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France: Les grévistes de la faim de Cachan en phase critique

Par Kumaran Rahul et Antoine Lerougetel
30 septembre 2006

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Au moment où ces lignes sont écrites, la grève de la faim de sept squatteurs expulsés le 17 août d’une résidence universitaire désaffectée du campus universitaire de Cachan au sud de Paris entrait dans son 37e jour. Ils ont commencé leur grève de la faim le 22 août. D’après une déclaration du docteur Patrice Muller faite il y a trois jours, « Ils entrent dans une phase critique. Ils sont d’une faiblesse extrême et risquent des lésions musculaires et neurologiques irréversibles. »

Les grévistes de la faim réclament le droit de séjour en France et un logement décent. Ils font partie d’un groupe de plus de 200 personnes, pour la plupart des immigrés africains, des familles et des enfants, qui se sont provisoirement réfugiés dans un gymnase que la municipalité de Cachan a mis à leur disposition. Ces 200 personnes avaient été expulsées, manu militari par des CRS, de l’ancienne résidence universitaire où plus de 600 personnes vivaient.

Bon nombre de ces squatteurs, connus sous le nom des « 1000 de Cachan » sont de nationalité française et la moitié au moins possède un titre de séjour. Ils sont victimes de la crise du logement qui sévit en région parisienne et dans toute la France et qui touche le plus durement les plus pauvres et les plus vulnérables. Les immigrés munis de titres de séjour sont durement touchés par cette crise du logement, mais la situation des immigrés sans-papiers est bien pire.

On compte parmi les personnes entassées dans le gymnase une femme atteinte de tuberculose et deux enfants souffrant de la varicelle. Il y a aussi des cas de diarrhée. Les autorités du département du Val de Marne ont proposé de loger les femmes enceintes et les mères ayant de jeunes enfants dans un centre à Créteil pour éviter qu’ils ne soient contaminés.   

Fidèle Niétima, porte-parole des 1000 de Cachan a exprimé sa méfiance à l’égard de cette proposition : « C'est un nouveau prétexte pour endormir la population. Avant, au squat, c'était le risque d'incendie. Aujourd'hui, au gymnase, c'est la tuberculose puis la varicelle. »

Des reporters du World Socialist Web Site ont visité le gymnase la semaine dernière. Ils y ont vu des femmes et des enfants assis sur des matelas. Partout des vêtements, des valises, des sacs en plastique, des peluches. La plupart des femmes ne peuvent pas dormir à cause des pleurs des enfants. Les bébés dorment dans des poussettes. Les femmes se déplacent avec leur bébé sur le dos. Il n’y a que de cinq toilettes pour tout le monde. Il y a des hommes dehors, en haut des marches, qui se protègent de la pluie sous des bâches.

Le Conseil général du Val de Marne fournit 100 repas à midi et le soir. Les gens disent que ce n’est pas suffisant. Soumahoro Issoufou, délégué des 1000 de Cachan dit : « Aujourd'hui, nous sommes pratiquement dans la rue parce que le gymnase n'est pas un endroit adéquat pour vivre. On est obligé de faire avec, parce que nous n'avons pas le choix, déjà dans le souci de protéger les enfants qui sont parmi nous. »  

Salim dit : « J’essaie de retrouver le peu d’affaires que j’ai et que les autorités m’ont prises quand on nous a expulsés. Je ne les ai pas encore retrouvées. Sarkozy [ministre gaulliste de l’Intérieur] encourage la haine. Ce que je veux c’est le pays qui a donné naissance à Victor Hugo, Balzac, Pasteur, etc. pas celui qui est gouverné par un minable. Qu’il me rende mes affaires. Je veux rentrer chez moi. »

Un des grévistes de la faim, Togola Seydou, emmitouflé dans une couverture, lit à haute voix une lettre ouverte adressée au président Jacques Chirac et qui demande leur régularisation : « Nous ne sommes pas dangereux, nous sommes en danger. Nous ne sommes ni des criminels, ni des fainéants, ni des voleurs, ni des profiteurs. Nous sommes des hommes, des femmes, des enfants dans un monde sans oreilles, sans yeux, sans Raison, sans mains. » 

Salim Z, autre gréviste de la faim, a déclaré, « pour moi, je ne mets pas ma vie en danger pour des papiers, mais plutôt pour attirer l’attention de l’Etat et des différentes autorités pour plus d’humanité, car je n’ai rien d’autre à offrir comme réponse à cette détresse humaine. Je hurle cette misère pour que ces “hauts de là-haut”, ces grands messieurs qui sont au pouvoir prennent leurs responsabilités pour mettre fin à cette dramatique situation qui n’honore pas la France. On demande de l'espoir pour vivre libres et on en a marre de se cacher comme des assassins. »

Rouane Otmane, un Marocain, a dit, « Nous ce qu’on demande c’est la régularisation de tous les sans-papiers de Cachan et le relogement des familles. »

Sarkozy a déclaré que les expulsés sont responsables de leur situation difficile, car ils ont été persuadés par des « associations politisées d'extrême gauche [qui ont] conseillé aux familles d'origine africaine expulsées du squat de Cachan et installées dans un gymnase depuis un mois de refuser les propositions de relogement de la préfecture. »

Une des personnes du gymnase a expliqué, « nous avons refusé l'offre de la préfecture qui était de nous mettre dans des hôtels et ensuite de nous déloger de ces hôtels dix jours après. Ce n'était pas une offre. Dix jours de ré-hébergement et ensuite vous retrouvez à la rue.Il y a des gens qui ont été arrêtés dans ces hôtels et après c’est le centre de détention. Dans un hôtel, on ne peut pas faire à manger et on n'a bien sûr pas les moyens d'aller au restaurant deux fois par jour. Ensuite, ces établissements étant très éloignés des lieux de travail, cela risque de compromettre notre emploi et donc notre principale source de revenus. » 

Il y a eu des manifestations de soutien pour les expulsés de Cachan et ceux qui se sont réfugiés dans le gymnase ; ces manifestations font partie d’un mouvement de masse pour soutenir le droit à rester en France et dans leur établissement scolaire des enfants d’immigrés sans-papiers et de leur famille. Des volontaires ont apporté des vivres et aidé à résoudre des problèmes. Les personnes vivant dans le gymnase ont raconté comment des gens de Cachan et d’autres villes ont apporté à boire et à manger, ont lavé le linge. Deux mères avec leur nouveau-né ont été hébergées par des familles du coin. Des volontaires aident les écoliers à faire leurs devoirs après l’école, mais insistent sur le fait que le traumatisme est très grand chez les jeunes enfants.

Pierre Derrouch, directeur de cabinet du préfet du Val-de-Marne, a déclaré dimanche 25 que la préfecture du Val-de-Marne ne « ferait pas d'autres propositions d'hébergement d'urgence. »

Au moins 50 des expulsées de Cachan ont été arrêtées. Dix d’entre eux ont été déportés et d’autres sont en centres de rétention. Autour du gymnase, la police arrête et fouille les immigrés. Récemment, un ressortissant malien qui était allé chercher son enfant à l’école a été arrêté devant l’école et conduit dans un centre de rétention. Le lendemain, quelque vingt policiers ont fait usage de gaz lacrymogènes et de matraques contre les gens qui essayaient de s’interposer pour empêcher l’arrestation d’une autre personne du gymnase. Plusieurs personnes ont été blessées lors de tels incidents.

La grève de la faim a été quasiment ignorée par les médias et peu de gens ont vraiment conscience de l’état critique des grévistes de la faim.

Les sites web des partis socialiste et communiste portent des déclarations appelant à ce que les personnes vivant dans le gymnase soient transférées vers d’autres logements, mais ne font aucune référence aux personnes en grève de la faim. Les derniers communiqués et versions électroniques des journaux internet des partis d’« extrême-gauche » LCR (Ligue communiste révolutionnaire) et LO (Lutte ouvrière) ne mentionnent pas non plus la grève de la faim. Seul le quotidien du Parti communiste, l’Humanité, dans son édition du 27 septembre, y fait une brève mention dans sa rubrique « Dans l’actualité ».

LO et la LCR lancent des appels à la régularisation de tous les sans-papiers. Ils disent rejeter une alliance politique avec le Parti socialiste du fait de son programme libéral pro-capitaliste. Et pourtant, LO et la LCR s’allient constamment au PS dans les protestations contre le gouvernement concernant les questions sociales. Sans cela, le PS serait privé de toute crédibilité à gauche.

Cela s’est vu clairement quand le vaste mouvement de soutien aux squatteurs expulsés de Cachan a forcé les partenaires de la coalition (PS, PC et les Verts) du gouvernement de Gauche plurielle de Lionel Jospin (1997-2002), ayant perdu les élections du fait de sa politique pro-capitaliste, à appeler à une conférence de presse devant le gymnase le 25 septembre.

Le Parti socialiste était officiellement représenté par l’ancien ministre Jack Lang, qui a voté en juin dernier pour le programme du Parti socialiste aux élections de 2007 appelant à des contrôles stricts de l’immigration. Il est largement reconnu que la politique d’immigration du Parti socialiste et celle de l’UMP au pouvoir sont quasiment identiques. Le Parti socialiste est en grande partie d’accord avec la nouvelle loi de Sarkozy sur l’immigration qui restreint l’immigration aux personnes utiles aux patrons, et avec sa politique d’impliquer les gouvernements des pays de transit tel le Sénégal dans le contrôle policier des migrants vers l’Europe. La candidate la mieux placée pour l’investiture du Parti socialiste à l’élection présidentielle de 2007, Ségolène Royal, lors de sa visite au Sénégal cette semaine s’est plainte de ce que Sarkozy lui volait ses idées en matière de restriction de l’immigration.

Etaient aussi présents à cette conférence de presse la secrétaire nationale du Parti communiste, Marie-Georges Buffet, Noël Mamère et Alain Lipietz des Verts, accompagnés d’Arlette Laguiller de LO et d’Olivier Besancenot de la LCR.

Devant le gymnase, ce groupe a lancé un appel unifié pour le « relogement urgent » des personnes du gymnase. Cela voulait dire pour eux de les reloger dans un immeuble de bureaux désaffectés et non pas de leur fournir un logement permanent. Laguillier et Besancenot n’ont pas embarrassé leurs compagnons en appelant à la régularisation de tous les sans-papiers, et aucun reportage de cette conférence de presse, que ce soit dans l’Humanité ou dans quelque autre média, n’a fait la moindre allusion aux grévistes de la faim.

Aucune tentative n’a été faite d’utiliser cette conférence de presse pour lancer une campagne massive exigeant l’abrogation des lois d’immigration racistes de la France et pour mettre fin à la campagne actuelle de Sarkozy visant à expulser chaque année 25 000 immigrés sans papiers.

Le Parti socialiste, le Parti communiste et les Verts concentrent leurs efforts politiques dans une campagne de soutien à Joseph Rossignol, sympathisant socialiste et maire de Limeil-Brévannes, dans le Val de Marne, engagé dans une bataille juridique avec le préfet local pour transférer les personnes du gymnase dans les anciens bureaux du Commissariat à l’énergie atomique.

Le préfet a posté des policiers à l’entrée du bâtiment pour empêcher que Rossignol et une équipe de conseillers municipaux n’inspecte le bâtiment et n’évalue les « travaux mineurs » nécessaires pour le rendre « habitable.»

Cette campagne sert à détourner l’attention de la politique d’immigration du Parti socialiste et de son manque de proposition d’une quelconque solution à la crise du logement en France.

Ce qu’il faut, c’est une rupture totale avec l’économie de marché du Parti socialiste et de l’Union européenne et la mobilisation de la classe ouvrière française et européenne sur une perspective socialiste.

Ceci entraînerait un programme d’urgence de construction de logements et la réquisition de bâtiments pour faire face aux besoins pressants des sans domiciles et de ceux qui vivent dans des logements surpeuplés et insalubres. Ce programme se baserait sur une politique internationaliste d’unité avec les luttes des peuples des anciennes colonies qui ont été appauvries par des siècles de pillage impérialiste européen et américain, et la défense de leur droit à la liberté de mouvement.

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