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L’affaire Arar : le rapport de la commission d’enquête met à nu les mensonges de la GRC

Par Richard Dufour
28 septembre 2006

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Maher Arar, ce citoyen canadien illégalement déporté par les autorités américaines vers la Syrie où il fut emprisonné, battu et torturé pendant près d'un an, est l’une des rares victimes d’abus gouvernemental commis au nom de la lutte antiterroriste dont la véritable histoire peut être racontée.

Un rapport déposé la semaine dernière par une commission d’enquête formée en février 2004 sous la présidence de Dennis O'Connor, juge en chef de la Cour suprême de l’Ontario, établit l’entière innocence d’Arar.

« Je suis en mesure d'affirmer catégoriquement », écrit O'Connor dès les premières pages, « qu'aucune preuve n'indique que M. Arar a commis quelque infraction que ce soit ou que ses activités constituent une menace pour la sécurité du Canada ».

Le rapport met à nu la pratique des services de sécurité américains consistant à renvoyer arbitrairement de présumés « terroristes » vers des pays tiers pour y être interrogés sous la torture. Il dévoile aussi la complicité de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) qui a faussement dépeint Arar aux autorités américaines comme étant un dangereux membre d’al-Qaïda tout en niant avoir eu le moindre rôle dans la déportation d’Arar.

Ingénieur en informatique alors âgé de 31 ans, Maher Arar fut arrêté le 26 septembre 2002 par des agents américains de l’immigration lors d’un changement d’avion à l’aéroport international John F. Kennedy alors qu’il retournait chez lui à Montréal.

Sur la base de fausses informations transmises par la police fédérale canadienne (GRC), il fut questionné pendant plus d’une semaine sur ses liens présumés avec al-Qaïda, puis embarqué de force dans un avion de la CIA qui devait le conduire en Syrie, son pays d’origine. Au bout de dix mois de détention, il confessa sous la torture avoir participé à un camp d’entraînement d’al-Qaïda en Afghanistan. Mais il fut relâché deux mois plus tard, les autorités syriennes, canadiennes et américaines n’ayant pu réunir aucune preuve contre lui.

Les circonstances de la déportation de Maher Arar sont décrites en détail dans le rapport O’Connor, qui met à nu les mensonges diffusés par la GRC et le SCRS (Service canadien de renseignement de sécurité) et relayés sans critique par les médias officiels.

On apprend que la police fédérale canadienne a fiché Arar pour avoir simplement côtoyé un autre Canadien d’origine syrienne qui figurait sur sa liste de présumés membres d’al-Qaïda, Abdullah Almalki. La GRC a ensuite demandé aux autorités américaines d’émettre à leurs agents de douanes un avis de guet pour Arar et sa femme, Monia Mazigh.

« Dans cette demande », écrit O’Connor, « à laquelle elle n'avait annexé aucune réserve, la GRC avait décrit M. Arar et Mme Mazigh comme des "extrémistes islamistes soupçonnés d'avoir des liens avec le mouvement terroriste al-Qaïda." La GRC n'avait aucun motif de fournir cette description inexacte qui, compte tenu des attitudes et des pratiques des Américains à l'époque, pouvait avoir de graves conséquences pour M. Arar. »

La liste des affirmations mensongères de la GRC dressée par le rapport O’Connor est longue.

La police fédérale a affirmé aux autorités américaines que Maher Arar se trouvait dans les environs de Washington le 11 septembre 2001, alors qu’il se trouvait à San Diego. La GRC a affirmé qu’il avait refusé d'être interrogé, mais celui-ci avait seulement exigé la présence de son avocat, ce qui lui fut refusé. Toujours selon GRC, Arar aurait quitté le pays précipitamment après cette demande d'interrogatoire, alors qu’il est parti cinq mois plus tard sans liquider ses affaires.

La conduite du Canada a été particulièrement odieuse face aux sévices subis par Maher Arar durant sa détention. Le rapport représente en ce sens une cinglante réfutation de la campagne de calomnies, dirigée en sous-main par la GRC, visant à entretenir le doute sur le fait qu’Arar ait été torturé, et ce, même après son retour au pays et son témoignage sans équivoque.

Durant les longs mois pendant lesquels Arar se trouvait aux mains de ses tortionnaires, les avertissements d’organismes de défense des droits de la personne ont été ignorés par la diplomatie canadienne et rejetés par la GRC et le SCRS.  

Un consul canadien chargé de visiter Arar, par exemple, a vite conclu que l'homme ne pouvait pas avoir été torturé puisqu'on ne voyait pas de marques sur son corps. Le prisonnier portait pantalon et chemise à manches longues durant la visite.

Comme le note le juge O’Connor dans ses conclusions : « Après le retour de M. Arar, des rapports ont été préparés au sein du gouvernement qui avaient pour effet de minimiser les mauvais traitements ou la torture qu’avait subis M. Arar. »

Le SCRS a accepté sans broncher et diffusé la « confession » d’Arar, transmise par les autorités syriennes, qu’il s’était entraîné dans des camps de moudjahidin d'Afghanistan. Et ce, souligne le rapport O'Connor, malgré « la réputation largement répandue voulant que la Syrie maltraite les prisonniers détenus dans le cadre d'enquêtes terroristes ».

Même après que le ministère canadien des Affaires étrangères ait finalement conclu que les suspicions pesant sur Arar étaient sans fondement et décidé d’envoyer une lettre aux autorités syriennes pour exiger sa libération, les hautes instances de la GRC et du SCRS ont refusé d’y apposer leur signature.

Le rapport met également en évidence la manipulation de l'information par des responsables canadiens bien avant le retour de Maher Arar de Syrie. Ces responsables, écrit le juge O’Connor, ont communiqué aux médias des informations inexactes au sujet de l'affaire « en vue de nuire à la réputation de M. Arar ou de protéger leurs propres intérêts ou les intérêts du gouvernement ».

Il y a eu, par exemple, ce reportage publié par le quotidien de droite, le National Post, qui citait sans la nommer une « source de haut niveau du renseignement canadien » affirmant qu’Arar « n’est pas vierge » et qu’il y a « anguille sous roche ici ». Toujours selon ce reportage, des « officiers de renseignement canadiens et américains » anonymes auraient dit être « 100 pour cent certains » qu’Arar s’était rendu dans un camp d’entraînement terroriste.

Tout en multipliant les fuites dans les médias visant à incriminer Arar, la GRC a tenté de cacher à ses patrons politiques ses véritables agissements. Ainsi, lorsqu'un « briefing » a été organisé par le Conseil privé avec « de très hauts fonctionnaires », la GRC a sciemment caché des informations — dont la caractérisation du couple Arar-Mazigh comme des islamistes extrémistes — ce qui a eu pour effet de « minimiser les problèmes potentiels », note le juge O’Connor.

Un fait aussi troublant que le contenu du rapport O’Connor a été l’indifférence avec laquelle il a été accueilli par le gouvernement conservateur.

Même si la Chambre des communes a adopté à l’unanimité une motion offrant des excuses à Maher Arar, le premier ministre Stephen Harper a obstinément refusé d'offrir des excuses officielles au nom du gouvernement du Canada.

À la question de savoir si son gouvernement allait donner suite à la recommandation du juge O’Connor de loger une plainte formelle auprès des États-Unis concernant le traitement infligé à Arar, le ministre de l’Intérieur, Stockwell Day, a répondu avoir écrit au responsable de la sécurité intérieure des États-Unis pour l'informer officiellement que le Canada avait enlevé le nom de Maher Arar et de son épouse de la liste des personnes soupçonnées d'appartenir à une organisation terroriste. Day a invité le gouvernement américain à faire de même.

Pour un gouvernement qui cherche à se rapprocher du foyer de la réaction mondiale que représente l’administration Bush, et à entraîner le Canada dans des aventures néo-coloniales en Asie centrale tout en sacrifiant les conditions sociales des travailleurs au pays devant l’autel des profits, la lutte « antiterroriste » constitue un prétexte idéal pour intimider et étouffer l’opposition populaire. Que des innocents comme Maher Arar en fassent les frais est le dernier des soucis de Harper.

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