DaimlerChrysler a annoncé mercredi son projet de suppression
de 13 000 emplois dans son dernier plan de restructuration du groupe
Chrysler en Amérique du Nord. Ces suppressions auront un impact dévastateur
dans des régions du pays déjà ravagées par la perte de dizaines de milliers
d’emplois dans l’industrie de l’auto et d’autres
secteurs manufacturiers.
Ce plan, surnommé par les travailleurs « le massacre de
la Saint-Valentin », comprend la fermeture d’une usine
d’assemblage employant 2100 travailleurs à Newark au Delaware et un
centre de distribution de pièces à Cleveland en Ohio. Des milliers
d’autres personnes perdront leur emploi avec la suppression
d’équipes entières de production dans des usines de camions à St-Louis et
à Warren au Michigan et d’autres emplois disparaîtront dans les usines de
fournisseurs à Détroit, en Ontario au Canada et ailleurs.
Neuf mille ouvriers payés à l’heure perdront leur emploi
aux Etats-Unis et 2000 autres au Canada. De plus, 2000 postes de salariés sont
supprimés dans ces deux pays.
D’autres suppressions sont attendues une fois que les
effets des compressions — visant à réduire de 400 000 véhicules par
an la production — se seront fait sentir chez les fournisseurs de pièces,
tant chez DaimlerChrysler que chez les sous-traitants, les concessionnaires
automobiles, les agences de location et les autres secteurs qui dépendent de
Chrysler. L’entreprise compte tirer 1,5 milliard d’économie de ses
fournisseurs.
Cette annonce survient après une année de réduction massive du
nombre des emplois par les géants américains de l’automobile. General Motors
et Ford ont éliminé plus de 70 000 emplois en 2006. Le nombre total des
emplois supprimés dans le secteur de l’automobile et des pièces détachées
aux Etats-Unis a dépassé l’an dernier les 150 000.
En annonçant les suppressions, le PDG du groupe Chrysler Tom Lasorda
a dit « Nous effectuerons ces réductions d’une façon qui sera
socialement responsable pour nos salariés. »
Il n’existe pas de façon « socialement
responsable » de détruire des milliers d’emplois et d’infliger
une misère écrasante à des dizaines de milliers de familles et des communautés
entières de la classe ouvrière. En fait, la réduction d’effectifs annoncée
par Chrysler est la plus récente d’une campagne impitoyable visant à faire
payer à la classe ouvrière la crise de l’industrie automobile américaine et
du système capitaliste dans son ensemble. La branche nord-américaine du groupe
Chrysler a perdu 1,5 milliard l’an dernier.
Ce sont les gros actionnaires, les banquiers et les cadres
dirigeants, qui espèrent voir les profits de la société augmenter — et
par la même occasion la valeur de leur portefeuille d’actions —,
qui bénéficieront des mesures annoncées. Immédiatement après l’annonce, la
valeur des actions de DaimlerChrysler a augmenté sur Wall Street et dans les
marchés mondiaux.
Les Etats du Midwest américain, qui font déjà face à une crise
sociale majeure, vont être frappés de plein fouet par ces projets de Chrysler.
Le Michigan, qui compte 26 000 cols bleus et cols blancs de chez Chrysler
— connaît déjà un taux de chômage officiel de 7,1 pour cent,
n’étant dépassé dans ce domaine que par le Mississipi ravagé par les
ouragans. Le nombre de saisies de maisons par les institutions financières a
augmenté de 100 à 200 pour cent dans la métropole de Détroit et près de 2
millions de résidants du Michigan reçoivent une aide alimentaire du
gouvernement, sans compter les 300 000 autres personnes se qualifiant pour
recevoir cette aide, mais qui ne la reçoivent. C’est le chiffre le plus
élevé pour l’Etat du Michigan depuis que le programme fédéral a été fondé
il y a de cela plus de 40 ans.
Robert, un ouvrier spécialisé d’une usine Chrysler de
Détroit a dit au World Socialist Web Site : « Ils disent
qu’il s’agit de 13 000 emplois, mais ça ne s’arrête pas
là. Il pourrait y avoir de 16 à 20 000 pertes d’emploi au total
une fois que l’impact de la diminution de la production se sera fait
pleinement sentir. Les grands investisseurs se sont fait des profits quand les
actions de Chrysler prenaient de la valeur, mais monsieur tout le monde —
quelqu’un qui a fait tout ce que l’on lui a demandé — se
prend une claque et pourrait perdre sa maison et voir sa famille se retrouver sur
le pavé.
« Ils accusent toujours les travailleurs. Nous sommes
supposés être les "travailleurs paresseux et surpayés" avec une
couverture médicale trop importante et la cause des déboires de l’entreprise.
Quel mensonge ! Nous ne prenons pas les décisions. Mais parmi les 2000 cadres
qui seront mis à pied, on ne trouvera aucun haut responsable de
Chrysler. Tout ce qui les intéresse ceux-là c’est de développer de
grosses voitures gourmandes en essence parce qu’ils font de gros profits.
Ils auront des primes. Cela est socialement inacceptable. »
Chrysler, qui s’est sorti de la faillite grâce aux
concessions massives en terme de salaires et d’avantages sociaux accordées
par le syndicat des travailleurs de l’automobile (UAW) en 1979-80 et qui
a ensuite été acheté par le constructeur allemand Daimler Benz en 1998, aura
maintenant moins de 47 000 ouvriers aux Etats-Unis, comparativement à
134 000 il y a trente ans. En 2001, dans la première phase de la
restructuration de l’entreprise, cette dernière a éliminé 40 000
emplois et fermé 16 usines.
La prochaine étape pour Chrysler, depuis longtemps le
troisième constructeur automobile aux Etats-Unis, pourrait bien être la
liquidation. Les cadres de DaimlerChrysler, qui avait précédemment démenti les
rumeurs selon lesquelles ils cherchaient à se défaire de la branche américaine
qui perdait de l’argent, ont annoncé mercredi
« qu’aucune option n’allait être écartée ». Beaucoup
spéculent que Chrysler pourrait être acheté par un rival américain ou européen,
un constructeur chinois, ou simplement dépouillé de ses actifs par des
spéculateurs tels que le financier milliardaire Kirk Kerkorian.
Mercredi, le syndicat des travailleurs de l’automobile a
fait une déclaration pour la forme, laissant clairement entendre qu’il
n’allait rien faire pour combattre la destruction des emplois de ses
membres. Le président de l’UAW Ron Gettelfinger, qui fait partie, avec
des représentants du syndicat allemand des travailleurs du métal, du comité de
surveillance de DaimlerChrysler qui a approuvé le plan de suppression
d’emplois, a déclaré : « nous allons travailler dans le but
d’assurer que lorsque le groupe Chrysler se remet à faire des bénéfices,
nos membres auront des possibilités de reprendre le travail. »
La seule préoccupation de la bureaucratie de l’UAW est
de maintenir sa relation confortable avec les patrons de l’industrie de
l’automobile et de continuer à percevoir les cotisations syndicales, tandis
que les compagnies remplacent des dizaines de milliers d’employés plus
âgés et mieux payés par une main-d'œuvre moins nombreuse et plus
brutalement exploitée.
Au cours des trois dernières décennies, la bureaucratie de
l’UAW a saboté chaque lutte contre les fermetures d’usines, les
mises à pied et les concessions salariales. Le résultat de cette politique propatronale
a été l’élimination de 700 000 emplois de l’UAW chez les trois
plus grands constructeurs automobile depuis 1979.
L’UAW exige une fois de plus des sacrifices de la part
des travailleurs de l’automobile pour « sauver »
l’industrie de l’automobile américaine. Le syndicat négocie actuellement
avec Chrysler des concessions en matière de soins de santé semblables à celles
faites à General Motors et Ford l’an dernier. Ces concessions, du jamais
vu, imposaient des frais médicaux aux travailleurs retraités et à leurs
familles. Au même moment, l’UAW devrait négocier les conditions des
« accords de séparation » qui laisseront aux travailleurs des compensations
relativement maigres en échange de leur départ.
Les commentaires serviles des permanents de l’UAW ont
été repris par le président du syndicat canadien des travailleurs de
l’automobile, Buzz Hargrove, qui a accusé non pas les dirigeants de
l’entreprise, mais les constructeurs automobiles japonais, coréens et
européens parce qu’ils « délocalisent les emplois canadiens ».
Pas un démocrate en vue, incluant tous les principaux
aspirants à la présidence, n’a dénoncé, ne serait-ce que par une
déclaration, Chrysler. Défendant le « droit » inattaquable des entreprises
de jeter à la rue des milliers de travailleurs, la gouverneure démocrate du
Michigan, Jennifer Granholm, a affirmé que la décision était malheureuse, mais
« poussée par le marché ».
Granholm s’est aussi plaint du fait que
l’administration Bush n’avait pas imposé de restrictions
commerciales assez musclées sur les constructeurs automobiles européens et
asiatiques afin d’« éviter la concurrence déloyale »
pour les compagnies américaines.
Dans la mesure où ils font semblant de s’inquiéter pour
les travailleurs mis à pied, les démocrates, se faisant l’écho de la
bureaucratie syndicale, font invariablement la promotion du poison politique du
chauvinisme et de la xénophobie des « Etats-Unis d’abord »,
afin de détourner les travailleurs de l’automobile d’une lutte
contre le grand patronat et de les monter contre leurs frères et sœurs de
classe à travers le monde qui subissent le même genre d’attaques de la
part des compagnies transnationales. Les travailleurs du constructeur allemand
Volkswagen, par exemple, sont confrontés à la destruction de 20 000
emplois et ont récemment occupé une usine de VW en Belgique dans le but de
défendre leurs emplois : une lutte qui a été trahie par les représentants
syndicaux d’Europe.
L’industrie mondiale de l’automobile est un
parfait exemple du caractère imprévisible et anarchique du système de profit
capitaliste et de ses conséquences sociales désastreuses. Confronté à une crise
mondiale de surproduction — exacerbée par l’émergence de nouveaux
compétiteurs mondiaux tels que la Chine — chaque constructeur automobile dans
le monde se voit poussé à réduire radicalement le coût de la main-d’oeuvre
en imposant une cadence infernale, en déplaçant la production dans des zones à
bas salaires et en éliminant des dizaines de milliers d’emplois.
La crise mondiale de l’industrie de l’automobile
est aggravée par la stagnation des marchés en Europe de l’Ouest, en
Amérique du Nord et au Japon — qui achète 70 pour cent de tous les
véhicules — et par le fait que la vaste majorité de la population des
pays soi-disant en développement est trop pauvre pour même rêver posséder
une auto.
Aux États-Unis, les travailleurs paient un prix élevé pour
l’avarice débridée des élites des grandes entreprises américaines, qui a
sacrifié la santé à long terme de ses propres entreprises pour offrir aux hauts
dirigeants et aux investisseurs de Wall Street les gains financiers les
plus massifs et les plus rapides qu’il soit possible de réaliser.
L’ensemble de la société américaine est subordonné à la
recherche insensée d’une accumulation toujours plus grande de richesse
par une élite aisée, dont les décisions socialement destructives affectent la
vie de millions de travailleurs américains. Les travailleurs n’ont
pas leur mot à dire et n’ont aucun contrôle sur les décisions les plus
vitales qui affectent leur vie dans un marché basé sur la propriété privée des
moyens de productions et dans lequel les dirigeants exercent un pouvoir
dictatorial sur les lieux de travail.
La première démarche pour protéger les intérêts des travailleurs
consiste à instituer un contrôle démocratique sur toutes les décisions des
entreprisestouchant au travail, à la sécurité, aux salaires, à l’embauche
et aux heures de travail. Ces décisions doivent être prises, non pas par les
quelques riches dont les intérêts sont diamétralement opposés aux besoins des
travailleurs, mais plutôt par des comités de travailleurs d’usine, de
techniciens, et autres comités d’experts engagés à défendre les intérêts
de la classe ouvrière. La mise en place de la démocratie industrielle
requiert l’ouverture de tous les livres de compte de toutes les entreprises
afin qu’ils puissent être inspectés par les travailleurs et la ratification
de la direction de l’entreprise par un vote démocratique de tous les
employés.
Les industries de masse dont dépendent des millions de
travailleurs et leurs familles ne doivent plus être le patrimoine personnel de
l’élite américaine aisée, qui en dispose comme bon lui semble. Les trois
dernières décennies de déclin industriel, la ruine de Détroit, de Cleveland et
des autres villes de la « ceinture d’acier », la criminalité
d’Enron, WorldCom, etc. ont démontré l’incompatibilité d’un
tel système avec le bien-être et la santé de la société dans son ensemble.
Si l’industrie automobile doit servir la société et non
le profit personnel, elle doit être transformée en entreprise de service public.
Ceci garantira non seulement un niveau de vie décent pour les travailleurs et
leurs familles, mais également la production de véhicules sécuritaires, de
grande qualité et abordables et un transport public pour les consommateurs du
monde. Il faut arrêter l’enrichissement toujours plus important du 1 pour
cent les plus riches de la société américaine et orienter les progrès
révolutionnaires de la technologie et de la production mondialement intégrée
vers la satisfaction des besoins de la société moderne.
Il est essentiel que les travailleurs de l’automobile
rejettent le chauvinisme de la bureaucratie des TUA et du Parti démocrate et
s’unissent avec leurs collègues d’Europe, de l’Amérique
latine et de l’Asie dans une lutte commune pour défendre les emplois et
les droits fondamentaux de tous les travailleurs.
La lutte pour cette politique socialiste et internationaliste
requiert de rompre avec le Parti démocrate — l’un des deux partis de
l’élite dirigeante américaine, partis de l’inégalité sociale et de
la guerre— et la construction d’un parti socialiste de masse de la
classe ouvrière. C’est la tâche à laquelle se consacre le Parti de
l’égalité socialiste.