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WSWS : Nouvelles et analyses : Etats-Unis

Le rapport sur l’usage des stéroïdes au baseball : le reflet d’un ordre social malade

Par Bill Van Auken
19 décembre 2007

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La publication le jeudi 13 décembre du rapport Mitchell sur l’usage des stéroïdes et d’autres substances dopantes améliorant les performances par les professionnels du baseball a été accueillie par un torrent d’articles hypocrites ou visant à mousser le scandale.

La plupart des journaux américains ont fait la une avec ce rapport. Son auteur, un ancien sénateur américain, procureur fédéral et envoyé spécial en Irlande du Nord, George Mitchell, a insisté dans son rapport qu’il y avait « beaucoup de spéculations » sur les joueurs qui y seraient nommés, mais qu’il espérait que « la presse et le public considéreraient cette partie du rapport dans son contexte et verraient plus les conclusions du rapport que les individus impliqués ».

Bien entendu, pratiquement tous les médias ont agi de façon directement opposée, publiant les noms et les photographies des joueurs identifiés comme utilisateurs de stéroïdes en première page. Le New York Times a même fait la une de sa page de sport avec le titre « Naming names », nommer des noms en français, une expression historiquement identifiée avec les chasses aux sorcières anti-communistes de l’ère de McCarthy.

Quatre-vingt-neuf joueurs, actuels et anciens, des ligues majeures ont été nommés par Mitchell, mais la preuve rassemblée dans son document faisant plus de quatre cents pages, qui a pris 20 mois et coûté 25 millions, consiste principalement en articles parus dans la presse, en aveux d’anciens joueurs d’usage de stéroïdes et d’allégations douteuses. Parmi ces derniers, on trouve l’ancien préposé au club des Mets de New York, Kirk Radomski, qui a coopéré avec l’enquête en échange d’un allégement de peine dans sa propre condamnation pour distribution illégale de stéroïdes et un ancien entraîneur des Yankees, Brian McNamee, qui a collaboré pour éviter d’être lui-même poursuivi.

Bien que Mitchell ait dit qu’il ne proposait pas de punitions individuelles, il y a quelque chose de très téméraire à « nommer des noms », les joueurs étant trouvés coupables par le tribunal de l’opinion publique sans qu’ils aient de véritable façon de se défendre. Et bien que certains aient très certainement utilisé ces substances, d’autres se trouvent mis en accusation, leur réputation ternie, sur la base de preuves très faibles.

Même si les médias ont cherché à provoquer une atmosphère de chasse aux sorcières autour des individus identifiés, la principale conclusion du rapport est indéniable : l’usage de substances dopantes a tout d’une épidémie dans le baseball professionnel et est présent dans les trente équipes.

Le président Bush a donné son avis sur le sujet le lendemain de la publication du rapport, déclarant aux journalistes que « les stéroïdes avaient sali ce sport ».

Dans la bouche d’un ancien copropriétaire des Rangers du Texas, ces remarques évoquent immédiatement à la mémoire la célèbre protestation du capitaine Renault dans le film de Casablanca. Pour le paraphraser, « Je suis outré, réellement outré de voir que les stéroïdes soient consommés dans l’abri des joueurs ! »

Bush a continué en reprenant à son compte la morale que l’on trouve partout sur le « message » aux jeunes qu’envoie l’usage des stéroïdes par les joueurs de ligues majeures du baseball. « Je connais l’impact que les athlètes professionnels peuvent avoir sur la jeunesse de notre nation, a-t-il dit. Je veux simplement insister que ceux qui sont sous l’œil du public doivent comprendre que lorsqu’ils violent leur corps, ils envoient un terrible signal à la jeunesse des Etats-Unis. »

Bien sûr, il y a un véritable danger, particulièrement pour les nombreux jeunes athlètes qui voient les produits dopants comme un raccourci vers les ligues majeures. Le rapport Mitchell décrit les risques potentiels liés à l’utilisation de ces substances. Les utilisateurs des stéroïdes sont sujets à des « troubles psychiatriques, des dommages cardiovasculaires et au foie, des changements drastiques à leurs systèmes reproducteurs, des blessures musculaires et des fractures, et d’autres problèmes ». Et les utilisateurs d’hormones de croissance accroissent leurs risques de « cancer, de problèmes de santé reproductive, de troubles cardiaques et thyroïdiens, et de croissance excessive des os et des tissus conjonctifs ».

Mais pour quiconque impliqué dans ce sport, l’utilisation de ces substances par des joueurs des ligues majeurs ne peut être une surprise. Les records de coups de circuit du baseball s’accumulent à un tout autre rythme que par le passé et les athlètes se sont physiquement transformés, devenant plus costauds, semblerait-il, du jour au lendemain.

Mitchell lui-même a insisté que les joueurs qui ont décidé de prendre des produits dopants l’ont fait « à l’intérieur d’un certain contexte ».

 « Tous ceux impliqués dans le baseball au cours des deux dernières décennies — les commissaires, les représentants d’équipe, l’Association des joueurs, et les joueurs — partagent la responsabilité de l’ère des stéroïdes... un environnement dans lequel l’usage de substances illicites est devenu répandu », cite le rapport.

En réalité, l’utilisation de ces drogues était non seulement connue, mais elle a été tacitement ou directement encouragée dans des conditions où le baseball subissait de plus en plus de pressions d’autres sports, dont le football et le basket-ball, et où l’on craignait de perdre des parts de marché, surtout dans la foulée de la grève de 1994. Davantage de coups de circuit était un moyen de ramener les partisans dans les stades.

Le rapport a ajouté que les joueurs qui ne font pas usage de stéroïdes ou d’hormones de croissance « font face à un choix difficile entre un désavantage compétitif ou devenir dopés eux-mêmes. Personne ne devrait avoir à faire ce choix. »

Bien entendu, l’usage de stéroïdes n’est pas qu’un problème concernant le baseball. C’est un fléau qui affecte le monde du sport aux Etats-Unis et à travers le monde depuis près de deux décennies, depuis que l’on retira les médailles du sprinter canadien Ben Johnson pour « dopage » lors des Jeux olympiques d’été de 1988. Des scandales du même genre ont fait surface au football, au Tour de France cycliste, au tennis et dans plus d’une douzaine d’autres sports.

On retrouve au coeur de ce phénomène une crise généralisée de la culture et une société dans laquelle le profit est roi et la tricherie courante.

L’influence exercée aux sommets par la poursuite incessante de la richesse personnelle et la prédominance des intérêts commerciaux dans toute entreprise humaine engloutit tout et tous dans le vortex d’une course folle aux profits.

Le New York Times a réagit au reportage de Mitchell par un éditorial insipide intitulé, « Dites-moi que ce n’est pas vrai, Roger, Barry, et... ». La comparaison implicite entre les allégations contre Roger Clemens, Barry Bonds et des dizaines d’autres joueurs et le scandale « Black Sox » de 1919 tombe à plat. Le baseball a beaucoup changé depuis l’époque de « Shoeless » Joe Jackson.

Même s’il n’y a jamais eu un « apogée » du baseball, le montant d’argent divisé entre les huit coéquipiers de Chicago pour sceller l’issue de la Série mondiale serait vu dans le milieu du baseball professionnel comme une somme dérisoire. Le jour même de la parution du rapport Mitchell, Alex Rodriguez a conclu une entente de 10 ans avec les Yankees qui pourrait lui rapporter 314 millions de dollars.

De tels salaires sont évidemment éclipsés par les profits amassés par les propriétaires d’équipes et les grands médias lors des parties. En même temps, d’importantes sommes publiques sont versées pour la construction de nouveaux stades destinés à des équipes gérées de façons privées — le nouveau stade des Marlins de la Floride coûtera 370 millions, selon l’annonce cette semaine de responsables de Miami — et dans lesquels les sièges « admission générale » sont remplacés par des loges corporatives. Ces loges sont utilisées par les présidents de compagnie et leurs clients bien nantis et sont inscrites comme des dépenses pour l’entreprise et des déductions d’impôts.

Malgré cela, l’attention publique, ainsi que le ressentiment et la colère, est toujours dirigée contre les joueurs plutôt que contre les propriétaires et la vraie nature du sport professionnel.

Pour les joueurs eux-mêmes, la ligne qui sépare une carrière offrant de vastes récompenses monétaires et une gaffe — et un retour dans les ligues mineures — est mince. Le baseball, dit-on, est un sport de centimètres. La différence entre une vedette et ce qui est considéré comme un joueur médiocre peut être aussi peu que cinq « présences au bâton » réussies sur cent.

Les joueurs très doués deviennent une combinaison d’entrepreneur et de produit à vendre, dans laquelle tout doit être fait pour demeurer compétitif. Au même moment, en raison de la manière avec laquelle le jeu prend une importance complètement disproportionnée par rapport à son importance intrinsèque, les joueurs sont présentés comme des modèles et sont placés sous l’énorme pression de vivre leur vie en étant constamment surveillé par les médias.

Ils jouent malgré les blessures et la douleur et, sans aucun doute, plusieurs deviennent convaincus que prendre des substances qui rendent plus performants est le seul moyen de tenir le coup. Les gérants, les propriétaires, les agents et tous ceux qui sont reliés au sport se sont montrés plus qu’ouverts à se tourner vers ce genre d’alternative tant que les joueurs continuent à générer les prises et les points qui génèrent les profits.

Les maladies les plus sérieuses dont souffre le « passe-temps national » des États-Unis ne seront pas guéries par les recommandations de Mitchell : plus de tests antidopage, un « département d’enquêtes » du baseball et des conférences sur les dangers des stéroïdes.

Le croisement entre les athlètes professionnels et les médias de masse a créé un instrument très profitable pour engourdir les masses. Des millions de personnes sont encouragées à vivre leur vie en suivant celles d’athlètes millionnaires, qui sont élevés au rang d’icônes nationales pour ensuite être diabolisés suite à un scandale inévitable. Ces pièces de théâtre morales permettent de détourner l’attention populaire des vrais crimes réalisés contre les travailleurs, autant au pays qu’à l’étranger. Voilà l’importance sociale du baseball aux yeux de l’élite dirigeante et voilà pourquoi des visages associés au gouvernement comme Mitchell sont utilisés dans cette enquête et pourquoi le président se voit obligé de se prononcer sur cette question et qu’un comité du Congrès doive tenir audience.

Évidemment, lorsque Mitchell parle de l’« environnement » qui encourage l’utilisation de ces drogues, il aurait dû regarder plus loin que les équipes du baseball majeur. L’économie américaine toute entière fonctionne sur ce qui équivaut aux stéroïdes depuis des décennies, la dernière « substance dopante » étant les prêts hypothécaires à haut risque, qui ont rapporté d’importantes sommes à Wall Street avant d’avoir des conséquences désastreuses.

Pour ce qui est de la mise en garde de Mitchell sur le fait que l’utilisation de ces drogues « pose une sérieuse menace à l’intégrité du sport », une telle menace mérite d’être placée dans le contexte d’un gouvernement et d’une élite dirigeante qui ont vidé toutes les institutions démocratiques aux États-Unis de leur intégrité.

En fin de compte, la question qui se pose face aux expressions de détresses et de colère concernant le rapport Mitchell est celle-ci : pourquoi devrait-on s’attendre à ce que le baseball soit différent du reste de la société capitaliste ?

(Article original paru le 15 décembre 2007)


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