Quelques 21 000 membres de l’ACTRA, organisation
syndicale représentant les acteurs et les artistes de la radio, de la
télévision et du cinéma, sont officiellement en grève depuis le 8 janvier, mais
l’ampleur de cette grève a été limitée suite à des manœuvres de la
direction syndicale.
L’Ontario et la Colombie-Britannique se partagent le
gros de la production cinématographique et télévisuelle anglophone au Canada.
Toutefois, cette dernière n’est pas affectée par la grève puisque les
membres de l’ACTRA n’y ont pas le même contrat qu’ailleurs au
Canada. En fait, seulement quatre provinces (le Québec, l’Ontario, le
Manitoba et la Saskatchewan) sont actuellement en grève, même si trois autres
provinces (l’Alberta, la Nouvelle-Ecosse et Terre-Neuve) pourraient
bientôt les rejoindre.
Même dans les provinces touchées par le mouvement de grève, les
membres de l’ACTRA continuent à travailler après que l’organisation
syndicale ait permis aux employeurs de signer un « accord pour la
continuation » de la plupart des productions en cours, en échange
d’une augmentation des salaires de 5 pour cent et des bénéfices de 2 pour
cent. En plus, tous les messages publicitaires tournés au Canada sont couverts
par un contrat séparé qui ne prendra fin qu’en juin de cette année. En
conséquence, la grève a été morcelée et, en dépit des prévisions cataclysmiques
qu’avaient faites certains producteurs, son impact sur la production de
films ou d’émissions de télévision semble minimal.
Malgré cela, le ministre fédéral du Travail, Jean-Pierre Blackburn,
a déclaré : « Selon moi, continuer la production de films et d’émissions
de télévision canadiens est trop important pour le Canada et pour
l’économie canadienne pour être mis en danger par votre conflit
actuel. »
L’ACTRA était en position de faire grève depuis le début
de janvier 2007, ayant obtenu un mandat quasi-unanime de ses membres l’an
dernier, mais cette grève a été retardée durant plus d’une semaine alors
que les dirigeants syndicaux cherchaient un moyen d’éviter
l’affrontement. Avant que cette grève ne soit déclenchée, des producteurs
organisés au sein de la CFTPA, Association canadienne de la production pour le
cinéma et la télévision, qui représente environ 400 sociétés, avaient menacé de
traîner l’ACTRA devant les tribunaux au sujet de ses tactiques de grève
et le 29 janvier, les deux partis se sont en fait affrontés devant un juge de
la Cour supérieure de l’Ontario sur, entre autres, cette question.
Le juge a décidé que la grève était en fait légale, mais
n’a pas rendu de décision sur le litige de sa continuation, renvoyant ce conflit
devant un arbitre. La CFTPA a tenté d’obtenir une injonction
pour faire annuler les accords conclus entre l’ACTRA et les producteurs, accords
qui ont, dans les faits, fortement réduit l’impact de la grève. En
rejetant les allégations de la CFPTA pour qui la grève était illégale, le juge
a, avant tout, nié le fait qu’il y avait une grève en déclarant,
« l’ACTRA n’a pas retiré ses services. Toutes les productions
en cours se poursuivent. »
Ce résultat souligne les contradictions de cette action où la
direction syndicale cherche à permettre la continuation des productions au
moyen de différentes mesures alors que les employeurs tentent de les obliger à
se lancer dans une grève nationale. L’ACTRA défend sa stratégie en disant
qu’elle tente de séparer les producteurs de leur organisation et que par
le biais d’accords à court terme elle vise à obtenir les termes recherchés
pour un nouveau contrat. Quant aux producteurs, ils semblent en effet divisés
sur la façon d’affronter l’ACTRA : les dirigeants de la CFPTA
veulent adopter la ligne dure alors que bon nombre des membres de
l’organisation acceptent des accords qui viennent miner la position de
l’association patronale.
Ce qui est en jeu
Quelle qu’en soit l’issue, et l’on pourrait
très bien avoir recours à l’arbitrage, ce conflit est marqué par la
question fondamentale de la rémunération des acteurs pour les « nouveaux médias »
— le matériel distribué électroniquement par Internet ou au moyen
d’autres médias comme les téléphones cellulaires et les lecteurs MP3.
Face à cette source croissante de revenu, l’actuel conflit est suivi de
près par l’industrie du spectacle nord-américaine et la façon dont il
sera réglé servira de modèle aux négociations de contrats aux États-Unis entre
les producteurs et la Screen Actors Guild (syndicat des acteurs), la Writers
Guildof America (syndicats des écrivains) et la Directors Guild
of America (syndicat des réalisateurs) l’année prochaine.
La direction de l’ACTRA dit que les producteurs refusent
de négocier honnêtement sur la rémunération concernant les nouveaux médias,
mais indique qu’elle est prête à reporter toute l’affaire si cela
était nécessaire. Dans une lettre ouverte aux producteurs publiée sur leur site
Internet, l’ACTRA déclare : « renvoyons ces questions
complexes, non définies et incertaines, relatives aux médias électroniques, à
une commission paritaire et, si nécessaire, à la médiation ».
L’acteur canadien bien connu Eric Peterson aurait déclaré :
« Nous ne travaillons pas à la télé gratuitement, nous ne travaillons pas
au cinéma gratuitement et nous n’allons certainement pas travailler sur
Internet gratuitement. »
Quant à eux, les producteurs disent qu’ils proposent de
payer les acteurs « trois fois » : le coût quotidien lors de la
production, des droits d’auteur de 3,6 à 6,6 pour cent des revenus lors
de l’utilisation ou de la distribution, et la même chose encore s’il
y a conversion vers un autre type de média.
En plus des conditions entourant les nouveaux médias, des
questions telles que les assurances et les primes de retraite seraient aussi
débattues, bien que dans ce cas-ci les différends semblent relativement moins
importants. Les plus récentes propositions de salaire émanant des deux partis
seraient très proches, les producteurs offrant une hausse salariale de 3 pour
cent par année sur 3 ans, l’ACTRA exigeant en plus une augmentation de 1
pour cent des primes de retraite. Ces revendications semblent modestes si
l’on considère que le syndicat avait déjà affirmé que les acteurs au
Canada étaient payés 32 pour cent de moins que leurs homologues aux Etats-Unis.
Les producteurs canadiens prétendent qu’au moins trois
grandes productions auraient annulé le tournage au Canada et une association
américaine de producteurs a affirmé que la grève « pourrait potentiellement
avoir un impact dévastateur à long terme sur la production ».
L’ACTRA, quant à elle, est fière d’affirmer combien la production a
peu été perturbée par leur grève, soutenant qu’elle a signé des accords
de continuation pour des productions qui ne débuteront que dans un mois.
Bien que des rassemblements aient été organisés, surtout à
Toronto où résident plus de la moitié des acteurs impliqués dans le conflit, il
est à noter qu’on y a vu très peu de piquets de grève depuis le début de
la grève. Et même si plusieurs syndicats canadiens et américains ont déclaré
qu’ils soutenaient la grève, cela n’équivaut à guère plus que des
paroles creuses.
A opérer dans le cadre national, comme le font les
organisations telles que l’ACTRA qui font pression auprès des
gouvernements pour obtenir des avantages sur leurs homologues, notamment
américains, ces organisations n’ont aucune perspective de défier les conglomérats
qui dominent l’industrie. La compagnie Sony Corporation, qui projetait
de tourner au moins deux productions de taille au Canada, a indiqué qu’elle
allait délocaliser ce travail au sud de la frontière ou ailleurs, à cause de la
grève.
L’industrie nord-américaine du cinéma est
particulièrement touchée par la mobilité du capital moderne à cause de la
relative facilité avec laquelle une production pour le cinéma ou la télévision
peut être déplacée, rendant ainsi les emplois des artistes et des techniciens
de ce secteur de plus en plus précaires. Cela est devenu une évidence ces
dernières années, lorsque la production à Toronto a été confrontée à un déclin brutal,
provoqué tant par la crise du SRAS en 2003 que par la récente augmentation de
la valeur du dollar canadien par rapport au dollar américain — déclin
dont l’industrie ne s’est pas encore remise.
La direction de l’ACTRA ne choisit pas ses tactiques sur
la base des besoins objectifs des acteurs et artistes, pour conduire une lutte
unifiée contre les conglomérats du spectacle, mais selon des idées à courte vue
de ce qui est possible et sage « dans les circonstances actuelles
particulières ». Ce n’est pas prendre un grand risque que de prédire
que cette approche va échouer, comme c’est toujours le cas, et que les
artistes canadiens vont être les perdants.