Le président Bush a défendu la politique
d’agression de son gouvernement contre l’Iran lors d’une conférence de presse.
Il a insisté pour dire que les nouvelles preuves rassemblées par les agences
américaines du renseignement et selon lesquelles Téhéran n’avait pas de
programme nucléaire militaire en activité, ne modifieraient pas le moins du
monde sa politique.
Le service d’Evaluation du renseignement
national américain (National Intelligence Estimate ou NIE) qui synthétise les
estimations de seize agences d’espionnage américaines a renversé la conclusion
tirée il y a deux ans que l’Iran cherchait à développer une arme atomique et
affirmé au contraire que ce pays avait « arrêté son programme de
production de l’arme atomique en 2003 ».
Il aussi exprimé aussi l’opinion que l’Iran ne
serait pas capable de produire une arme nucléaire avant 2015, s’il essayait de
le faire.
Ces conclusions représentent une condamnation
cinglante de la politique de la peur permanente et de l’existence d’une
soi-disant menace nucléaire iranienne que poursuit Washington. Elles démontrent
que, tout comme lors des préparatifs de guerre contre l’Irak il y a cinq ans,
la Maison-Blanche fait systématiquement campagne pour entraîner le peuple
américain dans une nouvelle guerre basée, elle aussi, sur des mensonges.
Bush s’est cependant emparé du fait que le
document de la NIE fait état de l’existence d’un programme d’armement nucléaire
dans le passé pour avancer l’argument que l’Iran pouvait reprendre celui-ci à
n’importe quel moment. L’Iran pourrait se servir de son programme nucléaire
civil pour produire un combustible utilisable dans des centrales nucléaires et
pour accélérer ainsi la production d‘une arme nucléaire.
« Qu’est-ce qui permet de dire qu’ils ne
pourraient pas commencer un autre programme de production de l’arme atomique en
cachette ? » a-t-il demandé.
S’appuyant sur ce prétexte, il a argumenté, en
des termes rappelant directement le discours utilisé avant l’invasion non
provoquée de l’Irak, en faveur d’une guerre préventive.
Bush a déclaré à la fin de sa conférence de
presse, répondant avec emportement à la question d‘un journaliste sur le
« manque de crédibilité » de l’administration : « Si l’Iran
arrive avec une arme nucléaire à un moment quelconque, le monde va dire, "que
s’est-il passé en 2007 ? Comment se fait-il qu’ils n’ont pas vu le danger
arriver ? Qu’est-ce qui a fait qu’ils n’ont pas compris qu’un pays qui a
disposé une fois d’un programme d’armement [nucléaire] peut reconstituer un tel
programme ?" »
Lorsqu’on lui a demandé spécifiquement si les
nouvelles conclusions des agences du renseignements signifiaient que Washington
allait laisser de côté l’« option militaire » contre l’Iran, Bush a
insisté pour dire que « toutes les options [restaient] ouvertes ».
Si Bush a insisté pour dire que la NIE
renforçait ses arguments en faveur d’une politique agressive à l’égard de
l’Iran et confirmait l’efficacité d’une telle politique, ce document a eu, sur
le plan international, l’effet d’une bombe.
Il a apparemment rendu vain, dans un premier
temps, les efforts de l’administration pour faire passer une nouvelle série de
sanctions écrasantes pour l’Iran par le biais du Conseil de sécurité des
Nations unies. « Officiellement, nous allons examiner le document avec
attention, non officiellement nos efforts pour accélérer les choses du point de
vue d’une autre résolution n’auront pas abouti », dit au New York Times
un responsable europeen participant aux négociations sur des sanctions.
La Chine, qui comme on l’avait rapporté, avait
cédé à la pression américaine lors d’une réunion de membres du Conseil de
sécurité à Paris, a maintenant laissé entendre qu’au vu de la NIE, sa position
avait changé. A une question sur une probabilité réduite de sanctions,
l’ambassadeur de Chine aux Nations unies, Guangya Wang, a répondu :
« Je pense que les membres du conseil devront prendre cela en considération
parce que je pense que nous partons tous du fait qu’à présent les choses ont
changé ».
L’ambassadeur de la Russie qui s’était opposée
à une aggravation des sanctions, a dit que la NIE confirmait la position de
Moscou. « Nous avons toujours dit qu’il n’y avait pas de preuve qu’ils
avaient un programme nucléaire militaire », a dit Vitaly Churkin.
Plus significatif encore est la manière dont
le document contribue à discréditer non seulement la Maison-Blanche, mais
encore tout l’establishment politique aux Etats-Unis. Car tout comme
dans la période précédant la guerre en Irak, alors qu’ils se faisaient l’écho
des mensonges de l’administration Bush sur des « armes de destruction
massives », les médias et les démocrates ont rallié l’administration Bush
dans sa tentative de faire croire à une menace imminente d’un programme
nucléaire militaire iranien.
En présentant la NIE aux médias lundi, Stephen
Hadley, le conseiller à la sécurité nationale, a reconnu que Bush était informé
de l’existence de renseignements nouveaux sur le programme nucléaire iranien
depuis le mois d’août de cette année.
Bush a confirmé ces déclarations, disant lors
de sa conférence de presse : « Je pense que c’était en août, Mike McConnell
[le directeur du renseignement national] est venu et a dit, "nous avons de
nouvelles informations". Il ne m’a pas dit en quoi consistait la nouvelle
information. »
Le manque de curiosité intellectuelle du
président américain est certes proverbial, mais l’affirmation que son directeur
du renseignement l’a informé de l’existence de nouveaux renseignements sur le
programme nucléaire iranien au mois d’août et qu’il s’est contenté d’attendre
leur publication dans un rapport quatre mois plus tard n’est tout simplement
pas crédible.
La réalité est qu’au mois d’août
l’administration menait une campagne de propagande majeure contre l’Iran, que
Bush prononçait des discours accusant sans fondement l’Iran d’être responsable
d’attaques contre les forces d’occupations américaines en Irak et qu’il
menaçait le monde d’un « holocauste nucléaire ». A ce même moment,
les Etats-Unis organisaient des provocations contre l’Iran, arrêtant ses
responsables diplomatiques en Irak. C’est à ce moment aussi que la Maison-Blanche
annonçait qu’elle déclarait le CGRI (Corps des gardiens de la révolution
islamique), la principale force de sécurité en uniforme du pays, une
« organisation terroriste ».
Il est impensable que Bush et Cheney, au vu de
la campagne bien connue de l’administration pour obtenir n’importe quels
rapports des renseignements américains (y compris des rapports ostensiblement
faux) pour justifier une guerre contre l’Irak, n’aient pas demandé à savoir
quelles nouvelles informations on avait découvert sur le dernier des pays
qu’ils avaient décider d’agresser.
En somme, Bush et Cheney prononçaient des
discours évoquant un « holocauste nucléaire » et menaçant, comme lors
de la conférence de presse de Bush le 16 octobre, le monde d’une
« Troisième guerre mondiale », tout en sachant pertinemment que le
programme nucléaire militaire contre lequel ils mettaient en garde n’existait
pas.
Un journaliste a demandé au président du
Caucus démocratique au Congrès, Rahm Emanuel, de l’Illinois, lors de la réponse
officielle du Parti démocrate à la conférence de presse de Bush, s’il croyait
que Bush avait délibérément trompé le peuple américain sur la soi-disant menace
iranienne.
“Non, je ne pense pas que le président ait
tenté de le faire délibérément… je ne vais pas entrer dans ses motivations ;
je ne le connais pas assez bien pour cela » a répondu Emanuel.
Ce dirigeant des démocrates du Congrès,
partisan en vue d’une politique agressive contre l’Iran, ne peut pas énoncer le
fait simple et évident que Bush a menti, parce qu’il sait que lui et son parti
son impliqués jusqu’au cou dans la même tentative de tromper le peuple
américain sur la question cruciale de la guerre.
Dans l’intervalle, un porte-parole d’Hillary
Clinton, sénatrice de New York et en tête dans la course à la candidature
démocrate à la présidentielle, a déclaré que le rapport démasquait la tentative
de l’administration « de déformer les renseignements afin de poursuivre
ses objectifs idéologiques », tout en affirmant que ce rapport
« confirmait » sa position qu’elle décrit comme une « diplomatie
vigoureuse sous la direction de l’Amérique ».
Clinton a à maintes reprises exprimé son
soutien au maintien de l’« option militaire » contre l’Iran et a voté
avec les républicains en septembre dernier en faveur d’une résolution non
contraignante déclarant le CGRI une organisation terroriste.
Les conclusions de la National Intelligence Estimate
sont le produit d’une lutte prolongée au sein de l’administration et en
particulier au sein de son appareil militaire et du renseignement. On en a
retardé la publication de plus d’un an à cause des tentatives de Bush et de
Cheney de forcer les agences du renseignement à taire des conclusions qui
démasquaient les accusations de l’administration sur la prétendue production
d’armes nucléaires par l’Iran et son prétendu soutien aux attaques contre les
forces américaines en Irak.
La dernière version n’a non seulement pas
donné à l’administration de « renseignements » soutenant sa thèse
d’une menace iranienne imminente, elle répudie directement son affirmation de
l’existence d’un programme iranien d’armes atomiques se trouvant dans le NIE
de 2005. Cela donne la mesure des tensions extrêmes et du malaise régnant tant
dans le commandement militaire que dans la CIA sur la perspective d’une guerre
américaine contre l’Iran.
Le Directeur de la sécurité nationale, McConnell
a déjà indiqué cette année que la NIE sur les activités nucléaires iraniennes
ne serait pas déclassifiée, une position apparemment soutenue par Bush et
Cheney. La décision de rendre publiques certaines de ses conclusions a pu être
motivée par le fait qu’il serait sinon parvenu aux médias sous forme de
« fuite » provenant peut-être même des services du renseignement
eux-mêmes.
Un certain nombre d’articles de presse ont
déclaré que la NIE concordait avec les résultats obtenus par l’AIEA (Agence
internationale de l’énergie atomique), le groupe de surveillance des Nations
unies qui a effectué des inspections détaillées des équipements nucléaires
iraniens. Le directeur général de l’agence, Mohamed ElBaradei, a salué le
rapport, disant qu’il aiderait à désamorcer la crise internationale croissante.
Les divergences entre les estimations des
services du renseignements américains et les résultats obtenus par l’agence des
Nations unies sont cependant énoncées clairement dans la déclaration d’un
responsable de l’AIEA au Times : « Malgré les campagnes
répétées de calomnies, l’AIEA est restée ferme et a conclu à maintes reprises
que depuis 2002 il n’y avait pas eu de preuves d’un programme d’armement
nucléaire secret de l’Iran. Cela confirme aussi l’évaluation du directeur
général selon laquelle ce que les inspecteurs de l’AIEA ont vu en Iran ne
représentait pas de danger imminent ».
Autrement dit, l’agence onusienne n’a trouvé
aucune preuve de ce que le programme d’armement nucléaire, dont le NIE prétend
maintenant qu’il existait en 2003, ait jamais existé.
Dans ce sens, le passage de la part des
services du renseignement américains d’une évaluation dans laquelle ils
disaient en 2005 avec « grande confiance » que l’Iran était engagé
dans une tentative de « développer des armes nucléaires » à celle,
deux ans plus tard, où ils disaient avec une « confiance » tout aussi
« grande » que les Iraniens avaient arrêté un tel programme en 2003,
représente la substitution d’un prétexte bidon pour une guerre par un autre.
Aucune preuve ne fut jamais présentée pour
soutenir l’existence d’un programme d’arme nucléaire iranien. Et l’actuel NIE
ne donne aucune indication de quelles activités précisément furent stoppées en
2003.
Des accords signés par Téhéran en 2004 et 2005
à la suite de négociations avec les principaux pays européens en vue de réduire
partiellement son programme nucléaire, touchaient à des activités liées
entièrement au programme civil d’énergie nucléaire du pays et ne violant pas le
Traité de non-prolifération nucléaire.
Et pourtant, comme l’a montré la conférence de
presse de mardi, la Maison-Blanche peut maintenant prétendre, sur la base de la
nouvelle NIE, que l’Iran aurait essayé de construire des armes nucléaires
auparavant et pouvait recommencer à tout moment, ce qui nécessiterait le
maintien de sanctions draconiennes et la préparation d’une intervention
militaire.
Les médias ont réagi à la publication de la
NIE en affirmant de façon enthousiaste que ses conclusions avaient pour l’essentiel
désamorcé la menace de guerre. Le Washington Post écrivait que ce que le
document avait établi pouvait « enlever la possibilité d’une action
militaire préventive avant la fin de [la] présidence [de Bush] ». Le New
York Times a lui spéculé sur le fait qu’il y avait de ce fait « moins
de zèle pour un autre conflit militaire. »
Mais la déclaration faite par Bush lors de sa
conférence de presse suivait de près celle du conseiller pour la sécurité
nationale Hadley la veille. Celui-ci avait répété la menace de Troisième guerre
mondiale du président. « La communauté internationale doit comprendre que
si nous voulons éviter une situation où nous devons soit accepter un Iran en
passe de se procurer l’arme nucléaire, ayant la possibilité de se procurer l’arme
nucléaire, soit la possibilité d’avoir à nous servir de la force pour
l’arrêter, avec toutes les implications d’une Troisième guerre mondiale, alors
il nous faut intensifier la diplomatie » a déclaré le conseiller à la
sécurité nationale.
La menace d’une autre guerre plus sanglante
encore existe et elle est toujours actuelle. Son origine ne réside pas dans un
programme nucléaire militaire non existant, mais dans les conflits inter-impérialistes
croissants et avant tout dans la croisade prédatrice menée par le capitalisme
américain pour pallier à son déclin économique en recourant à la force
militaire.
Washington reste déterminé à établir son
hégémonie sur les vastes ressources énergétiques du Golfe persique et de l’Asie
centrale. Il a déclenché deux guerres dans les six dernières années pour
réaliser cet objectif et il y a toutes les raisons de croire qu’il en prépare
une troisième.
Le rapport qui existe entre la menace d’une
attaque de l’Iran et la possibilité d’une Troisième guerre mondiale se trouve moins
dans une prétendue prolifération d’armes nucléaires que dans les tensions
croissantes engendrées par les tentatives faites par les Etats-Unis pour mettre
sous leur coupe une région dont dépendent, sur le plan énergétique, ses
principaux rivaux économiques, l’Europe de l’Ouest, la Chine et le Japon.
(Article original anglais paru le 5 décembre
2007)