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WSWS : Nouvelles et analyses : États-Unis

L’AIEA expose les mensonges américains sur les programmes nucléaires iraniens

Par Peter Symonds
20 septembre 2006

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Voilà maintenant quatre ans, le président George Bush se présentait devant l’Assemblée générale de l’ONU et exigeait que celle-ci approuve une guerre contre l’Irak fondée sur des mensonges flagrants à propos de soi-disant armes de destruction massive de Saddam Hussein. Aujourd’hui, alors que Bush exige de l’ONU une action ferme contre l’Iran, les assertions américaines selon lesquelles Téhéran possède un programme d’armes nucléaires ont été démasquées comme étant de pures fabrications.

L’organe de l’ONU qui supervise la question nucléaire, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), a fait la semaine dernière une réfutation cuisante des « informations erronées, trompeuses et non fondées » contenues dans le rapport du Congrès américain intitulé « Voir l’Iran comme une menace stratégique » émis le 23 août.

Le rapport de la Commission spéciale du renseignement de la Chambre des représentants n’était rien de plus qu’un exercice de propagande conçu dans le but de justifier les préparatifs de l’administration Bush pour une action punitive contre l’Iran. Son objectif principal était de demander aux agences d’espionnage américaines de s’efforcer davantage à combler les « manques d’informations, » particulièrement ceux reliés aux programmes d’armements iraniens. En d’autres mots, de concevoir de nouveaux mensonges pour justifier des sanctions économiques et la guerre.

Le manque de preuves concrètes contre Téhéran n’a pas empêché le rapport d’affirmer catégoriquement que l’Iran cherchait à produire des armes nucléaires, ainsi que des armes chimiques et biologiques. C’est le même modus operandi qu’en 2003, lorsque le vice-président américain Dick Cheney, le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld et les néo-conservateurs du Pentagone avaient fabriqué une soi-disant preuve des armes de destruction massive pour fournir le prétexte à une invasion criminelle américaine de l’Irak

Il n’est pas étonnant que l’AIEA ait le plus fortement réagi contre l’attaque à l’intégrité de sa propre surveillance des programmes nucléaires iraniens. Sa lettre a « fortement désapprouvé » la « déclaration incorrecte et trompeuse » selon laquelle le directeur de l’AIEA, Mohamed El Baradeï, aurait retiré d’Iran l’inspecteur Christian Charlier « pour s’être prétendument inquiété de la duperie iranienne à propos de son programme nucléaire et avoir conclu que l’objectif du programme nucléaire iranien était de construire des armes nucléaires. »

L’AIEA a qualifié « d’indigne et malhonnête » l’insinuation que Charlier aurait été retiré d’Iran pour « ne pas avoir adhéré à une politique non officielle de l’AIEA empêchant ses représentants de dire toute la vérité au sujet du programme nucléaire iranien ». Comme l’a mentionné la lettre, l’Iran, et non El Baradeï, avait demandé le rappel de Charlier et l’avait fait en vertu des droits garantis par le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP).

La référence du rapport à Charlier n’était pas accidentelle. Il est devenu célèbre parmi les cercles d’extrême droite aux États-Unis, ceux exigeant le plus vigoureusement une guerre contre l’Iran, lorsqu’il donna en juillet une entrevue au journal allemand Welt am Sontag, insinuant que l’Iran opérait un programme nucléaire clandestin. Toutefois, comme ceux qui ont repris ses commentaires, Charlier n’a fourni aucune preuve pour appuyer ses affirmations.

La lettre de l’AIEA était aussi en désaccord avec les erreurs factuelles évidentes contenues dans la courte section du rapport intitulée « Preuve d’un programme d’armes nucléaires iranien. » Elle mettait l’accent sur la légende excessivement trompeuse d’une photographie d’une usine d’enrichissement iranienne située à Natanz qui disait ceci : « L’Iran enrichit  présentement le plutonium à un niveau d’armement en utilisant une cascade de 164 centrifugeuses. »

Comme AIEA le signale, cette prétention est tout simplement fausse. La petite cascade de l’usine d’enrichissement de Natanz, qui est l’objet d’inspections de l’AIEA, incluant la surveillance caméra, a, à ce jour, enrichi de l’uranium à un niveau de 3,6 pour cent — une concentration qui correspondant à l’atteinte des objectifs déclarés par Téhéran de production de combustible nucléaire. Comme la lettre l’indique de façon caustique, cette concentration peut difficilement être considérée comme étant de « qualité militaire », généralement reconnu comme exigeant une concentration de 90 pour cent ou plus en uranium.

Même en supposant que Téhéran cherche à construire une arme nucléaire, un article publié dans l’édition de juillet/août du Bulletin of Atomic Scientists estime qu’il faudrait 1500 à 1800 centrifugeuses opérant sans interruption durant une année  pour produire la quantité d’uranium très enrichi nécessaire à la construction d’une bombe atomique rudimentaire. Bien que l’Iran ait l’intention d’agrandir l’usine de Natanz, le dernier rapport de l’AIEA révèle un retard dans le plan de construction et la seconde cascade de 164 machines ne serait pas opérationnelle avant août. 

Un porte-parole du comité du Congrès américain, Jamal Ware, a tenté de rejeter les critiques de l’AIEA en déclarant que son rapport ne fait que mentionner que « l’Iran travaille pour développer sa capacité à enrichir l’uranium à une qualité militaire, pas qu’il y est arrivé ». La position de l’AIEA n’était pas erronée, cependant.  Si Téhéran n’est pas « actuellement en train d’enrichir de l’uranium à une qualité militaire », mais est à des années d’atteindre une telle capacité, alors l’Iran n’a pas les ingrédients de base pour construire une arme nucléaire et la prétention que l’Iran constitue une menace nucléaire imminente s’effondre.

La lettre de l’AIEA note une autre distorsion délibérée dans une déclaration incorporée dans le rapport selon lequel l’Iran a « produit en cachette » du polonium-210 (Po-210), un isotope radioactif, soulignant son utilisation potentielle comme source de neutrons pour l’arme nucléaire. L’AIEA indique que le terme « en cachette » est trompeur puisque « la production de Po-210 n’a pas à être rapportée » en vertu des dispositions de l’entente de non-prolifération signée avec l’Iran. La seule preuve étayant les prétentions des Etats-Unis provenait de rapports de l’AIEA sur des expériences de petites envergures, menées entre 1989 et 1993, qui furent apparemment négatives et interrompues.

Une réédition de l’Irak

La lettre de l’AIEA n’a souligné que les falsifications les plus évidentes sur le programme nucléaire iranien, mais le reste du rapport du Congrès est criblé d’allégations non fondées ou de mensonges flagrants, en grande mesure recyclés des responsables américains ou de la « communauté américaine du renseignement ».  Le Washington Post, qui a publié en premier la lettre de l’AIEA la semaine dernière, note prudemment : « En privé, plusieurs responsables de divers services de renseignement  ont dit que le rapport du comité inclus au moins une douzaine d’affirmations qui sont manifestement fausses ou impossibles à prouver. »

Le rapport du Congrès a largement été rédigé par Frederick Fleitz, ancien agent de la CIA connu pour ces opinions de droite sur l’Iran et ayant travaillé pour John Bolton, l’actuel ambassadeur américain à l’ONU, alors qu’il était le plus haut responsable du département d’Etat sur la prolifération des armes.  Alors, tout comme aujourd’hui, Bolton était tristement célèbre pour ses demandes agressives d’action contre le soi-disant « axe du mal » — l’Irak, l’Iran et la Corée du Nord — et Fleitz l’a probablement aidé à concocter la « preuve ».

Comme David Albright, un ancien inspecteur nucléaire, l’a dit au Washington Post : « Cette situation reproduit ce qui prévalait avant la guerre en Irak. Vous avez une menace nucléaire iranienne qui est montée en aiguille avec de l’information biaisée et un rapport qui calomnie les inspecteurs. » Avant l’invasion de l’Irak, l’administration Bush a dénigré l’échec des inspecteurs en armement de l’ONU à découvrir des armes de destruction massive en Irak.

En février 2003, moins d’un mois avant que les Etats-Unis lancent leur assaut, les dirigeants des inspecteurs en armement, Hans Blix et Mohammed El Baradeï ont présenté des rapports au Conseil de sécurité de l’ONU qui déclaraient qu’ils n’avaient trouvé aucune preuve d’armes nucléaires, chimiques ou biologiques en Irak — démolissant le plaidoyer pour la guerre qu’avait fait le secrétaire d’Etat américain, Colin Powell.

Le directeur de l’AIEA, El Baradeï avait été particulièrement catégorique, déclarant : « A ce jour, nous n’avons pas trouvé de preuve qu’il y aurait actuellement des activités nucléaires ou liées au nucléaire en Irak. » Il a aussi joué un rôle clé pour exposer les affirmations frauduleuses, faites tout d’abord par le gouvernement britannique, que l’Irak avait tenté d’acheter d’importantes quantités d’uranium du Niger. El Baradeï a dit aux Nations Unies en mars 2003 que les documents offerts en tant que preuve étaient des faux grossiers, ce qui n’a pas empêché les responsables de l’administration Bush de maintenir que l’Irak avait tenté d’acquérir des armes nucléaires.

Après l’occupation, des équipes américaines ont parcouru l’Irak pendant des mois, mais n’ont trouvé ni armes de destruction massive ni preuves de programmes pour le développement de telles armes. Pour détourner l’attention de sa propre responsabilité pour ce tissu de mensonges, l’administration Bush a blâmé la CIA et les autres agences d’espionnage pour un « échec du renseignement ». Au même temps, Washington a continué sa campagne clandestine contre El Baradeï qui a culminé avec l’échec l’an dernier de le remplacer au poste de directeur de l’AIEA par quelqu’un de plus disposé à s’aligner sur les intérêts des Etats-Unis.

Comme dans le cas de l’Irak, les accusations de l’administration Bush contre l’Iran n’ont rien à voir avec une « menace stratégique » sur les Etats-Unis. Même s’il parvenait à obtenir quelques bombes atomiques rudimentaires, Téhéran ne pourrait rivaliser avec l’armée américaine et son colossal arsenal nucléaire. L’allégation que l’Iran développe l’arme atomique est simplement un prétexte pour manufacturer un climat de peur et d’hystérie guerrière aux Etats-Unis mêmes, tout en allant de l’avant avec ses plans pour un « changement de régime » en Iran. Malgré les désastres militaires de plus en plus sérieux que confrontent les occupations menées par les Etats-Unis en Irak et en Afghanistan, l’administration Bush est déterminée à réaliser ses ambitions d’imposer la domination américaine sur les régions riches en ressources du Moyen-Orient et de l’Asie centrale.

La frustration augmente à Washington devant l’échec de l’ONU à imposer des sanctions contre l’Irak. La Maison-Blanche a tordu des bras pour que les puissances européennes, la Russie et la Chine acceptent la date butoir du 31 août à laquelle Téhéran devait avoir mis fin à tous ses programmes d’enrichissement de l’uranium. L’Iran, toutefois, a insisté de son droit en vertu du Traité de non-prolifération nucléaire à développer tous les aspects d’un programme nucléaire civil, y compris l’enrichissement de l’uranium, et a dénoncé la résolution de l’ONU pour être illégale. La poussée des Etats-Unis pour des mesures punitives rencontre une résistance continue de la part de ses rivaux européens et asiatiques, qui ont tous d’importants intérêts économiques en Iran.

Discutant vendredi dernier du discours qu’il devait quelques jours plus tard devant l’ONU, le président Bush a déclaré : « Ma préoccupation est qu’ils [l’Iran] veulent tenter de gagner du temps. Aussi, une partie de mon objectif à New York est de rappeler aux gens que les tergiversations ne devraient pas être tolérées — nous avons besoin d’accélérer le processus. »

L’impatience de Bush ne répond à aucune évaluation objective des programmes nucléaires iraniens, mais plutôt aux mesures politiques pressantes de son administration. Désavantagée sur le terrain dans les élections de mi-mandat qui auront lieu en novembre, et le deuxième mandat de Bush se terminant dans deux ans, la Maison-Blanche commence à penser qu’elle manquera de temps. Loin de mettre la pédale douce, l’administration Bush penche vers une autre aventure militaire imprudente contre l’Iran cette fois.

Un signe que l’administration Bush intensifie sa campagne pour un « changement de régime » à Téhéran est la mise en place d’unités au sein du département d’Etat américain et du Pentagone qui ont pour but de miner le gouvernement iranien. En février, la secrétaire d’Etat Condoleezza Rice a demandé 75 millions $ supplémentaires pour appuyer les mouvements d’exilés iraniens et l’opposition politique en Iran même. Un nouveau Bureau des affaires iraniennes a été fondé sous la supervision d’Elizabeth Cheney, la fille du vice-président américain.

Il est moins connu que le Pentagone a formé l’équivalent iranien du fameux Bureau des plans spéciaux (BPS) où ont été concoctés les mensonges sur les armes de destruction massive en Irak avec l’aide de témoignages d’exilés tel Ahmed Chalabi, fraudeur notoire. Le Los Angeles Times a révélé en mai l’existence du nouvel organisme, connu sous le nom de Directoire pour l’Iran. Selon le quotidien, cet organisme a un personnel de six personnes, a un mandat semblable à celui du BPS et a recruté des vétérans du BPS au sein de son personnel et du corps plus large de ses conseillers, y compris l’ancien dirigeant du BPS, Abram Shulsky.

(Article original anglais paru le 19 septembre 2006)

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