques ont été dirigées contre des cibles américaines ou les forces de sécurité irakiennes. Les civils n'ont été les cibles que de 15 pour cent des attaques, mais constituent la majorité des victimes de cette violence. Près de 120 Irakiens ont été tués ou blessés chaque jour, ainsi que près de 20 membres des forces américaines et étrangères.

Au beau milieu de ce carnage, les conditions sociales des Irakiens sont désastreuses. Le taux de chômage a été évalué par une agence à 18 pour cent et le taux de sous-emploi, à 34 pour cent. Au moins 15,4 pour cent de la population « n'ont pas assez de nourriture », selon le Programme alimentaire mondial de l'ONU. 25,9 pour cent des enfants sont victimes d'un retard de croissance grave ou modéré. L'inflation de juin 2005 à juin 2006 a été de 52,5 pour cent. Les résidents de Bagdad ne reçoivent encore en moyenne que huit heures d'électricité par jour.

Les sondages irakiens cités par le Pentagone indiquent que « la population est généralement plus pessimiste qu'elle ne l'était un an auparavant ». Une majorité de personnes craignent l'éruption d'une véritable guerre civile.

Le rapport a indiqué que les communautés font de plus en plus appel aux milices ethniques et sectaires pour qu'elles les défendent. Dans les zones chiites de Bagdad et au sud de l'Irak, le rapport a affirmé que la milice de Moqtada Al-Sadr, l'Armée du Mahdi, « est bien connue et jouit d'un appui populaire ». Cet appui grandissant pour Sadr provient en grande partie de l’échec des forces d'occupation des États-Unis à empêcher les attaques constantes sur les civils chiites. Cet appui provient aussi de la capacité de réaction des factions à l'intérieur de l'Armée du Mahdi pour répliquer par des attaques aux extrémistes sunnites et des efforts du mouvement sadriste pour fournir des services sociaux et de l'assistance aux pauvres et aux victimes de violence.

Dans les provinces kurdes du Nord, le gouvernement régional kurde et la milice nationaliste peshmerga sont vus comme les principaux garants de la sécurité — pas le gouvernement irakien ou son armée.

Dans les régions à l’ouest et au centre de l’Irak largement sunnites, il existe un large sentiment d’hostilité envers le gouvernement Maliki et de méfiance à l’égard des forces de sécurité de l’Irak.  Les communautés sunnites en sont venues à considérer les forces de police de l’Irak ne sont que de potentiels escadrons de la mort chiites. En plusieurs occasions, le Pentagone a fait référence à l’influence que l’Armée du Mahdi et que la milice de  l’organisation de Badr du Conseil suprême chiite de la révolution islamique (CSCRI) exerce sur le ministère de la police intérieure et sur la police irakienne régulière. Le rapport blâmait régulièrement les « éléments voyous » de l’Armée du Mahdi pour une grande partie des assassinats sectaires.

Le rapport notait également que les divisions communautaristes abondaient dans la nouvelle armée irakienne.  La majorité des commandants des 114 bataillons de l’armée irakienne recrutés par les Etats-Unis « commandent uniquement les soldats ayant la même origine sectaire ou provenant de la même région ». La majorité des troupes gouvernementales sont d’anciens membres de milices sectaires et ont peu de loyauté envers le gouvernement de Bagdad.

Récapitulant sur « la sécurité de l’environnement » en Irak, le rapport du Pentagone conclut : « La montée de la violence sectaire définit la nature émergente de la violence au milieu de 2006… Le conflit essentiel en Irak est devenu la lutte entre les extrémistes sunnites et chiites pour le contrôle des régions clés de Bagdad, pour créer ou protéger des enclaves sectaires, pour détourner les ressources économiques et pour imposer leur propre programme politique et religieux. »  La violence ethnique et sectaire, déclare le rapport, « est la plus grande menace à la sécurité et la stabilité en Irak ». 

Une nouvelle répression en préparation

Cependant, l’impérialisme américain n’a pas de solution à la catastrophe communale qu’elle a créée. À la place, l’administration Bush et les médias américains utilisent le rapport du Pentagone pour justifier les préparatifs d’une intensification des opérations de l’armée américaine et des forces gouvernementales irakiennes contre le mouvement de Sadr et sa milice de l’Armée du Mahdi.

Les sadristes sont considérés comme une menace par Washington non parce qu’ils jouent un rôle particulier dans les attaques sectaires, mais parce que leurs supporteurs parmi la classe ouvrière chiite et les pauvres centres urbains dans les régions comme Sadr City dans Bagdad sont hostiles autant à l’occupation de l’Irak qu’à l’agression plus large des États-Unis au Moyen-Orient. En juillet, des dizaines de milliers de chiites irakiens manifestaient dans la capitale de l’Irak contre l’assaut d’Israël contre le Liban.  Les dirigeants sadristes ont aussi déclaré que l’Armée du Mahdi allait se battre en défense de l’Iran s’il devient la cible d’une attaque des Etats-Unis.

Dans les jours qui ont suivi la publication du rapport du Pentagone, les troupes gouvernementales irakiennes, soutenues par l’aviation américaine, ont reçu l’ordre d’attaquer une cellule soi-disant « voyou » de l’Armée du Mahdi dans la ville de Diwaniyah, au sud de Bagdad.  Des douzaines de troupes de miliciens ont été tué dans ce qui est largement considéré comme un exercice en vue d’une offensive contre Sadr City. Le New York Times commentait dans son éditorial du 1er septembre que « le refus de M. Maliki de s’en prendre au principal bastion — Sadr City — aide à expliquer l’existence continue d’un haut niveau de violence à Bagdad ».  Les préparatifs sont maintenant engagés pour une opération majeure du gouvernement des Etats-Unis dans le district, ostensiblement pour traquer les escadrons de la mort chiite.

Aucune section de l’élite dirigeante américaine ne se demande comment ou pourquoi le sectarisme en est venu à définir la vie en Irak — pour des raisons évidentes. Les causes fondamentales en sont la politique et les méthodes de l’occupation américaine. L’invasion de 2003 visait consciemment à détruire l’Etat existant et éliminer les institutions nationales telles l’armée et la fonction publique qui constituaient la base du soutien pour le régime baasiste de Saddam Hussein. Depuis, les gouvernements appuyés par les Etats-Unis se sont basés sur les partis kurdes et chiites qui ont collaboré avec l’envahisseur américain surtout pour enlever le pouvoir économique et politique de l’élite dirigeante traditionnelle sunnite.

La nouvelle constitution imposée au pays par les occupants américains l’an dernier dresse la table pour la guerre civile. Elle établit les mécanismes pour la partition de l’Irak en régions ethniques et sectaires. Au nord du pays, les partis nationalistes kurdes vont de l’avant avec leurs plans pour étendre l’autorité de leur gouvernement « régional » jusqu’à des villes ethniquement mixtes comme Kirkouk et les plus importants gisements de pétrole au nord du pays. Au cours des prochains mois, des élections provinciales auront lieu dans lesquelles des sections de l’élite chiite au sud du pays appelleront pour la formation d’une « région » chiite qui prendra contrôle des gisements de pétrole encore plus importants dans cette région.

Les organisations sunnites, chiites et kurdes mènent de brutales campagnes pour prendre le contrôle du plus grand territoire possible. À Bagdad, une ville hétérogène de près de six millions d'habitants, les opérations des escadrons de la mort et des milices, visent jusqu'à un certain point à diviser la ville en des zones sunnites et chiites homogènes. Le 3 septembre, l’Associated Press a émis ce commentaire : « Une nouvelle ville, mais pas meilleure, est en train d'émerger. Beaucoup d'Irakiens craignent que le résultat sera une zone sunnite à l'ouest et une zone chiite à l'est, séparées par le fleuve Tigre serpentant entre les deux telle une frontière sectaire. » Une semblable épuration ethnique se déroule présentement dans des villes hétérogènes arabes et kurdes comme Kirkouk et Mossoul.

Les forces d'occupation américaines restent, principalement, là à ne rien faire alors que ce processus prend place. En fait, la partition du pays continue d'être exigée par d'importants analystes américains pour sécuriser les intérêts des Etats-Unis. Le mois dernier, Michael O'Hanlon, un des commentateurs en vue de la politique étrangère pour l'Institut Brookings, a plaidé pour que l'occupation américaine adopte ouvertement une politique « qui faciliterait activement une ségrégation ethnique volontaire » en Irak. « Si nous pouvons encourager que les futures relocalisations ethniques se fassent volontairement et dans la paix, a écrit Hanlon, plutôt que dans le meurtre, le viol et l'intimidation, nous pouvons encore en tirer un certain succès, quoiqu’imparfait, qui ferait qu'en fin de compte, les Irakiens seraient mieux que sous Hussein. »

De telles propositions ne servent qu'à souligner la vérité fondamentale derrière l'invasion américaine. L'objectif premier était la domination à long terme des ressources pétrolières et du territoire de l'Irak, ainsi que la subjugation de sa population. Si atteindre cet objectif devait signifier la mort ou la relocalisation de centaines de milliers de personnes, alors que le pays se verrait divisé en trois petits Etats ou plus, l'impérialisme américain n'hésiterait pas une seconde à réaliser ce plan. 

 (article original anglais paru le 7 septembre 2006)

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