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Le discours de Blair à la conférence du Parti travailliste : ovationner son fossoyeur

Déclaration du Parti de l’égalité socialiste (Grande-Bretagne)
29 septembre 2006

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Les participants à la conférence de Parti travailliste ont salué le discours du premier ministre Tony Blair par une ovation debout de sept minutes. Cela montre deux choses : les flagorneurs et les carriéristes se réconcilient toujours et Blair a en fait accordé le coup de grâce à ce qui a déjà été le Parti travailliste.

Il n’y a pas un autre public dans toute la Grande-Bretagne qui aurait assisté aux raisonnements auto-glorificateurs de Blair pour son gouvernement sans protester.

Tout ce qui a été fait, a dit Blair, devait être fait. En fait, la transformation du Parti travailliste en un parti avoué de la grande entreprise aurait dû avoir lieu dans les années 1960. Lorsque le premier ministre travailliste Harold Wilson a publié son manifeste de droite « Au lieu de se battre» et insisté qu’il fallait maîtriser le militantisme ouvrier, il lui fut répondu que « cela nous divisait, n’était pas nécessaire et aliénait notre base ».

Wilson a reculé et ce fut Margaret Thatcher et les conservateurs qui ont eu la tâche d’affronter et de défaire la classe ouvrière organisée : « Dans les années 1980, certaines choses qui ont été faites étaient nécessaires pour le pays. C’est la vérité », a-t-il dit.

Sa louange de la destruction de l’Etat-providence, des brutales attaques de l’Etat sur les mineurs et les autres sections de travailleurs et des millions de personnes qui ont subi le chômage et la pauvreté n’a soulevé aucune opposition dans l’auditoire de Blair. Ils étaient tous d’accord que c’est le prix qu’il fallait payer pour transformer la Grande-Bretagne en une plateforme de travail à bon marché et en terrain de jeu pour les riches.

Et lorsque la haine populaire envers les conservateurs a rendu leur réélection impossible, ce fut Blair qui s’est proposé pour compléter la brisure du Parti travailliste d’avec la classe ouvrière et pour le remodeler comme le parti alternatif de l’oligarchie financière mondiale.

Blair a dit à la conférence : « Nous avons défié la sagesse politique conventionnelle et ainsi changé ». Il voulait dire par là que le passé réformiste du Parti travailliste avait été entièrement jeté aux orties. Cela a ouvert la voie à ce qu’il a décrit comme « une nouvelle coalition politique », c’est-à-dire une alliance les hautes couches des classes moyennes qui a joint en masse le Parti travailliste et les super-riches.

« La base du vote pour notre parti aujourd’hui n’est pas dans les centres industriels, dans les villes ni dans les intérêts d’une section de la population » — par quoi il veut dire la classe ouvrière. On la trouve « dans le pays ».

C’est ce qui a valu au New Labour de remporter trois élections, a déclaré Blair. Et il ne pouvait y avoir de retraite devant l’opposition populaire parce l’appui de Rupert Murdoch et des autres milliardaires dépendaient de son empressement à imposer leurs demandes.

Qu’est-ce que cela signifie, selon Blair ? Le danger n’était pas que le parti revienne sur l’adoption de ces politiques en faveur du libre marché. Le danger se trouvait plutôt dans le fait qu’il ne comprenne pas qu’il faille aller beaucoup plus loin.

Avant tout, personne ne devrait considérer une brisure avec les Etats-Unis sur la question de l’Irak ou toute autre question.

« Oui, il est parfois difficile d’être l’allié le plus solide des Etats-Unis, a admis Blair. Mais, la vérité est que rien de ce que nous cherchons, des pourparlers sur le commerce mondial au réchauffement de la planète, au terrorisme et à la Palestine ne peut être résolu sans l’Amérique ou [clairement après qu’il a réalisé l’oubli] sans l’Europe… Éloignez-vous de ce pays et vous pourriez trouver qu’il sera très difficile de renverser la vapeur. »

Pratiquement tous dans la salle avaient la larme à l’œil. Les délégués ont pleuré et certains arboraient même des pancartes sur lesquelles on pouvait lire « Ne partez pas ». Une poignée de gens étaient assis en silence, dans un geste pathétique de protestation.

Avec ce qu’a démontré la conférence tenue à Manchester, on peut excuser celui ou celle qui se demanderait pourquoi son parti a passé les derniers mois à discuter de façon acerbe combien tôt il devait partir.

La réalité politique de la profonde impopularité de Blair et du Parti travailliste n’a été reconnue qu’une fois — et seulement à l’initiative de Blair.

Blair a ouvert une parenthèse lors de son discours pour rappeler une anecdote sur ses fils qui, faisant du porte-à-porte pour le Parti travailliste, avaient rencontré un homme qui leur criait : « Je déteste ce Tony Blair! ». C’était « comme d’habitude », s’est-il esclaffé.

Blair peut raconter une telle histoire, car son indifférence à l’opinion publique est pour lui une marque d’honneur, et tout comme pour son parti durant les douze dernières années. Tant que l’accès au pouvoir et la gouvernance leur garantissaient un avancement social, il n’existait aucun principe ou aucune politique que les fonctionnaires du Parti travailliste ne pouvaient sacrifier.

C’est la raison pour laquelle ils se sont levés en toute solidarité avec un chef qui déclarait : « On dit que je hais le parti et ses traditions. C’est faux. J’aime le parti. Il n’y a qu’une tradition que je hais : perdre. »

Et malgré tout, c’est à la perte du pouvoir que fait face le Parti travailliste, et c’est la seule raison pour quoi ceux qui ont été ses complices dans le crime veulent maintenant le voir partir. Leurs larmes exprimaient à la fois de la nostalgie pour les belles années d’une majorité inébranlable, où ils pouvaient faire ce qu’ils voulaient, et de l’agitation au sujet de ce qui les attend.

Le député Sion Simon, l’un des 15 loyalistes de Blair qui avaient auparavant cosigné une lettre lui demandant de se retirer, l’a complimenté à l’excès : « C’était un grand discours. Il est le plus grand premier ministre que nous ayons eu. »

Seule cette absence de véritable opposition dans les rangs travaillistes pouvait permettre à Blair de livrer ce que le Sun de Murdoch a décrit comme le « meilleur discours de sa vie, » par un homme qui est demeuré le « plus grand atout » de son parti, en rajoutant que les « délégués en pleurs n’avaient plus aucuns doutes quant à leur monstrueux acte d’ingratitude. »

Avant que la conférence ne débute, on se demandait jusqu’à quel point on allait mener la vie dure à Blair, combien importante allait être la demande pour une course au leadership, si des événements allait précipiter son départ et si cela entraînerait des changements dans la politique travailliste. Mais l’opposition qu’il y avait s’est évanouie bien avant que Blair prenne la parole.

Deux événements méritent d’être rappelés.

Le premier étant l’aplatventrisme du chancelier Gordon Brown, présenté depuis des années comme le successeur naturel de Blair. Il a utilisé le discours de lundi, présenté comme étant sa déclaration d’intention, pour s’excuser auprès de Blair de tous les désaccords qu’ils ont eus et pour affirmer que cela avait était un privilège de travailler avec lui.

Cela a même été à l’honneur de la femme de Blair, Cherie, de qualifier Brown de menteur, alors qu’elle aurait supposément été entendue par un journaliste.

Deuxièmement, il y a eu la réaction significative des délégués au débat sur la politique étrangère, soit la même question qui a galvanisé l’hostilité populaire envers Blair. La salle de conférence était à peine à moitié remplie et un seul délégué a attaqué la question de la guerre en Irak.

Le Parti travailliste ne peut prendre qu’une direction en réaction à cette crise, et elle a été établie par Blair. Son « conseil » sur comment réagir face au Parti conservateur était de l’attaquer de la droite.

Il a tourné en ridicule le chef du parti, David Cameron, pour s’être plié « à l’antiaméricanisme en prenant ses distances des États-Unis... Sacrifier l’influence britannique pour un opportunisme de parti n’est pas une politique digne d’un premier ministre ». Il a continué à l’accusant d’être laxiste sur la question de l’immigration illégale et du crime ainsi que pour son opposition aux cartes d’identité et pour sa proposition d’une déclaration des droits.

Ce qui également certain, c’est qu’il n’y aura pas de relâche dans la lutte factionnelle au sein du parti. Blair a encore une fois refusé d’endosser Brown en tant que successeur.  Son attitude envers son rival en est une de mépris, — une attitude partagée par ses alliés et par une section de la bourgeoisie.

Brown a été déclaré « psychologiquement faible » par un blairiste. Sa principale faiblesse pour ces couches est que, bien qu’il n’ait pas de désaccord avec Blair, il lui manque l’instinct du tueur. Au moment où il cède la direction du parti à Blair, ils se demandent, ne va-t-il pas également vaciller face à l’opposition s’il est premier ministre ? 

Il y des indications claires qu’un ticket à la direction pro-Blair est en train de se préparer contre Brown, avec des individus comme le ministre de l’Éducation Alan Johnson et le ministre de l’Intérieur John Reid en avance dans les sondages.

Le problème que confronte le Parti travailliste est que Blair a eu trop de succès dans sa refonte du parti. Véritablement, le Parti travailliste n’a plus de base électorale dans ces centres traditionnels et les centres urbains.  Cependant, cela ne signifie pas qu’il ne peur pas avoir une base électorale dans le « pays. »

Les travaillistes et les conservateurs luttent pour l’appui de la grande entreprise et une étroite couche de la petite bourgeoisie.  Les deux partis défendent des politiques contraires aux intérêts des masses de la population, avec, les travaillistes étant le plus à droite des deux partis sur plusieurs questions. C’est une situation historique sans précédent et place le capitalisme britannique face à une crise de gouvernance.

Le Nouveau Parti travailliste est le produit d’une incroyable vision politique à courte vue. Que ce soit au pouvoir ou dans l’opposition, le Parti travailliste a rempli une fonction politique cruciale pour la stabilité de l’impérialisme britannique. Il offrait une alternative aux conservateurs et maintenait la classe ouvrière dans la croyance qu’il protégeait, au moins en partie, ses intérêts sociaux.  C’était le bras politique d’un mouvement syndical fort de plusieurs millions de membres qui promettait d’éliminer les pires excès du capitalisme et ainsi garantir un emploi décent avec un salaire décent, l’éducation gratuite et une pension à la retraite.

Aujourd’hui, le parti et les syndicats qui lui ont donné naissance, ont présidé à la destruction de tout ce à quoi ils étaient autrefois associés. Des millions de personnes ont quitté le parti parce qu’ils savent que ce parti ne parle plus pour eux. En ce moment, cela prend la forme d’une abstention record durant les élections et une haine générale à l’égard de tout le système politique. Les choses ne peuvent pas et n’en resteront pas là.

Les participants à la conférence de Manchester espèrent qu’une nouvelle direction et une sorte de nouvel emballage politique vont sauver ce qu’ils appellent le « Nouveau projet travailliste. » Ils vont être déçus.

Continuer la fiction historique qui consiste à décrire un parti de droite de « travailliste » ne trompe plus personne. Blair peut bien aimer penser de lui-même qu’il a annoncé une nouvelle ère. Mais ce qui est plus vrai, c’est que sa direction a marqué la fin définitive d’une ère basée sur la défense des réformes sociales et des autres mesures visant à améliorer la lutte de classe.

L’impulsion sociale qui a donné naissance au Parti travailliste doit trouver une manière alternative de s’exprimer dans la construction d’un véritable parti socialiste.  La classe ouvrière à besoin d’une telle organisation si elle veut défendre les emplois, le niveau de vie, les droits démocratiques, et si elle veut s’opposer à la brutalité impérialiste qui est infligée aux peuples du monde.

(Article anglais original paru le 28 septembre 2006)

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