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Virage à droite encore plus marqué de la campagne électorale en France

Par Peter Schwarz à Paris
19 avril 2007

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A une semaine du premier tour des élections présidentielles du 22 avril, les principaux candidats à l’élection virent encore plus à droite.

Dans le camp du Parti socialiste (PS) et de l’UDF (Union pour la démocratie française), parti de droite, prônant le libéralisme et qualifié par les médias français de « centriste », les appels à un vote utile se font de plus en plus entendre. Il s’agit d’un vote à but purement tactique et non pas basé sur l’accord avec un programme politique. Les électeurs sont appelés à voter pour Ségolène Royal (la candidate du PS) ou François Bayrou (UDF) afin d’empêcher la victoire du candidat gaulliste Nicolas Sarkozy ou du candidat de l’extrême-droite Jean-Marie Le Pen.

Les candidats font tout leur possible pour ne pas donner l’impression qu’ils prônent le vote utile. Dimanche dernier Royal a déclaré : «C’est vrai qu’il y aura peut-être un vote de barrage. Mais je veux que la part la plus massive du vote soit un vote d’adhésion » Il apparaît cependant clairement que Royal est incapable de mobiliser un grand nombre d’électeurs sur la base de son programme de droite et qu’elle compte de plus en plus sur un vote tactique.

La discussion sur le vote utile a été provoquée le week-end dernier par une tribune de Michel Rocard, ancien chef de gouvernement du PS, dans le journal Le Monde. Rocard suggérait que Royal et le candidat Bayrou de l’UDF s’engagent dans une alliance avant même le premier tour des élections.

Il argumentait que « isolés, ni eux [l’UDF] ni nous n’avons aucune chance de battre la coalition de Nicolas Sarkozy et Jean-Marie Le Pen. » Rocard a ajouté «sur les urgences d’aujourd’hui, rien d’essentiel ne sépare plus en France les sociaux-démocrates et les démocrates-sociaux, c’est à dire les socialistes et les centristes. Ils partagent les mêmes valeurs. »

A première vue, cette alliance proposée par Rocard ne semble pas avoir beaucoup de sens. Chaque électeur ne peut voter que pour l’un des douze candidats et doit décider entre Royal ou Bayrou, même si ces derniers décident de conclure un pacte et Rocard n’appelle aucun des deux à se désister.

Ce qu’il a à l’esprit c’est une sorte de pacte de non-agression entre les deux candidats et une obligation mutuelle de soutien à celui qui reste au deuxième tour. «Une campagne de premier tour comporte inévitablement des agressions et des blessures qui peuvent compromettre le nécessaire désistement du second tour, » a-t-il dit pour justifier un tel pacte.

Même si Rocard ne le dit pas ouvertement, il est clair que sa proposition signifie qu’il a abandonné tout espoir de voir Royal remporter l’élection. Sa proposition de pacte équivaut à un soutien électoral pour Bayrou qui est pour le moment derrière Royal dans les sondages mais dont on pense qu’il a de meilleures chances de l’emporter contre Sarkozy au second tour, du fait qu’il jouit du soutien d’une partie du camp actuellement au gouvernement. Depuis sa fondation en 1978 par Valéry Giscard d’Estaing, l’UDF a toujours fait partie du camp politique bourgeois de droite. Durant les cinq dernières années il a soutenu le gouvernement gaulliste.

Bayrou “s’est félicité” de la suggestion de Rocard et s’est dit “très intéressé.” Il a néanmoins décliné la proposition. Il craint les réactions de son électorat conservateur, s’il entrait dans une alliance unilatérale avec le Parti socialiste. Il a placé la question de la réconciliation entre la droite et la gauche au cœur de sa campagne électorale et il a l’intention, s’il était élu président, de former un gouvernement avec le Parti socialiste et les gaullistes.

Bayrou a jugé que la proposition de Rocard confirmait l’accord de ce dernier avec sa propre « vision » qui va  au-delà des clivages habituels » et était aussi la confirmation de l’empressement de certains « socialistes » en vue, de construire une grande coalition de partis. « On voit aujourd’hui que ces responsables sont disponibles y compris à l’intérieur du PS, malgré le verrouillage de l’appareil, malgré le fait que Ségolène Royal, François Hollande [le premier secrétaire du PS] et quelques autres aient évidemment dit que c’était non. » 

Royal a rejeté la proposition de Rocard et annoncé qu’elle ne discuterait avec Bayrou d’une possible alliance entre les deux tours que lorsque l’on connaîtrait les deux candidats en lice au second tour. Dans les rangs du parti, Rocard a été accusé de poignarder dans le dos la campagne de Royal. Il est cependant apparu que Rocard n’est pas le seul à penser à une alliance. 

Le premier à apporter publiquement son soutien à la proposition de Rocard est Bernard Kouchner. Kouchner est le fondateur de l’association humanitaire d’aide médicale Médecins sans frontières et a tenu des postes ministériels à deux occasions dans des gouvernements conduits par le Parti socialiste. La faction autour de l’ancien ministre des finances Dominique Strauss-Kahn serait aussi d’accord avec la suggestion de Rocard bien qu’il n’y ait pas eu de déclaration publique à ce sujet.

Le dirigeant du Parti socialiste espagnol et premier ministre José Zapatero est intervenu pour miner la campagne électorale de Royal de façon encore plus flagrante que Rocard et Kouchner. Il a annoncé qu’il ressentait une « grande empathie » pour Ségolène Royal et qu’il prendrait la parole dans un de ses meetings électoraux à Toulouse le 19 avril, puis il s’est mis à couvrir d’éloges son principal rival Nicolas Sarkozy.

Zapatero a exprimé son “respect” et son “admiration” pour le candidat gaulliste. « C'est un homme qui dispose de capacités politiques reconnues, de convictions fermes et d'une ténacité plus que certaine » a poursuivi Zapatero. « J'ai eu des relations importantes avec lui comme ministre de l'Intérieur et aussi maintenant en tant que candidat. Nicolas Sarkozy a toujours eu une attitude très ouverte et positive envers l'Espagne et il a contribué activement à fortifier les relations entre nos deux pays.»  Il a ajouté que leur coopération avait été particulièrement “fructueuse” en matière de “lutte antiterroriste” contre le mouvement séparatiste basque ETA.

La politique droitière de Royal et les propositions d’alliance avec Bayrou venant de son propre camp, servent à renforcer Sarkozy et Le Pen. Le virage à droite du Parti socialiste, qui s’éloigne encore plus de son électorat traditionnel, permet à Sarkozy et Le Pen de mobiliser les couches les plus réactionnaires de la société.

Jusque là, ce sont Sarkozy et Le Pen qui ont déterminé les thèmes de l’élection. Des thèmes tels l’autorité, le tout sécuritaire, l’insécurité, l’identité nationale, le patriotisme, l’immigration et tous les autres sujets de prédilection de l’extrême-droite ont dominé la campagne de tous les candidats. Il a été fort peu question de tous les sujets qui touchent la vie de millions d’électeurs, à savoir le chômage, la pauvreté, la destruction de l’infrastructure et du tissu social du pays, le militarisme et les missions internationales entreprises par l’armée française.

Ces derniers jours, Sarkozy et Le Pen ont tous deux adopté un ton encore plus de droite. Dans sa tournée électorale dans le sud de la France où le Front national (FN) a de gros bataillons de sympathisants, Sarkozy a repris à son compte les slogans du FN et a lancé un appel direct aux électeurs de Le Pen. Il a évoqué « la majorité silencieuse » qu’il a mise en contraste avec l’élite politique (à laquelle il appartient, soit dit en passanr) – c’est à dire « la France de l’hypocrisie », «la France de la pensée unique, cette petite élite qui s'est arrogé le droit de dire ce qui est bien et ce qui est mal“.

Lors d’une conférence de presse, Sarkozy a défini cette «majorité silencieuse » comme «celle qui pense qu'on doit parler de l'identité de la France, celle qui considère qu'il y a un problème de pouvoir d'achat, celle qui pense qu'il faut une nouvelle équipe. Celle qui a voté non [au référendum européen], qui a voté Le Pen en 2002. J'espère qu'elle va s'exprimer dimanche. »

Pour sa part, Le Pen a attaqué Sarkozy dans ses meetings de campagne sur ses origines hongroises, proférant à son égard l’insulte de “chef de la racaille politicienne.”

Ces forces sont en mesures de donner libre cours à leurs panacées ultra droitières parce qu’elles n’ont en face d’elles aucune opposition sérieuse. Elles utilisent le vide laissé par le virage à droite continu du Parti socialiste. Cette trajectoire politique ne correspond cependant en aucune façon aux sentiments de larges couches sociales qui, elles, prennent un virage à gauche.

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