Les responsables de la campagne de Barack Obama
ont annoncé jeudi que le sénateur de l’Illinois avait amassé au moins 25
millions $ depuis le début de l’année dans la course à la nomination
présidentielle pour le Parti démocrate. Avec cette annonce, le rôle
prépondérant que jouera l’argent dans les élections 2008 est apparu encore plus
clairement.
Les sommes colossales à la disposition d’Obama
sont comparables à celles dont dispose Hillary Clinton, qui a déclaré avoir
amassé 26 millions $ au premier trimestre de 2007. Ces sommes sont au
moins trois fois plus élevées que ce qui avait été amassé à la même date dans
les campagnes précédentes par n’importe quel candidat, tous partis confondus.
John Edwards détenait le précédent record de 7,4 millions $ en 2003.
Pour la campagne Clinton, le résultat
inattendu d’Obama représente un coup politique. Ses responsables avaient espéré
écraser les rivaux potentiels de Clinton en annonçant une avance insurmontable
dans la course à l’argent.
En tête de peloton chez les républicains,
on trouve l’ancien gouverneur du Massachusetts et spécialiste du capital risque
Mitt Romney, qui a amassé 23 millions $, bien que, selon les sondages, il
n’obtienne le soutien que d’un peu plus de 3 pour cent des électeurs
républicains.
Entre temps, la campagne d’un des
principaux rivaux républicains de Romney, le sénateur de l’Arizona John McCain,
se trouve dans une crise sérieuse du fait qu’il n’a réussi à récolter que 12,5
millions. Des reportages font état de remaniements de personnel et du report de
l’annonce officielle de sa candidature.
Les fonds de campagne annoncés à ce jour
par les candidats des deux principaux partis se chiffrent à un total de 130
millions $. Des chiffres plus précis — qui détailleront combien d’argent a
été récolté pour les primaires des partis contrairement aux sommes pour l’élection
générale, combien a déjà été dépensé et quelques indications sur la provenance
de ces sommes — sont attendus pour le 15 avril.
Ce qui est le plus frappant en ce début de
course présidentielle 2008, c’est l’acceptation universelle par l’establishment
politique, les deux principaux partis et les médias, que de telles sommes
d’argent, provenant pour la plupart d’une élite financière et de grandes
entreprises fabuleusement riches, puissent jouer un rôle aussi important pour
déterminer la viabilité et, en fin de compte, la sélection du candidat.
Cette acceptation ne trouve, en aucune
façon, d’écho dans l’ensemble de la population. Le spectacle qu’offrent les
candidats se rendant d’un endroit à l’autre du pays dans un tourbillon incessant
de campagne de financement visant à obtenir les faveurs de la mince couche des multimillionnaires
et des milliardaires ne fait que renforcer le cynisme et l’aliénation envers
tout le processus électoral.
Associated Press a rapporté un incident révélateur mercredi. Barak Obama, prenant la
parole dans la Salle Vétérans des guerres à l’étranger, à Rochester dans l’état
du New Hampshire « a été confronté par un membre de l’auditoire qui lui a
dit "Je ne veux pas que ce soit l’argent qui choisisse mon prochain
président. Je veux le choisir moi-même." »
Ces sentiments sont sans aucun doute partagés par beaucoup,
mais ils sont peu exprimés dans les deux partis contrôlés par la grande
entreprise. Les réalités de la vie politique dans ces institutions corrompues
et réactionnaires s’expriment parfaitement à travers les paroles d’un des plus
importants collecteurs de fonds de Hillary Clinton, John Catsimatidis, magnat
multimillionnaire des supermarchés à New York qui se décrit comme un ancien
républicain de l’ère Reagan.
Ne prenant pas au sérieux la montée rapide des
contributions pour Obama, Catsmatidis a prédit qu’il ne serait pas en mesure de
maintenir des entrées d’argent comme celles de Clinton qui peut compter sur de
solides connections avec les grandes compagnies pharmaceutiques, Wall Street et
les propriétaires d’empires médiatiques comme Rupert Murdoch de Fox News.
« Peu importe ce qu’il annonce, a déclaré Catsimatidis, au bout du compte,
ce sont les Clinton qui sont choisis ».
La reconnaissance officielle du rôle déterminant joué par
ces immenses sommes d’argent a été exprimée par le président de la Commission
fédérale des élections, Michael Toner, qui a déclaré le mois dernier au Washington
Post : « On sent de plus en plus qu’il y aura un droit d’entrée
de 100 millions $ à la fin de 2007 pour être considéré comme un candidat sérieux. »
On pense que l’élection de 2008 devrait sonner le glas pour
le système de financement public des campagnes mis en place en 1976 en tant que
soi-disant remède à la corruption totale en matière de financement des
campagnes, une question sous-tendant la crise du Watergate qui avait entraîné
la chute de Richard Nixon.
Pour la première fois, on anticipe que les candidats des
deux principaux partis se passeront du financement fédéral — qui impose des
limites sur les dépenses et les collectes de fonds privées — à la fois pour les
primaires et l’élection générale étant donné leur capacité à récolter beaucoup
plus du privé et des donateurs des grandes entreprises. Hillary Clinton a déjà
annoncé que le financement de sa campagne reposerait uniquement sur des fonds privés.
Une chose est sûre, c’est que le système actuel constitue
une méthode de corruption légale des représentants publics, bien plus omniprésente
et efficace que celle qui existait à l’époque de Nixon. Décrivant le processus,
le Washington Post notait que « L’effet concret d’une course
accélérée de collecte de fonds est que les candidats qui ne bénéficient pas
d’une reconnaissance nationale ou d’un réseau national de donateurs doivent
ratisser le pays avec acharnement afin d’établir des liens avec de riches
individus dans des Etats donateurs clé comme New York, la Californie et la
Floride. »
Cette semaine, le New York Observer a décrit de
façon juste la très longue parade de candidats qui a afflué à New York City au
cours des derniers mois : « Certains soirs, ils se dirigent vers Park
Avenue, d’autres, vers la Cinquième Avenue. Mais quelles que soient la variété
des lieux ou des scènes — des complets à fines rayures de Wall Street un soir,
des représentants des médias le jour suivant — l’objectif est toujours le
même : faire des courbettes devant les riches et devant ceux qui ont des relations
et recueillir le plus d’argent possible pour les primaires. »
La candidature « insurgée » de Barack Obama, qui
a réussi à défier Hillary Clinton dans la si importante primaire de l’argent, est
soutenue par exactement le même genre de personnes parmi lesquelles on compte
des membres des familles milliardaires les plus en vue de Chicago, les Crown et
les Pritzker.
Le gros de l’argent amassé par tous les candidats se
présente sous forme de contributions « en liasses » (« bundled »)
constituées par les collecteurs de fonds de l’élite financière, où les
donateurs individuels donnent le maximum autorisé par la loi, soit 4600 $ —
2300 $ pour les primaires et 2300 $ pour les élections générales.
La campagne pour la réélection de Bush avait perfectionné
cette méthode, donnant des titres à ces collecteurs de liasses (bundlers
en anglais) : le titre de « pionnier » à celui qui collecte
100 000 $, de « combattant d’élite » à celui qui collecte
200 000 $ et « super combattant d’élite » à celui qui collecte
300 000 $. De telles sommes sont accumulées par les très riches, qui
puisent dans leur réseau de relations sociales, financières et d’entreprises.
C’est précisément ces types de réseaux qui sont utilisés par la campagne des
Clinton et des autres aspirants démocrates. Dans le cas de Clinton, il est
attendu que des collecteurs de fonds clés organisent des événements rapportant
un million $ ou plus.
Le changement des dates de tenue des primaires en 2008 est
une des raisons qui expliquent l’intensification de la pression pour amasser des
contributions électorales toujours plus élevées, plusieurs États clés, comme la Californie et la Floride ayant avancé la date des
élections au mois de février. Cela laisse prévoir que les deux principaux
partis vont choisir, presque neuf mois avant l'élection, des candidats de
droite défendant la grande entreprise et déterminés à continuer la guerre à
l’étranger et la réaction sociale dans le pays.
L’augmentation vertigineuse du financement privé pour les
campagnes électorales aux États-Unis, va de pair avec le virage à droite des
deux partis, et ce n’est certainement pas une coïncidence. Il y a, à n’en pas
douter, un élément significatif de donnant-donnant dans ce processus où de
riches donateurs s’assurent un appui pour la défense de leurs intérêts
politiques et sociaux en retour de généreuses contributions.
Plus fondamentalement, cependant, le resserrement accru de
l’étau exercé par l’élite financière sur la politique officielle reflète
l’inégalité sociale sans précédent qui prévaut dans tous les aspects de la
société américaine.
Le rôle excessif joué par l’argent dans la vie politique du
pays reflète la réalité sociale où l’on voit les 300 000 Américains les
plus riches, soit 0,1 pour cent de la population, recevoir un revenu combiné
plus élevé que celui des 150 millions de personnes, soit la moitié de la
population, qui se trouvent en bas de l’échelle économique.
Aujourd’hui, un PDG moyen a un salaire 821 fois plus élevé
que celui d’un travailleur au salaire minimum. En 1978 seulement, un PDG
recevait 78 fois le salaire versé à un travailleur au salaire minimum.
Ce niveau de polarisation sociale rend impossible
l’existence d’une véritable forme de représentation démocratique. Au lieu de
cela, les institutions politiques et les deux partis de la grande entreprise gouvernent
au nom d’une oligarchie financière, mettant en œuvre des politiques — allant des
diminutions d’impôt pour les riches à la guerre d’agression — qui visent à
accélérer le transfert de la richesse sociale de la vaste majorité de la
population laborieuse aux Etats-Unis et du monde entier entre les mains d’une
infime minorité.
Pour assurer leur emprise sur ce système, cette élite
injecte de plus en plus de ressources dans un processus qui devient de plus en
plus vide et corrompu, et duquel la vaste majorité de la population est
aliénée, réduite au statut de spectateur hostile à une mascarade dans laquelle
l’argent choisit son représentant.
Cette lutte grotesque entre des candidats quasiment interchangeables
du Parti démocrate et du Parti républicain pour gagner « les primaires de
l’argent » ne fait que souligner la nécessité pour les travailleurs de
construire leur propre alternative politique indépendante au système biparti.