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France : Nicolas Sarkozy se rend à Londres

Par Antoine Lerougetel
6 février 2007

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Nicolas Sarkozy s’est rendu à Londres pour sa première visite à l’étranger depuis sa nomination officielle de candidat à la présidentielle pour le parti gaulliste au pouvoir, l’UMP (Union pour un mouvement populaire.) Le 30 janvier, il a fait une visite au Marylebone Jobcentre Plus (agence nationale pour l’emploi), a déjeuné avec le premier ministre Tony Blair puis a fait un discours à un meeting de campagne électorale organisé par la branche londonienne de l’UMP et qui a attiré 2 000 ressortissants français.

Le premier tour des élections présidentielles se tiendra le 22 avril.

Le journal britannique The Guardian a noté: « Le choix de Londres par M. Sarkozy pour son premier voyage à l’étranger depuis le lancement de sa campagne présidentielle est considéré comme profondément symbolique. Il a à cœur de se présenter comme homme d’Etat international, ami de M. Blair et proche de l’alliance américano-britannique. »

Sarkozy aurait rencontré Blair pour des discussions pas moins de huit fois. Leur amitié personnelle est soulignée par des rencontres non officielles, « dont lors de vacances à Florence et lors du voyage de Sarkozy à Londres pour y célébrer sa réconciliation avec son épouse Cécilia ».

Lorsque l’épouse de Blair se rend à Paris, elle dîne au ministère de l’Intérieur que dirige Sarkozy.

La visite à Londres et notamment le meeting de fin de journée donne une idée de la base sociale de Sarkozy. On compte 60 000 électeurs inscrits parmi l’importante communauté de ressortissants français installés en Grande-Bretagne (environ 300 000), vivant principalement à Londres et dans le sud-est prospère du pays. Bon nombre d’entre eux sont attirés par les impôts faibles et l’économie déréglementée qui ne s’encombre pas de droits sociaux et du travail, où l’accumulation de richesses n’est pas entravée. L’éditorial du Guardian du 30 janvier commente : « La communauté de ressortissants français en Grande-Bretagne est l’une des plus importantes hors de France. De jeunes banquiers dynamiques et des hommes d’affaire fuyant une patrie en état de torpeur politique (et de torpeur de l’entreprise) sont les électeurs naturels d’un homme qui a promis de briser le moule de la politique française.

D’après le Daily Telegraph, quotidien conservateur, « Bon nombre de ces nouveaux arrivants travaillent dans le Square Mile [la City de Londres, quartier des banques et de la finance] où les primes font qu’ils peuvent gagner cinq fois ce qu’ils gagneraient en France pour le même travail. »

The Guardian a ainsi décrit le public venu entendre Sarkozy: « Des centaines de financiers huppés de la City, des étudiants des banlieues chics de Paris, des employés de restaurants et des enseignants qui vivent en Grande-Bretagne ont occupé une salle de l’ancien marché de Old Billingsgate. »

The Telegraph a fait le reportage suivant, « Plus de 2 000 partisans prospères et chics ont entonné “Sarko président” quand il leur a dit qu’il avait besoin de leur soutien à sa candidature et à sa vision d’une nouvelle France. »

Raphaël Leclerc, 21 ans, étudiant à la London School of Economics a dit au Guardian qu’il avait grandi dans une banlieue chic de Paris et qu’il était issu « d’un milieu privilégié et d’une famille de droite » et avait joué au football contre les fils de Sarkozy. Alex Poitiers, 29 ans, courtier pour une banque étrangère, a dit au Daily Telegraph, « en termes de salaire et de responsabilités qui me sont confiées il n’y a aucune comparaison possible avec la France, mais j’adore toute la philosophie de ce pays. »

Cette philosophie qui domine dans ces couches sociales est bien exprimée par un article du groupe de réflexion français basé à Londres, Le Cercle d’Outre-Manche, repris dans le Financial Times du 30 janvier. Il affirme que la Grande-Bretagne a dépassé la France en matière de pays où l’on peut faire fortune :

« Le Royaume-Uni génère 76 milliards d’euros de produit national brut (PNB) de plus... 25 ans auparavant le PNB du Royaume-Uni représentait 75 pour cent de celui de la France. »

L’article explique ensuite le secret de ce succès: « Margaret Thatcher a démoli de nombreuses rigidités et réintroduit des pratiques de marché dans l’économie. Avec Tony Blair à la barre et Gordon Brown au trésor, la fluidité du marché a été introduite dans quasiment tous les aspects de l’économie. »

Nous voyons ici la signification de la visite de Sarkozy à une agence pour l’emploi. La destruction de la protection du travail est glorifiée par l’euphémisme « on a facilité l’embauche de personnel ». Obliger les gens à accepter tout emploi mal rémunéré proposé par l’agence pour l’emploi, au risque de se voir retirer les allocations en cas de refus est ainsi présenté avec approbation : « Les ressources de l’Etat providence sont ciblées pour faciliter le retour au travail des chômeurs de longue durée, des travailleurs plus âgés, des jeunes et des mères célibataires grâce à la politique de la carotte et du bâton. »

Telles sont les personnes auxquelles Sarkozy s’adresse et qui attendent de lui qu’il fasse en France ce que Thatcher a fait avant lui en Grande-Bretagne. Ce qu’ils applaudissent chez Thatcher et aussi chez Blair, c’est, comme le dit le Cercle d’Outre-Manche, « qu’ils ont tenu bon face à l’opposition ».

Le cynisme de Sarkozy, quand il prétend, dans de récentes déclarations, avoir l’intérêt des travailleurs à coeur et même approuver une meilleure rémunération du travail se révèle clairement dans une interview publiée le 31 janvier dans l’International Herald Tribune : « Je veux que les gens soient récompensés et respectés pour leur travail. Je veux que les gens comprennent la valeur du travail. Je m’occupe des gens qui veulent travailler dur, et je veux leur parler. Quand les gens travaillent dur, il faut qu’ils soient récompensés. C’est pour cela que je veux supprimer les lois sur l’héritage, parce que si quelqu’un a travaillé dur toute sa vie, alors il faut qu’il puisse transmettre à ses enfants le fruit de son travail…Je n’accepte pas que l’on soit pauvre si on a travaillé vraiment dur. »

Le message de Sarkozy ne s’adresse pas aux travailleurs, mais aux élites qui montent et aux élites financières qui auront des richesses substantielles à léguer à leurs enfants. Son appel à récompenser le dur labeur est en fait un appel visant à permettre aux riches de s’enrichir davantage. Il prétend, avec la même fausseté que Blair, être engagé dans un combat en faveur de la méritocratie, où une soi-disant égalité des chances pour l’avancement social et l’accumulation de richesses s’oppose à des appels à une plus grande égalité sociale – qu’il dénonce parce qu’elle bride ceux qui « travaillent dur » et récompense les paresseux et les flemmards.

Quiconque défend l’égalité sociale est en rupture avec son époque, Sarkozy déclare: « Mes idées sont les idées du monde d’aujourd'hui : respect pour le travail, promotion sociale, égalité des chances. Permettez-moi de vous dire, je n’aime pas l’égalitarisme. Je n’aime pas que les gens soient aidés inutilement. Je n’aime pas l’abaissement au service de l’égalité. Je veux faire monter tout le monde. »

Et interrogé sur ses engagements en matière de déréglementation et de privatisation, Sarkozy rassure son interlocuteur, « Je ne suis pas l’ennemi de l’Etat. Un grand pays a besoin de l’Etat, mais permettez-moi de m’exprimer très simplement. Je crois au capitalisme. Je crois à l’économie de marché. Je crois à la compétition. »

Quand on lui a demandé pourquoi dans un sondage récent 51 pour cent des gens ont dit qu’ils étaient perturbés par sa politique et ses actions, il s’est félicité de son succès dans les sondages et l’a attribué au fait qu’il n’hésitait pas à confronter l’opposition sociale et politique. 

Sur sa manière de faire face à 27 jours d’émeutes à Paris et dans les grandes villes françaises, il a répondu : « Heureusement, cela me préoccupe. Si j’étais en train de vous rassurer, comment seraient les choses… vous venez et vous dites, "Monsieur Sarkozy, pourquoi est-ce que vous faites peur aux gens ? Pourquoi est-ce que les gens sont inquiets ? Qu’est-ce qu’il faudrait faire pour ne pas faire peur aux gens ?" Je suis le mieux placé [dans les sondages], donc il doit y avoir un peu de réconfort ; du moins, c’est ainsi que certains le perçoivent. 

« Je n’ai pas peur des idéologies, des crédos, je ne vais pas me plier devant la dernière vogue, et je n’ai pas peur de confronter les difficultés. »

C’est sur son rôle d’homme fort, de figure autoritaire que Sarkozy veut se faire élire président.

Il a exprimé son appréciation du courage de l’ancien premier ministre gaulliste Alain Juppé en 1995, quand ce dernier avait essayé d’imposer des coupes claires dans les droits à la retraite de salariés du secteur public. Un mouvement de grève de masse, soutenu par l’immense majorité des Français, avait obligé Juppé à battre en retraite et avait conduit à la chute, un plus tard, de son gouvernement. L’erreur de Juppé, dit Sarkozy, est « d’avoir oublié... de mobiliser les électeurs. »

Les fanfaronnades de Sarkozy et sa confiance en lui-même ne sont pas dues à une quelconque force naturelle ni à la popularité de sa politique élitiste – il vient en tête des sondages, mais avec seulement 33 pour cent d’intentions de vote. C’est la conséquence du manque de toute opposition conséquente de la part des partis officiels de gauche : le Parti socialiste, le Parti communiste, les Verts, les syndicats et leurs parasites des mouvements soi-disant de « l’extrême gauche » (la Ligue communiste révolutionnaire – LCR, Lutte ouvrière – LO, le Parti des travailleurs – PT, José Bové et les associations altermondialistes).

Un récent sondage a révélé que plus de 70 pour cent des Français ne croient pas que l’économie de marché est la condition nécessaire au bien-être social. Cela s’est aussi exprimé dans le rejet de la Constitution européenne lors du référendum de mai 2005, dans les mouvements de contestation de 2003 contre la réforme des retraites, et en 2006 contre le démantèlement des protections et droits sociaux et du travail.

Luc Chatel, porte-parole de l’UMP, a fait remarqué que a Grande-Bretagne était « un bon exemple de pays qui avait su se remettre en question, se moderniser, se tourner vers l’avenir. Donc, il y a beaucoup à tirer d’un échange avec le Premier ministre britannique. »

Ce que Sarkozy cherche à apprendre de Blair c’est comment rendre acceptable à l’électorat une politique de destruction des droits et du niveau de vie, imposée par un Etat autoritaire, en l’habillant d’un déguisement pseudo progressiste. Il a besoin des conseils de Blair pour faire en sorte que suffisamment d’électeurs croient que son crédo « Je crois à la compétition » puisse aussi inclure ce qu’il a décrit dans The International Herald Tribune comme « une forme éthique du capitalisme ».

Il a promis, s’il est élu, de réduire le droit de grève et de piquets de grève, de généraliser le CNE (Contrat de Nouvelle Embauche) à présent seulement en vigueur dans les petites entreprises – contrat similaire au CPE  (Contrat  première embauche), qui avait dû être retiré grâce au mouvement d’opposition de masse de jeunes et de travailleurs au printemps 2006. Il propose la suppression des allocations aux chômeurs qui refusent pour la deuxième fois une proposition d’emploi de l’ANPE., l’allongement des heures de travail et des attaques draconiennes supplémentaires sur les droits à la retraite.

Blair est l’homme de politique le plus méprisé de Grande-Bretagne du fait de ses mensonges et de sa complicité avec le président américain George W. Bush dans la justification de l’invasion illégale et de l’occupation de type colonialiste de l’Irak face à l’opposition massive nationale et internationale. Il est également détesté pour sa politique sociale.

La visite de Sarkozy à un personnage aussi discrédité que Blair témoigne un peu plus de son aliénation des préoccupations des simples citoyens français.

Dans les conditions actuelles de concurrence accélérée pour les ressources et marchés mondiaux, l’aspiration du grand patronat français à rattraper le taux d’exploitation de la classe ouvrière du Royaume-Uni exigera des attaques frontales contre les droits démocratiques et le niveau de vie des travailleurs. Sarkozy et la candidate à l’élection présidentielle du Parti socialiste, Ségolène Royal, le choix proposé aux électeurs français, incarnent cette offensive. Julien Dray, porte-parole de Ségolène Royal qui n’a pas encore rencontré Tony Blair mais qui a quand même dit qu’elle l’approuvait, a déclaré le 30 janvier, « Mais il n’est pas impossible qu’elle le voie d’ici l’élection présidentielle. »  

(Article original paru le 5 janvier 2007)

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